1. Définition
La notion de « profanation » est présente dans les dictionnaires les plus courants. On trouve, par exemple :
- Action de profaner, de souiller des objets ou des lieux sacrés.
- Action de dégrader, d'avilir ce qui est sacré, précieux.
- Conversion d'une chose sacrée à un usage profane, en excluant toute idée de sacrilège.
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/profanation/64146, consulté le 1à janvier 2022.
L’aspect religieux étant au cœur de cette notion, il est intéressant de voir comment différents auteurs, dont Giogio Agamben, chez qui la notion est centrale, peuvent l’appréhender. Prenons quelques exemples.
« Nous pouvons remarquer que le sacré a une précédence sémantique sur le profane : on ne peut “profaner“ que si l’on a pris conscience et en quelque sorte admis d’abord l’existence du sacré – autrement dit, c’est en passant par une aliénation première que le néotène peut envisager une émancipation. Le terme de profanation ne signifie pas ici indifférence, saccage, destruction de ce qui était sacré – c’est ce en quoi l’attitude de quelqu’un comme Pasolini est exemplaire. [...] Ainsi, profaner, c’est n’est pas tant abolir les séparations qui existent dans la sphère de la culture, c’est plutôt se permettre de jouer avec ces séparations. »
Gabriela PATIÑO-LAKATOS, Dany-Robert DUFOUR, «La religion ou Pourquoi les hommes éprouvent-ils l’irrépressible besoin de créer des êtres de surnature ? », Revue du MAUSS, Lormont, Éditions Le Bord de l’eau, n°49, 2017, p. 227.
« La profanation est le contre-dispositif qui restitue à l’usage commun ce que le sacrifice avait séparé et divisé. »
Giorgio AGAMBEN, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Payot et Rivages, 2007 , p.40.
Si le concept de la profanation a une connotation religieuse, ces deux auteurs montrent qu’il s’agit surtout d’un lien entre ce qui est sacré et ce qui est commun, d’un passage de frontière entre ces deux domaines.
2. De l’italien au français
L’auteur italien a travaillé cette notion de profanation dans Che cos’è un dispositivo ? existe-t-il des différences importantes entre l’italien et sa traduction française ? Prenons quelques exemples.
« Poiché si tratta di liberare ciò che è stato catturato e separato attraverso i dispositivi per restituirlo a un possibile uso comune. E in questa prospettiva che vorrei ora parlarvi di un concetto su cui mi è capitato di lavorare di recente. Si tratta di un termine che proviene dalla sfera del diritto e della religione romana (diritto e religione sono, non soltanto a Roma, strettamente connessi) : profanazione1.»
Giorgio AGAMBEN, Che cos’è un dispositivo ?, Milan, Nottetempo, 2006, p. 37.
« La profanazione implica, invece, una neutralizzazione di ciò che profana. Una volta profanato, ciò che era indisponibile e separato perde la sua aura e viene restituito all’uso. Entrambe sono operazioni politiche: ma la prima ha a che fare con l’esercizio del potere, che garantisce riportandolo a un modello sacro; la seconda disattiva i dispositivi del potere e restituisce all’uso comune gli spazi che esso aveva confiscato2… »
Gabriela GUIDICI, Agamben, Elogio della profanazione, 2013, Consulté en ligne le 06/11/2021, https://gabriellagiudici.it/18291/
En français comme en italien le concept de profanation reste le même, mais nous pouvons constater la charge politique qui est devenue la sienne à partir des textes d’Agamben.
3. Explication et problématisation du concept
Comme beaucoup des concepts dont se sert Giorgio Agamben pour établir qu'il nous faut nous libérer des dispositifs qui nous entourent, la profanation vient de la religion. Ici la profanation a pour principe de restituer ce qui appartient aux hommes et donc se réapproprier quelque chose qui nous a été enlevé : en ce sens, la profanation est en quelque sorte une libération.
Pour Agamben, la profanation est un contre-dispositif3 ; il rend libre d’usage commun les édifices religieux et sacrés, c’est pourquoi il l’indique comme une solution pour se libérer des dispositifs. C’est aussi une façon pour Agamben de démystifier ceux-ci et de soutenir qu’il est possible, par la profanation, de les utiliser autrement et d’avoir d’en avoir usage nouveau. De plus, avec ce concept de profanation, l’auteur dénonce les gouvernements et le capitalisme et compare celui-ci à une religion, la religion de la société actuelle, puisque les gouvernements cherchent à mettre en place des populations homogénéisées et dociles pour mieux les contrôler.
Les designers, tout comme les architectes, ont eux aussi un rôle à jouer dans ce type de profanation, puisqu’ils contribuent à créer des dispositifs comme des dispositifs spatiaux (musées, gares, centres commerciaux...) Les conceptions sont laissées entre leurs mains et la plupart du temps ils répondent à un cahier des charges techniques sans se soucier de l’expérience des usagers ou alors pour manipuler leurs comportements et les flux. Et si on pouvait désacraliser et profaner, au sens d’Agamben, la position du designer/ architecte ? On peut peut-être dire qu’un architecte comme Patrick Bouchain a trouvé une réponse à cette question. En effet, l’architecte a par exemple mis en place une équipe pour réaménager un quartier à Boulogne-Sur-Mer, tout en démontrant que les logements sociaux sont plus contraignants qu’aidants. La notion d’hospitalité est traitée avec l’aide des habitants du quartier, ainsi les architectes ne travaillent plus seuls mais en équipe avec les principaux concernés. Le design participatif engage une sorte de profanation de cette profession. Il recentre aussi la réflexion sur le rôle du designer dans la société et sur comment il peut améliorer le quotidien des populations non pas à lui tout seul mais en harmonie avec les utilisateurs redevenus habitants.
Lauriane GIRARD, Master 2 « Design Arts et Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022
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Nous traduisons : « Puisqu'il s'agit de libérer ce qui a été capturé et séparé avec les dispositifs pour le rendre à une possible utilisation commune. C'est dans cette perspective que je voudrais maintenant vous parler d'un concept sur lequel j'ai travaillé récemment. Il s'agit d'un terme qui provient de la sphère du droit et de la religion romaine (le droit et la religion sont, non seulement à Rome, mais en étroite relation): la profanation. » ↩
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Traduction par mes soins : « La profanation implique une neutralisation de ce qu'elle profane. Une fois profané, ce qui n'était pas disponible et séparé perd son aura et est réutilisé. L'une et l'autre sont des opérations politiques : mais la première a trait à l'exercice du pouvoir, qu'elle garantit en le ramenant à un modèle sacré ; la seconde désactive les dispositifs de pouvoir et rend à l'usage commun les espaces qu'elle avait confisqués. » ↩
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Giorgio AGAMBEN, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Payot et Rivages, 2007 , p. 41. L’idée de contre-dispostif peut être illustrée par le rôle joué par les Fables de La Fontaine quand celui-ci s’essaie à se moquer des puissants et notamment de Louis XIV. ↩