1. Définition

La notion de « Spaceship Earth », que l’on peut traduire par «  Vaisseau spatial Terre  », a été forgée par Richard Buckminster Fuller. Elle lui permet d’envisager la terre comme un objet technique complexe, qu’il est possible de penser en termes de design. Cette notion semble aujourd’hui être devenue une sorte de lieu commun, comme tend à le montrer cette interview de l’astronaute Thomas Pesquet :

« La Terre, c’est notre vaisseau spatial. C’est une analogie facile mais nous on est six dans un vaisseau avec des ressources limitées qu’il faut qu’on entretienne si on veut que le voyage continue sans avoir de problème. On n’a pas choisi nos co-équipiers, on fait avec. Sur Terre, c’est pareil. On est quelques milliards avec des ressources limitées, on ne s’est pas choisi, on n’a pas choisi ses voisins, on n’a pas choisi le pays d’à-côté, mais on n’a pas le choix, il faut entretenir le vaisseau et faire en sorte d’utiliser les ressources de manière durable pour que le voyage continue ».

Cécille MIMAUT et Julien MOCH, « Envoyé spatial. “La Terre, c’est notre vaisseau spatial, avec des ressources limitées qu’il faut entretenir si l’on veut que le voyage continue” », France Info, 2017, [en ligne]. Url : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/envoye-spatial/envoye-spatial-la-terre-cest-notre-vaisseau-spatial-avec-des-ressources-limitees-quil-faut-entretenir-si-l-on-veut-que-le-voyage-continue_2065369.html [consulté le 12/01/22].

2. De l’anglais au français

Il y a toutefois des différences notables entre l’idée développée dans cette citation et la manière dont Buckminster Fuller conçoit le « vaisseau spatial terre ». Pour ce dernier en effet, le design de la planète Terre et son fonctionnement technologique sont au moins aussi importants que le caractère limité des ressources. 

« Our little Spaceship Earth is only eight thousand miles in diameter, which is almost a negligible dimension in the great vastness of space. Our nearest star – our energy-supplying mother ship, the sun – is ninety-two million miles away, and the next nearest star is one hundred thousand times further away. It takes two and one-half years for light to get us from the nearest energy supply ship star. That is the kind of space-distanced pattern we are flying. […] Spaceship Earth was so extraordinarily well invented and designed that to our knowledge humans have been on board of it for two million years not even knowing that there were on board of a ship. And our spaceship is so superbly designed as to be able to keep life regenerating on board despite the phenomenon, entropy, by which all physical systems lose energy. So we have to obtain our life-regenerating energy from another spaceship – the sun1. »

Richard BUCKMINSTER FULLER, Operating Manual for Spaceship Earth, Zurich, Lars Müller Publisher, 2008, p. 57-58.

Cette différence est certainement liée au contexte historique. L’ouvrage de Buckminster Fuller paraît en 1969, l’année de la mission Appolo 11, dans un contexte ou l’imaginaire technologique de la conquête spatiale est bien plus présent que la question de la limitation des ressources terrestres. Il n’est toutefois pas impossible que cette différence soit aussi liée à un problème de traduction. En anglais, le terme ship peut être utilisé comme un verbe d’action : to ship something signifie envoyer quelque chose. Le terme désigne ainsi d’une action concrète visant un objectif déterminé, action qui peut donc être appréhendée de manière technique.

Le terme « vaisseau », en revanche, signifie à l’origine un conduit ou un canal, comme l’indique l’expression de « vaisseaux sanguins ». Le terme renvoie donc à l’idée de quelque chose qui circule et qui est mue par une force extérieure. Il s’agit donc d’une action qui ne peut être aussi facilement appréhendée comme une opération technique. De plus, l’emploi de « vaisseau » pour désigner un navire est un usage vieilli, de sorte que ses connotations ne renvoient pas directement à la technologie moderne.

3. Problématisation

L’idée de considérer la terre comme un vaisseau spatial permet à Buckminster Fuller d’opérer une synthèse entre l’écologie et le design. Il s’agit en effet de penser la terre comme un objet technique complexe naviguant dans l’espace et permettant, par ces systèmes de régulation interne, la perpétuation de la vie. De sorte que l’équilibre de l’écosystème terrestre est envisagé comme la fonction d’un système technique, fonction à laquelle participent tous les êtres présents sur terre. Pour Buckminster Fuller, les hommes ont un rôle spécial à jouer dans le fonctionnement du Vaisseau spatial Terre. Puisqu’ils sont capables de comprendre les principes généraux qui régissent cet appareil, ils doivent aussi en assumer le contrôle, c’est-à-dire veiller à son équilibre global. Or, cette tâche est essentiellement une tâche de design. De son point de vue, le design consiste en effet dans le fait de découvrir des solutions techniques optimales, c’est-à-dire qui aient le meilleur rendement énergétique possible. Du fait de leurs connaissances scientifiques et de leurs capacités techniques, les hommes doivent donc devenir les designers du vaisseau qui leur permet de survivre et de naviguer dans l’espace. Pour Buckminster Fuller, l’écologie n’est donc pas pensée comme un retour à un rapport immédiat à la nature. La métaphore du vaisseau spatial lui permet au contraire d’indiquer que la connaissance de la nature est toujours médiatisée par des connaissances scientifiques et des inventions techniques.

Jérémie ELALOUF, Maître de conférences en design à l’Université Toulouse Jean Jaurès, Institut Supérieur Couleur, Image, Design (ISCID), Centre universitaire de Tarn-et-Garonne.


  1. « Notre petit Vaisseau spatial Terre ne fait que douze mille kilomètres de diamètre, ce qui est une distance quasiment négligeable comparée à l’immensité de l’espace. L’étoile la plus proche de nous – notre vaisseau mère qui nous fournit en énergie, le soleil – est distante de cent cinquante millions de kilomètres, tandis que la seconde étoile la plus proche est cent mille fois plus loin. Il faut deux ans et demi à la lumière pour arriver au vaisseau spatial fournisseur d’énergie le plus proche. […] Le Vaisseau spatial Terre a été si bien conçu et designé qu’à notre connaissance les êtres humains ont été à son bord pendant deux millions et demi d’années sans même savoir qu’ils étaient à bord d’un vaisseau spatial. Et notre vaisseau est si magnifiquement designé qu’il est capable de maintenir à son bord la régénération de la vie malgré le phénomène de l’entropie, qui fait que tous les systèmes physiques perdent de l’énergie. Nous devons donc obtenir l’énergie permettant de régénérer la vie d’un autre vaisseau, le soleil ». [Nous traduisons] »