1. Définitions

Cette notion est définie par le Centre de Ressources Textuelles et Lexicales comme :

« Créé par l’imagination, qui n’a d’existence que dans l’imagination. Abîme, danger, péril imaginaire ; ciel, dieu, objet imaginaire ; fait imaginaire ; apparition imaginaire ; craintes, soucis imaginaires. »

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/imaginaire (Consulté le 29/05/2021)

On peut retrouver ce terme dans le texte que Jean-Paul Sartre lui a dédié :

« Nous sommes à même, à présent, de comprendre le sens et la valeur de l’imaginaire. Tout imaginaire paraît “sur fond de monde”, mais réciproquement toute appréhension du réel comme monde implique un dépassement caché vers l’imaginaire. Toute conscience imageante maintient le monde comme fond néantisé de l’imaginaire et réciproquement toute conscience du monde appelle et motive une conscience imageante comme saisie du sens particulier de la situation. »

Jean-Paul Sartre, Imaginaire, Paris, Gallimard, 1940, p. 238.

CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/imaginaire (Consulté le 29/05/2021).

En plus de Sartre, Gaston Bachelard a également consacré certaines de ces recherches sur cette notion. Dans la conférence « Gaston Bachelard et l’imaginaire », le philosophe Jean-Jacques Wunenburger explique davantage ce que ce terme sous-entend :

« [...] tels sont les résultats que Bachelard va tirer concernant l’imagination et l’imaginaire, l’imaginaire n’étant que l’ensemble du processus à la fois passif et actif, subjectif et externalisé de l’imagination. »

Jean-Jacques Wunenburger, « Gaston Bachelard et l’imaginaire », 20 juin 2020, Disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=xFwCNgDbqnU (Consulté le 29/05/2021) Passage à 14:49.

Pour développer cette notion, il est intéressant de l’inscrire dans un contexte. Prenons par exemple le cas de l’imaginaire spatial (productions, créations, pensées, entre autres), particulièrement foisonnant. Hannah Arendt parlait de l’exploration spatiale en ces termes :

« Un changement réel du monde humain, la conquête de l’espace (ou comme on voudra dire), ne sera achevé que lorsque des engins spatiaux transportant des êtres humains seront lancés dans l’univers afin que l’homme lui-même puisse aller où jusqu’à présent seuls l’imagination humaine et son pouvoir d’abstraction pouvaient aller… Mais, même pour cette œuvre limitée, nous devons quitter le monde de nos sens été de nos corps, pas seulement en imagination, mais en réalité1. »

Dans son texte « Peupler le ciel2 », Denys Riout pointe du doigt le fait que « L’imaginaire artistique du ciel habité s’est considérablement modifié depuis que l’homme est parvenu à monter réellement dans le ciel, tout d’abord en ballon, puis à y voyager à bord d’engins plus lors que l’air et enfin à échapper à l’attraction terrestre pour explorer l’univers. » Ces deux citations côte à côte mettent en avant cet aspect évolutif, un constant enrichissement de l’imaginaire. Il s’alimente et construit des rêves qui pour certains ne verront jamais le jour, et qui pour d’autres seront réalisés quelques décennies ou siècles plus tard.

2. Du latin à nos jours 

Le terme imaginaire, tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, est directement issu du latin comme le précise le dictionnaire La langue française.

« Du latin imaginarius, de même sens, dérivant de imago (“image”). »

La langue française : https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/imaginaire (Consulté le 29/05/2021)

Le terme d’imaginaire est présent dans bon nombre de langues tout comme ses synonymes, ou notions proches. Pour les Anglais, il devient Imaginary - avec ses synonymes : notional, fancy - et Imagination pour l’imagination. On le retrouve dans des textes comme « Imagining Mars » de Mike Ashley : « Before then, even the best telescopes showed only a blurred surface, with markings that were open to interpretation and left a lot to the imagination3 » ou encore, dans le même texte : « Four centuries after Galileo, Mars still captures our imagination4. »

En espagnol et italien, il est également proche de notre mot puisqu’issu de la même racine. Il devient donc respectivement Imaginario — irreale, ficticio, fantástico— et Immaginario : inesistenteinventato, fantastico.

