1. Définition
Le nom « consumérisme » présente une double acception. Selon le Larousse, son premier sens désigne des actions ou des doctrines qui prennent pour objet la consommation comme phénomène social ou économique. On peut ainsi parler de « politiques consuméristes1 » mises en œuvre par les autorités gouvernementales pour arbitrer l’accès aux biens et services. La seconde acception, comme l’évoque le philosophe Jean Baudrillard dans son ouvrage La société de consommation, revêt un caractère critique. Le terme de consumérisme est notamment utilisé en sociologie ou en philosophie pour désigner un phénomène social, voire une idéologie qui fait de la consommation de biens et de services un élément essentiel dans l’économie et l’organisation sociale, au détriment d’autres aspects de la vie humaine ; il est souvent corrélé au développement de l’individualisme selon Jean Baudrillard. Les occurrences mentionnées ci-dessous participent à la compréhension du consumérisme en tant que modèle de société :
« […] la société où la forme consommation apparaît comme le schéma organisateur des activités individuelles, où l’ethos du consumérisme restructure toutes les sphères, y compris celles qui sont extérieures à l’échange payant. »
LIPOVETSKY, Gilles, « La société d’hyperconsommation », dans Le Débat n° 124, Paris, Gallimard, 2003, p. 74-98, consulté le 03 novembre 2022, https://doi.org/10.3917/deba.124.0074.
Apposée au design, la notion de consumérisme semble prendre une teinte toute particulière du fait de sa relation au design qui en serait l’instigateur selon le théoricien Hal Foster :
« […] le design est aussi l’un des principaux agents qui nous enferment dans le système quasi total du consumérisme contemporain. »
FOSTER, Hal, Design & crime, Paris, Éditions Amsterdam/Les prairies ordinaires, traduit par Christophe JAQUET, Laure MANCEAU, Gautier HERRMANN, Nicolas VIEILLESCAZES, 2019, p. 9.
Le design serait donc, selon Hal Foster, l’une des principales incitations à la consommation et participerait directement à ce modèle de société consumériste ; ce faisant, il revêt une portée politique, économique et sociale.
2. De l’anglais au français
Le terme « consumérisme » est un anglicisme. Il a été forgé en 1921 à partir du nom « consumer » (acheteur) et du suffixe « -ism » en anglais par un ingénieur, Sidney Armor REEVE, dans son livre Modern Economic Tendencies. An economic history of America (« Tendances de l’économie moderne, une histoire économique de l’Amérique »). Il s’agissait de décrire la nécessité pour les producteurs de biens et de services de promouvoir ceux-ci afin de les vendre en ciblant les intérêts et les goûts des acheteurs potentiels. Il a aussi pris le sens de protection des intérêts des consommateurs pour enfin faire référence à une consommation effrénée. Bien que ce terme ait une origine anglo-saxonne, son acception ne diffère pas lors de sa traduction en français comme en témoigne la définition qui suit :
“The perception of consumerism, as a term, has also changed with time. Back in the 1960s people referred to it as protecting consumers’ rights. The 1990s saw a shift in its meaning to denote excessive buying2.”
VANGELOV, Nikola, “Consumerism and Advertising on Social Networks”, Balkan Social Science Review, 19(1), 2022, p. 281-312.
Le terme anglais “consumerism” se traduit sans difficulté par le terme français « consumérisme », les deux ayant un sens équivalent, signe ou symptôme d’un même système économique mondialisé.
3. Explication du concept et problématisation
C’est cependant la seconde acception qui place la notion de consumérisme au centre de la « société de consommation » qui, elle, incite l’individu à se définir par la qualité ou la valeur de ses possessions. Elle est utilisée par Hal Foster dans son livre Design & crime.
Il déplore ainsi que « […] dans le monde consumériste d’aujourd’hui règne à nouveau le designer3 » car, à ses yeux, « […] le design est aussi l’un des principaux agents qui nous enferment dans le système quasi total du consumérisme contemporain4 ». Dans le deuxième chapitre de l’ouvrage, l’auteur avance la thèse d’une instrumentalisation du design par l’industrie : « il [le designer] savoure les technologies post-industrielles et se réjouit de sacrifier la semi-autonomie de l’art à ses propres manipulations5 ». En associant l’acte de design au terme « manipulation », Foster se rapproche de la réflexion du théoricien Vilém Flusser qui, considérant le design au sens anglais de « ruse » ou « perfidie », se questionne sur la dimension éthique de celui-ci. Le design, se soumettant à des impératifs esthétiques vendeurs, perdrait alors la notion d’éthique tout en participant à l’expansion du consumérisme. De la même manière, selon le designer Victor Papanek, « peu de professions sont plus pernicieuses que le design industriel6 » qui suit la logique du design publicitaire en poussant les gens à acheter des choses inutiles dans le seul but d’une quelconque reconnaissance sociale. Effectivement, le designer, ayant un réel pouvoir de transformation du réel par son activité projective et créatrice, a un impact considérable sur son environnement, il lui incombe alors de prendre conscience de sa responsabilité. Ainsi, il est clair qu’en sa qualité de designer, celui-ci ne fait pas seulement un geste artistique mais un geste qui a des retombées sociales, politiques et environnementales.
Cette industrialisation du design pose alors les bases d’une aliénation de ce dernier à un système capitaliste dans lequel il s’enferme. Par ailleurs, se pose alors la question de la responsabilité du design en tant que tel. Dans son pamphlet Tout le monde dit que je suis méchant publié en 1973, Ettore Sottsass oppose à ses détracteurs l’argument que l’on ne peut pas attribuer toute la responsabilité des aspects négatifs de la consommation au design sans chercher à comprendre le système dans lequel il s’inscrit. En effet, le design est subordonné à un système consumériste qui le dépasse. En ce sens, la question qui se pose est la suivante : comment le design peut-il s’émanciper totalement d’un système qui lui permet concomitamment d’être visible et même d’exister à grande échelle (accès aux matériaux de production, financements, réseaux de distribution, publicité, etc.) ? Par ailleurs, si le dessein du design est l’amélioration de l’habitabilité du monde, comme le rappelle Alain Findeli, nous pouvons nous demander s’il serait réellement pertinent qu’il s’externalise du système dominant sur lequel il souhaite avoir une prise transformatrice, annihilant de ce fait toute possibilité d’action exercée depuis l’intérieur dudit système qui régit de toutes les façons, notre société actuelle.
Figure 1. Consumérisme, Emilie HUC
Emilie HUC, Master 1, « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.
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DESJEUX Dominique, La consommation, PUF, coll. Que sais-je? Paris, 2006, p. 120-121. ↩
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Traduction proposée : « La perception du consumérisme, en tant que terme, a également évolué avec le temps. Dans les années 1960, on parlait de la protection des droits des consommateurs. Dans les années 1990, sa signification a changé pour désigner l'achat excessif. » ↩
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FOSTER, Hal, Design & crime, Paris, Éditions Amsterdam/Les prairies ordinaires, traduit par Christophe JAQUET, Laure MANCEAU, Gautier HERRMANN, Nicolas VIEILLESCAZES, 2019, p. 51. ↩
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Ibidem, p. 59. ↩
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Ibid., p. 51. ↩
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PAPANEK, Victor, Design pour un monde réel, Mercure de France, Paris, 1971, p. 23. ↩