1. Définitions

Le dictionnaire Larousse évoque tous les usages du terme « caractère » :

« 1. Signe écrit ou gravé appartenant à un système d’écriture, de notation.

2. Marque distinctive, propriété de quelque chose, de quelqu'un.

3. Aspect particulier, qualité de quelque chose.

4. Aspect typique, original de quelque chose ; cachet.

5. Ensemble des dispositions affectives constantes selon lesquelles un sujet réagit à son milieu et qui composent sa personnalité.

6. Aptitude à affirmer vigoureusement sa personnalité, à agir avec fermeté.

7. Génétique. Désigne toute caractéristique individuelle transmissible de manière héréditaire aux générations suivantes.

8. Imprimerie. Lettre ou signe servant à la composition de textes.

9. Informatique ou télécommunications. Tout symbole (chiffre, lettre de l’alphabet, signe de ponctuation, etc.) employé pour se représenter des données en vue de leur traitement ou de leur transmission.

10. Informatique ou télécommunications. Quantité d’informations (6 à 8 bits en général) considérée par certains organes d’un ordinateur comme unité à traiter.

11. Religion. Marque spirituelle et indélébile qu’impriment certains sacrements dans l’âme du chrétien.

12. Statistique. Propriété que possèdent, à des degrés ou avec des modalités différentes, tous les individus d’une population, qui font l’objet de statistiques. »

Dictionnaire Larousse, [en ligne], URL : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/caract%c3%a8re/13058, consulté le 23/09/2021.

Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, quant à lui, précise le sens qui nous intéresse dans le cas du design :

« A – Vieilli. Signe gravé, écrit ou imprimé sur une surface quelconque, auquel on attribue un sens.

1. Empreinte marquée.

2. Lettre ou figure gravée sur un anneau, ou inscrite sur un parchemin, à laquelle la superstition populaire accordait un sens mystérieux en vertu d’un pacte conclu entre le porteur de la pièce et le diable.

B – Linguistique. Signe appartenant à un système d’écriture.

1. Symbole doué d’un sens dans un système d’écriture idéographique.

2. Signe appartenant à un système d’écriture non idéographique et recevant un sens par sa combinaison avec un ou plusieurs autres signes de même nature.

C – Imprimerie. Fonte portant à son extrémité une lettre, un groupe de lettres ou un signe utilisé pour l’impression typographique.

D – Signe conventionnel utilisé en mathématique, en chimie, etc. pour représenter un phénomène, une relation, une substance

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, [en ligne], URL : https://www.cnrtl.fr/definition/caractère, consulté le 23/09/2021.

La définition se précise davantage dans les ouvrages spécialisés en design graphique :

« Terme traditionnel pour la pièce de plomb porteuse du caractère en saillie. Le dessin en relief, ou œil de la lettre, est encré avant d’être transféré sur le papier par impression typographique. Les mots sont formés par l’assemblage de caractères. »

Alan et Isabella LIVINGSTON, Dictionnaire du graphisme, Paris, Thames & Hudson, 1998, p. 33.

« En français, ce terme est ambigu. Il désigne au départ un signe d’écriture gravé, écrit ou imprimé, c'est-à-dire le résultat graphique visible d’un geste (ou d’une suite de gestes) scripturaire. Par métonymie, il signifiera à partir du XVIIe siècle un type d’imprimerie, donc l’objet technique susceptible de produire, par empreinte, le signe dont il porte la forme en relief. Enfin, il est aujourd'hui couramment employé pour parler d’une création typographique d’un dessin particulier – les “caractères gothiques”, par exemple – toujours identifiée par un nom propre. Le Jenson, le Garamond, le Caslon, etc. sont ainsi des caractères distincts. À noter qu’à l’époque classique, chaque corps typographique nécessite la gravure d’un jeu complet de poinçons. La taille d’exécution des poinçons ayant une incidence directe sur le style du caractère final (en règle générale, plus contrasté et détaillé dans les grands corps, employés pour le titrage, que dans les petits, réservés à la composition du texte courant), chaque corps nouveau est également de facto un caractère nouveau – ce que souligne l’utilisation de noms spécifiques (on dira par conséquent “un Saint-Augustin de Fournier” pour désigner un corps 14 gravé par le typographe français Pierre Simon Fournier. »

Stéphane DARRICAU, Culture graphique : une perspective de Gutenberg à nos jours, Paris, Pyramyd, 2014, p. 230.

Ces différentes définitions nous permettent de dégager trois sens principaux du terme. D’un point de vue technique, le caractère correspond à la fois à l’outil qui permet de réaliser une empreinte, et le signe graphique qui en résulte. Le terme désigne également le dessin particulier d’un signe appartenant à un système d’écriture.

2. De l’allemand au français

Le terme est lié à la naissance de l’imprimerie en Allemagne. De fait, le terme allemand Buchstabe, que l’on traduirait plutôt par « lettre », est composé de buch (le livre) et stab (le bâton), se référant ainsi aux anciennes runes germaniques et scandinaves en forme de bâtons, gravées sur des planches.

Le terme schrift, quant à lui, signifie plutôt « police de caractères », et désigne une famille complète de caractères.

Le terme anglais character1, dont est issu le terme français, fait apparaître plus nettement le lien avec la gravure. Son étymologie latine, chăractēr, signifie « marque au fer rouge, empreinte, cachet, style, caractère ». Quant au grec kharakter, il signifie également « signe, empreinte ». Rappelons que cette notion d’empreinte gravée est également présente dans l’étymologie de du terme « typographie » : la racine grecque, tuptein, signifie « faire une empreinte, frapper (une monnaie) ». D’après ses considérations étymologiques, nous pouvons en déduire que la typographie serait l’action, l’acte, dont le caractère serait le résultat.

