1. Définition

D'après Le Robert, la notion de « déséquilibre » désigne une « absence d'équilibre », une « absence d'égalité, d'harmonie entre » deux choses ou encore un « état psychique qui se manifeste par des difficultés d'adaptation, des changements d'attitude immotivés, des réactions asociales ».

« Déséquilibre – déséquilibré », Le Robert – dico en ligne, consulté le 30 octobre 2022. En ligne : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/desequilibre.

L'ensemble de ces définitions dresse un portrait générique de la notion. Dans le cadre du design, le « déséquilibre » désigne une méthode pour infiltrer l'horizon social comme le décrit Ugo La Pietra :

« [...] le refus d'opérer dans la logique du système et, par conséquent, l'identification d'opérations esthétiques capables de décoder, provoquer, donner la possibilité de briser les schémas préconstitués. »

Ugo LA PIETRA , Habiter la ville, 1967, traduction française, Frac-Centre, Orléans, éditions HYX, 2009.

Ainsi, le « déséquilibre » est perçu comme un contre-système (normal et normatif) grâce à la déstabilisation des repères perceptifs, cognitifs et sociaux en intervenant à l'intérieur du système et des structures qu'il impose.

2. Du latin au français

Du latin aequilibrium, dérivé de aequus « égal » et libra « balance, poids, livre », le mot « déséquilibre » est un dérivé du mot « équilibre ». Sa première occurrence date de 1883 dans Essais de psychologie contemporaines¹ de Paul Bourget, et son emploi est alors dans un cadre médical : il est alors synonyme d’aliénation. Depuis, le terme a largement été traduit et employé dans le langage courant. Il faudra cependant attendre le design radical italien des années 1960 pour qu'il soit théorisé et employé comme notion et concept de création. Dès lors, nombreux sont les projets au cœur de ce design radical qui prône un refus systémique en expérimentant le « déséquilibre » grâce à l'isolement², ou la désadaptation.

3. Explication du concept

Le concept de « déséquilibre » comme l'emploient Johanne Dautrey et Emmanuel Quinz dans Strange Design. Un design des objets au design des comportements³ est intimement lié à la notion d'étrange. Sa pratique se développe dans un échange avec la théorie en lien avec l'art, la philosophie et les sciences humaines, ce qui permet pour la première fois, une approche critique du design.

Le dispositif Il Communatore⁴ d'Ugo La Pietra est un exemple de l'emploi virulent du déséquilibre comme déviation de la norme posturale visant à créer des états de crise dans un système homéostatique et de briser un équilibre acquis et politique qui conditionne les comportements. C'est dans la même perspective que les projets tels que le Controdesign de Sottsass, l'Anti-Design de Joe Colombo ou encore l'humanisme pragmatique d'Enzo Mari voient le jour, tous sont des expériences visant un renouvellement des valeurs humanistes dans le design. Les projets, aux allures utopistes, permettent en effet la généralisation de l'impact de la superstructure comme matrice sociale, proposant ainsi des visions de la réalité actuelle à travers une nouvelle conscience critique.

4. Problématisation

En accord avec la pensée du « design de l'étrange », la notion de « déséquilibre » conduit à des objets et projets radicaux permettant ainsi d'introduire l'idée selon laquelle si à l'époque de l'industrialisation, le fonctionnalisme moderne avait fait opposition à la prolifération de l'inutile et du superflu à travers une rigueur dans la forme, la fonction et la technique, l'individu pourrait aujourd'hui se soustraire aux schémas comportementaux définis par la société. En réponse directe, la stratégie du « déséquilibre », qu'il réside dans un projet d'objet banal ou de la superstructure, propose un panel d'outils analytiques permettant de mettre en crise entre la culture de la consommation et la fonction.

Le « déséquilibre » comme désadaptation, qui n'affranchit pas des barrières, les multiplie, pour réveiller la conscience d'un état de malaises et de contraintes. Au centre de ce discours se situe une réactualisation de l'homme rendu désintellectualisé. En impliquant l'usager dans les pratiques créatives collectives, le « déséquilibre » a comme prétention de penser un design avec la société, et non plus dans la société, et cela passe par le déplacement de l'axe d'intérêt porté à l'objet.

En appliquant le « déséquilibre », signe de dérangement au design, les projets sont libérés de tout impératif créant un mouvement de refus face à l'uniformisation des schémas idéologiques, ils deviennent alors porteurs d'émancipation.

Alice L'HOTTE, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023

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