Ces traductions sont particulièrement intéressantes au regard de leurs synonymes. Chimérique, impossible, illusoire, faux, fictif - entre autres exemples -, ne sont pas particulièrement positifs, alors que l’imaginaire est souvent perçu comme créatif, en émulsion, bouillonnant. Or on voit bien que même dans plusieurs langues, les synonymes semblent créer une dissociation entre réel et imaginaire, comme Sartre pouvait le faire. Dans son livre L’imaginaire5, Sartre s’applique à montrer que le monde imaginaire est complètement isolé de la réalité, car il est pensé comme on le souhaite, par nos décisions, contrairement à la réalité qui amène des incertitudes dans les choses, où tout ne peut pas être contrôlé. Pour lui, le rêve est la réalisation parfaite d’un univers clos. Il explique alors qu’« on ne fuit pas seulement le contenu du réel - pauvreté, amour déçu, etc. -, on fuit la forme même du réel, son caractère de présence, le genre de réaction qu’il demande de nous, la subordination de notre conduite à l’objet, l’inépuisabilité des perceptions, leur indépendance... Cette vie factice figée ralentie, scolastique, qui pour la plupart des gens n’est qu’un pis-aller, c’est elle précisément qu’un schizophrène désire. Le rêveur morbide qui s’imagine être roi ne s’accommoderait pas d’une royauté effective ; même pas d’une tyrannie où tous ses désirs seraient exaucés », car « jamais un désir n’est à la lettre exaucé du fait précisément de l’abîme qui sépare le réel de l’imaginaire. » Or l’imaginaire impacte de manière certaine le réel notamment par les créations qu’il suscite.

Le philosophe Jean-Jacques Wunenburger s’attarde sur la traduction allemande de cette notion : « N’oublions pas que l’imagination était très longtemps appelée en latin une vis, une force, ce que retrouve l’allemand, Kraft. Et l’imaginaire est un processus complexe de mise en images, de transformation en images et des images, ce que signifie bien le terme allemand Bildung, qui est en quelque sorte aplani, réduit par l’usage du mot latin « imagination6 ».

3. Explication du concept 

L’imaginaire est une notion centrale dans le travail du designer. À la fois parce qu’elle met en avant ce processus de pensée lié à la créativité, mais également parce que l’imaginaire dans le sens où il regroupe des productions - ensemble de créations qui forment un imaginaire lié à un sujet -, est source d’inspiration. L’imaginaire est intégré au processus de création en tant que pensée par l’imagination - transmise en dessin ensuite - ou en tant que corpus. D’ailleurs Jean-Jacques Wunenburger explique que pour Bachelard :

« La liberté de l’imagination consiste non à fuir le réel pour s’installer comme chez Sartre dans un monde imaginaire, mais à pénétrer dans le monde concret pour le dilater, l’animer, y faire surgir des virtualités inédites7. »

L’imaginaire permet une projection, fictive dans un premier temps, dont peuvent découler des créations bien réelles, totalement innovantes. Par le rêve, la fiction, l’imaginaire influence la réalité, notamment par l’intermédiaire des designers qui, par leurs créations, font office de médiateurs.

Si l’on reprend les explications Jean-Jacques Wunenburger sur les travaux de Bacherlard, l’imaginaire nous permet d’habiter le monde :

« D’où cette thématique très importante que l’imagination et l’imaginaire ne sont pas simplement des suppléments esthétiques, ne sont pas simplement des divertissements qui permettent d’enjoliver en quelque sorte l’existence ou la distraire au sens de Pascal. Mais l’imaginaire nous permet d’habiter le monde. Il n’est pas du tout anodin de voir que Bachelard a focalisé ses analyses sur l’habitat, sur la maison. Certes, la maison européenne à étage avec cave et grenier n’est pas le modèle universel d’architecture, mais cette maison est, pour lui, le premier laboratoire d’exploration des grandes forces, des grandes structures de l’imaginaire ; laboratoire qui montre combien notre présence au milieu de l’espace, des matières, des formes et des mouvements se fait par l’imagination. Nous ne sommes pas adaptés à un monde purement fonctionnel. Nous devons enrichir le monde fonctionnel de toutes ces valeurs symboliques, ces valences oniriques, celles qui nous permettent vraiment d’habiter le monde, et donc la relation d’habitation, la relation ontologique au lieu, comme à l’instant, sont des réponses fondamentales de Bachelard, à travers lesquelles il existe des consonances tout à fait étonnantes avec des thèses défendues par Merleau-Ponty ou par Heidegger8. »

Cette idée que l’imaginaire nous permet d’habiter le monde n’est pas sans rappeler le point de vue d’Alain Findeli sur le design dont « la finalité » est d’améliorer ou au moins de maintenir "l’habitabilité" du monde dans toutes ses dimensions9 ». Imaginaire et design seraient donc absolument liés, notamment par leur objectif commun.