Les deux occurrences suivantes suggèrent que le caractère typographique est à la fois un signe linguistique et un signe visuel :

« Typographic characters are signs which are “of a particular design or style useful for the composition or printing of texts2”. They are signs in the ancient sense of the word “alique stat pro alique” [one thing which stands for another]. They lack autonomy, since they represent letters of the alphabet, thus corresponding to the phonetic uses of the language. They are, first, meant to be read and to represent discourse. Such is their function – the reason for their being drawn, engraved, and melted into the metal3. »

Jean-Gérard LAPACHERIE et Anna LEHMANN, « Typographic Characters: Tension Between Text and Drawing », Yale French Studies, n°84, 1994, p. 64.

« There is then an embryonic, “latent” if you will, conflict between characters considered as signs representing units of language and these same characters which are also drawings endowed with a proper autonomous meaning; between a text to be read and a text to be looked at; between reading and looking4. »

Jean-Gérard LAPACHERIE et Anna LEHMANN, « Typographic Characters: Tension Between Text and Drawing », Yale French Studies, n°84, 1994, p. 65.

3. Explication du concept

Le terme de « caractère » désigne un signe (qui n’est pas forcément une lettre) qui va servir à la composition d’un texte. Ce terme est d’abord lié à la naissance de l’imprimerie, dont il convient de rappeler ici le principe. Tout d’abord, des poinçons du caractère étaient gravés en relief afin de créer une matrice, dans laquelle étaient moulés des types. Les caractères typographiques qui résultaient de ce processus étaient rangés dans des casses, et servaient à composer manuellement les lignes de texte pour l’impression. De fait, chaque caractère est une unité qui comprend les caractéristiques suivantes : la forme du signe, son corps (taille), son style (romain ou italique) et sa graisse, ainsi que son approche (espace entre les lettres). On comprend avec ce dernier élément que les caractères sont des unités qui vont s’assembler dans un système, et que chaque variation d’une caractéristique entraîne la gravure d’un nouveau caractère. Aujourd'hui, les caractères n’étant plus gravés mais dessinés, le terme désigne plutôt le dessin particulier d’une typographie. On retrouve toujours l’association de la forme du signe, son style et sa graisse. Avec la numérisation des typographies, il est désormais possible de modifier le corps d’un caractère, et les approches entre les signes sont ajustées spécifiquement. Le caractère désigne plutôt maintenant le résultat graphique du dessin de caractère, qu’un signe gravé étroitement lié à la technique de l’imprimerie.

4. Problématisation

Bien qu’une grande partie du vocabulaire demeure, l’évolution des techniques et des savoir-faire nécessaires à la création de caractère s’accompagne, semble-t-il, d’un déplacement des professions.

Dans un premier temps, ceux qui seraient aujourd’hui les dessinateurs de caractères étaient en fait graveurs de poinçons, dont la technique appartient plutôt aux champs de la sculpture et de la métallurgie5. Le terme même de « fonderie », qui regroupait la gravure des caractères et leur fonte, suggère ce lien étroit à la métallurgie6. Dans un second temps, les compositeurs composaient manuellement les caractères pour former des lignes de texte. Bien que cette activité relève plutôt de l’exécution que de la création, peut-être peut-on suggérer ici un lien avec l’activité du designer graphique, qui va utiliser un caractère pour composer un visuel ? Enfin, les lignes de caractères composés étaient imprimées. Notons que l’imprimeur pouvait lui-même être compositeur, ou même graveur de poinçons. La distinction entre fonderie et imprimerie n’était donc pas forcément stricte.

À la fin du XVIIIe siècle, l’invention de la linotype permet de mécaniser la fonte et la composition des caractères, qui étaient jusqu’alors très chronophages. Conjointement, la machine pantographique va permettre de produire les matrices en grande quantité, à partir d’un dessin. Ce tournant marque donc la séparation entre la conception du dessin des caractères d’une part, et l’exécution des matrices d’autre part.

Aujourd’hui, cette séparation n’est plus nécessaire, étant donné que le dessin et la création d’une famille de caractère sont effectuées par un même praticien. Praticien qui peut d’ailleurs être le dessinateur de caractère… ou bien le designer graphique lui-même.

5. Illustration

Figure 1. Création, réalisation et utilisation des caractères au fil du temps, Margaux MOUSSINET.

Margaux MOUSSINET, doctorante en Arts et Sciences de l’art, spécialité design, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne


  1. Notons que l’anglais précise généralement que le caractère est « typographique », en utilisant l’expression « typographic characters ». 

  2. Définition extraite du Petit Larousse en couleurs, Paris, Larousse, 1989. 

  3. Proposition de traduction : « Les caractères typographiques sont des signes qui ont “un design ou un style particulier utilisé pour la composition ou l’impression de textes.” Ce sont des signes dans le sens premier du mot “aliquid stat pro alique” [une chose qui en représente une autre]. Ils n’ont pas d’autonomie, puisqu’ils représentent les lettres de l’alphabet, et correspondent donc à l’usage phonétique de la langue. Ils sont, d’abord, voués à être lus et à représenter le discours. Telle est leur fonction – leur raison d’être dessinés, gravés et moulés en métal. » 

  4. Traduction possible : « Il y a donc un conflit à l’état embryonnaire, “latent”, si vous préférez, entre les caractères considérés comme des signes qui représentent des unités de langage, et ces mêmes caractères qui sont aussi des dessins dotés de leur propre sens autonome ; entre le texte à lire et le texte à voir ; entre lire et regarder. » 

  5. Précisons que la grande majorité des caractères, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, étaient en plomb. 

  6. Aujourd'hui, le terme de « fonderie » se réfère à la structure qui diffuse et/ou commercialise les caractères dessinés, afin qu’ils puissent être utilisés.