1. Définition

Dans le Le Robert, la « décroissance » est définie comme :

« 1. État de ce qui décroît. 2. Projet politique remettant en cause la croissance économique. »

Le Robert Poche, Paris, Le Robert, 2019, p. 183.

Pour saisir le terme à travers son emploi, prenons quelques exemples.

« La décroissance se définit simplement par opposition à la croissance : parce que la croissance n’est pas la solution mais le problème. Or la croissance n’est pas une idéologie, c’est juste l’effet d’une idéologie : celle du productivisme. »

Michel LEPESANT, Politique(s) de la décroissance. Propositions pour penser et faire la transition, Paris, Les éditions Utopia, coll. Décroissance, 2018, par. 4.5 (ebook).

« […] [J]e crois maintenant nécessaire de faire une claire distinction entre “objection de croissance” et “décroissance” ; celle-là est une “attitude” quand celle-ci désigne un “trajet”. Seul un trajet mérite une stratégie politique. »

Michel LEPESANT, Politique(s) de la décroissance. Propositions pour penser et faire la transition, Paris, Les éditions Utopia, coll. Décroissance, 2018, par. 6.1 (ebook).

« La décroissance ou l’antiproductivisme optimiste (peu importe finalement le terme) n’est pas seulement l’addition des trois postures (individuelle, collective et politique), c’est d’abord et avant tout, la recherche d’une articulation entre elles. Ce qui fait lien, du point de vue de la décroissance, c’est la question d’une vie bonne, c’est-à-dire d’une vie permettant de (re)devenir plus autonome. »

Paul ARIÈS, La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance, Paris, Éditions La Découverte, coll. Poche / Essais n°350, (2010)2011, par. 24.12 (ebook).

Ces trois exemples illustrent la portée politique et économique d’une notion forgée en opposition à la croissance et à l’idéologie du productivisme. Ils nous permettent de concevoir la décroissance comme un changement progressif dans notre style de vie qui requiert parallèlement un effort individuel et collectif, en termes de production mais aussi de consommation. Ce qu’il faut retenir c’est que la décroissance représente dans le design une position engagée qui ne s’oppose pas directement au développement, mais qui propose un nouveau type de développement plus conséquent, respectueux de l’autonomie des individus et des sociétés.

2. Du français à l’anglais

Le terme décroissance a été conçu pour la première fois en 1972 par l’intellectuel français André Gorz¹. Même si, dans Designs for the Pluriverse. Radical Interdependence, Autonomy, and the Making of Worlds, Arturo Escobar reconnaît l’origine française du terme décroissance et de sa théorisation, il travaille sa traduction à l’anglais : degrowth. Il est pertinent donc de voir quelques utilisations dans cette langue.

« Degrowth signifies, first and foremost, a critique of growth. It calls for the decolonialization of public debate from the idiom of economism and for the abolishment of economic growth as a social objective. Beyond that, degrowth signifies also a desired direction, one in which societies will use fewer natural resources and will organize and live differently than today². »

Giorgios KALLIS, Federico DIMARIA and Giacomo D’ALISA, “Introduction: Degrowth”, dans Degrowth: A Vocabulary for a New Era, Londres, eds. G. D’Alisa, F. Demaria et G. Kallis, 2015, par. 73 (ebook).

Arturo Escobar reprend la notion de Kallis, Dimaria et D’Alisa en soulignant son enjeu politique, économique, écologique et social, ces auteurs ayant eux-mêmes continué à travailler le terme depuis le contexte éco-social dans lequel il été conçu par André Gorz.

« Degrowth articulates a political vision of radical societal transformation, appealing to broad philosophical, cultural, ecological, and economic critiques of capitalism, the market, growth, and development³. »

Arturo ESCOBAR, Designs for the Pluriverse. Radical Interdependence, Autonomy, and the Making of Worlds, Chapel Hill, USA, ed. Arturo Escobar et Dianne Rocheleau, 2018, p. 145.

Ce qu’il faut remarquer de l’utilisation introduite par Escobar tout au long de son œuvre, c’est le caractère philosophique de la décroissance comme critique à une idéologie occidentale et capitaliste. L’origine du concept est donc francophone, mais son utilisation a été répandue dans d’autre langues telles que l’anglais (degrowth), l’espagnol (decrecimiento) et le portugais (decrescimento). Ce fait n’a pas seulement permis une expansion de la définition de décroissance et de sa théorie, mais surtout cela nous montre comment cette théorie fait écho dans des champs internationaux et inter-linguistiques : sa traduction a trouvé des contextes sociaux où son utilisation était utile, voire nécessaire.

3. Explication et problématisation du concept

Les définitions coïncident dans leur défense d’une réduction de la consommation, ce qui concerne l’économie et l’organisation sociale, mais aussi l’écologie et le design. La question sur la décroissance se pose à partir de deux axes centraux. D’une part, la production actuelle excède notre capacité et notre responsabilité ; elle n’est pas contrôlée et surpasse notre capacité de consommation. D’autre part, la production aujourd’hui se développe dans un contexte d’aliénation entre les humains et leurs objets, le travail en arrière-plan est caché, celui du design inclus.

Selon Escobar, la décroissance ne doit pas se limiter à une réduction de la production : il faut aussi produire autrement. Ce point-là soulève un problème non seulement économique mais aussi culturel, politique et philosophique. Produire autrement implique de repenser tous les champs de construction de l’identité humaine dès qu’elle touche les imaginaires de notre construction ontologique : il s’agit de produire autrement, certes, mais cela passe par une façon autre d’être en tant qu’humains. La décroissance risque de voir sa conceptualisation tergiversée par le biais du « greenwashing » ou d’autres concepts qui laissent intacte la construction de base de l’économie.

Comme expliqué par Alan Findeli et Rabah Bousbaci dans L’éclipse de l’objet dans les théories du projet en design, « le centre d’intérêt se déplace de l’objet vers les fonctions de l’objet puis, récemment, vers l’expérience ou, plus globalement encore, le mode de vie des usagers⁴ ». Escobar se situe lui-même depuis les théories anthropologiques et philosophiques du design qui placent la question ontologique —de l’être humain — au centre de la discussion. Il souligne la valeur idéologique du design et de l’objet en tant que construction de pensée et de monde. De plus, l’objet ne peut pas être considéré en dehors de son existence médiée par la culture. La discussion esthétique autour du design est étroitement liée à la discussion philosophique et anthropologique, dès que le mode de vie de l’usager bascule sur l’objet par le biais d’une relation réciproque.

Restent encore quelques questions : comment le design peut-il se penser au-delà du paradigme du développement ? Comment exercer le design, une discipline fondée sur la création des objets, dans un monde saturé d’objets ?

Laura Andrea GONZÁLEZ-RÍOS, Anthropologue, Master 1 Esthétique, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2021-2022.