L’imaginaire est donc une constituante majeure dans le travail des designers et des disciplines créatives de manière générale, mais il est également fondamental pour les êtres humains, puisqu’il est directement lié à notre identité, comme l’explique Jean-Jacques Wunenburger lorsqu’il synthétise la réflexion de Bachelard : « L’imaginaire assure une relation à l’homme profond, à la profondeur humaine et l’imagination, d’une certaine manière, comme la mémoire très proche, ce que Bergson avait déjà parfaitement établi, nous ramène en quelque sorte à l’ « arkhè » de notre être, au commencement, aux principes. Et l’importance que Bachelard accorde à l’imagination de l’enfance, plus que de l’enfant, est le signe justement que l’imagination est à la fois une source d’inscription dans un espace, mais aussi remonte dans le temps originel, dans le temps immémorial à partir duquel se constitue notre véritable être, notre véritable identité, ou plutôt notre véritable ipséité pour parler comme Ricœur10. »

À cela on peut ajouter que pour Bachelard la notion d’imaginaire était en lien direct avec la notion de bonheur :

« En montrant que l’imagination, lorsqu’elle n’est pas reproductrice, lorsqu’elle n’est pas obsessionnelle, lorsqu’elle n’est pas répétitive, mais lorsqu’elle est vraiment créatrice et transformatrice, l’imagination est une source non pas de souffrance, mais de bonheur. Cette idée de bonheur de l’imagination, de bonheur de la vie et de la rêverie, rêverie solitaire, rêverie partagée par les arts, c’est le message fondamental de Bachelard11 ».

Coralie LHABITANT, Designer, diplômée du Master 2 « Design, Arts, Médias », 2019-2020.


  1. Hannah ARENDT, la Crise de la culture, Paris, Gallimard, 1963. 

  2. Gérard AZOULAY (dir.), Le musée imaginaire de l’Espace, Manifestation 2, L’espace habité, Paris Observatoire de l’espace/CNES, 2008. 

  3. Justin McGUIRK, Andrew NAHUM et Eleanor WATSON, Moving to Mars, Design for the red planet, Londres, The Design Museum, 2019.
    Traduction de la citation par nos soins : « Avant cela, même les meilleurs télescopes ne montraient qu'une surface floue, avec des marques ouvertes à l'interprétation et laissant beaucoup de place à l’imagination. » 

  4. Traduction par nos soins : « Quatre siècles après Galilée, Mars captive toujours notre imagination » 

  5. Jean-Paul SARTRE, L’imaginaire, Paris, Gallimard, 1940 ; rééd., 2005. 

  6. Jean-Jacques WUNENBURGER, « Gaston Bachelard et l’imaginaire », 20 juin 2020, Disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=xFwCNgDbqnU (Consulté le 29/05/2021), Passage à 15:08 

  7. Jean-Jacques WUNENBURGER, Gaston Bachelard, la poétique des images, Italie, Mimesis, 2014. 

  8. Jean-Jacques WUNENBURGER, « Gaston Bachelard et l’imaginaire », 20 juin 2020, Disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=xFwCNgDbqnU (Consulté le 29/05/2021), Passage à 26:23. 

  9. Alain FINDELI, « Searching for Design Research Questions. A Conceptual Clarification », in Chow, R., Jonas, W. et Joost, G. (dir.), Questions, Hypotheses & Conjectures, Berlin, iUniverse, p. 286-303, 2010 

  10. Jean-Jacques WUNENBURGER, « Gaston Bachelard et l’imaginaire », 20 juin 2020, Disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=xFwCNgDbqnU (Consulté le 29/05/2021), Passage à 27:57. 

  11. Jean-Jacques WUNENBURGER, « Gaston Bachelard et l’imaginaire » ; 20 juin 2020; Disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=xFwCNgDbqnU (Consulté le 29/05/2021), Passage à 24:17.