« Je voulais faire de l’or avec ce qui sort des poubelles »
Cheick Diallo a étudié à Rouen, où il vit, et produit ses créations au Mali. Depuis vingt ans, Cheick Diallo s’évertue à inventer un langage contemporain aux objets vernaculaires de son pays. Avec les moyens du bord et sans folklore. Né en 1960 au Mali, ce designer vit et travaille entre Bamako et Rouen, où il a étudié à l’école d’architecture dans les années 90. Une formation complétée à l’ENSCI de Paris. Après deux expositions en France, de Riom (Puy-de-Dôme) au musée Dapper (Paris), il présente ses dernières chaises tissées au musée de Charlieu (Loire). Une présence hexagonale légitime pour ce talentueux créateur. Qui mériterait bien d’être édité en France, par Ligne Roset par exemple… De la récupération à la formation, rencontre avec un designer généreux et obstiné1.
Quelle était votre quête de départ ?
Quand j’étais étudiant en France, j’allais déjà au musée Dapper, c’était une source d’inspiration. Le mobilier contemporain n’existait pas en Afrique. J’étais à la recherche d’une réécriture des objets d’Afrique.
Vous avez travaillé le métal de récupération ?
J’ai fait avec ce que je trouvais. J’ai conçu des pièces en boîtes de conserves écrasées par des voitures. Comme la chaise Poto Poto brut, présentée au musée Dapper. « Poto poto », cela signifie la boue, les déchets. Je voulais faire de l’or avec ce qui sort des poubelles !
Comment a évolué votre travail ?
Pour répondre à des commandes telles que du mobilier de collectivités à Bamako, il faut travailler avec des matériaux accessibles et des ressources naturelles. Le Mali ne produit pas de métal, mais le fer à béton fait l’affaire. Ou le fil de nylon, il y a une tradition du tressage forte. Toutes les familles possèdent un fauteuil basique tressé, c’est une icône populaire. Aujourd’hui, il vient de Chine, de Dubaï. J’ai recréé ces fauteuils avec des tresseurs de Bamako. Il n’y a pas de bois, je me suis tourné vers le cuir car c’est un pays d’élevage. Le Mali produit beaucoup de coton, la teinture y est très maîtrisée. J’essaye de transférer cette technique de la teinture sur la peau de mouton et sur le cuir.
Vivez-vous de votre travail ?
J’en vis totalement, parce que je produis et j’exporte. J’ai une petite entreprise à Bamako qui réunit une dizaine d’artisans. Ce qui me permet de faire des salons comme Milan, « Maison & Objet » à Paris, ou d’aller en Afrique du Sud comme consultant. À Bamako, je refuse d’ouvrir une boutique. Parce que je n’y réside pas, et que le piratage est très fréquent. Il faut éditer à l’étranger. Je suis diffusé en Europe, à Milan par Rossana Orlandi, en Grande-Bretagne par Perimeter…
Comment est perçu le design en Afrique ?
Il est mieux compris, un peu mis en vitrine. Grâce aux médias, lors des biennales internationales comme Saint-Étienne, quelques designers africains ont pu émerger comme Balthazar Faye, Kossi Assou, Vincent Niamien… Et il y a de plus en plus d’étudiants qui veulent faire des écoles de design, en Europe, en Afrique du Nord, en Afrique du Sud.
Quels sont vos combats ?
C’est le design « fait » en Afrique et non pas le « design africain », qui n’existe pas. Le design est cosmopolite. Au Mali, l’industrie n’étant pas développée, je travaille et défends des artisans, car leurs objets ne sont jamais identiques. Je me bats aussi pour le recyclage. 80 % des ménages possèdent des fourneaux, des ustensiles recyclés. Il y a un site à Bamako, la Forge de Médine, qui compte 300 à 400 forgerons. Ils travaillent sans électricité, dans des conditions « Germinal », pour recycler tous les métaux. On les appelle les « au revoir la France », comme les carcasses de voitures qui n’y retourneront jamais. Mon combat à moi, c’est « Retour à l’envoyeur » avec des objets de récup transformés et vendus en France. Mon autre objectif, c’est la formation des jeunes. Il faut créer des écoles, j’organise des workshops à travers l’Afrique.
Retournez-vous au Mali en guerre ?
Le Mali avait besoin de tout sauf de ça. Je continue d’aller à Bamako parce que trop de familles dépendent de ma production, il faut trouver du travail aux gens qui sont sur place. C’est mon seul engagement.
© Libération
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[L’interview est publiée sous les noms d’Anne-Marie Fèvre et Dominique Poiret.] L’exposition se tient au Musée de Charlieu (42190), « Sur le fil de la tradition », jusqu’au 29 décembre. 04 77 60 28 84.
Musée Dapper, 75016, exposition jusqu’au 14 juillet 2013. www.dapper.fr ↩