Andrée Putman, noir sur blanc
Disparition. L’architecte d’intérieur, figure de l’élégance à la française et dont le damier était devenu le drapeau, est morte, samedi, à 87 ans.
« Il était temps que Paris lui rende hommage », regrettait sa fille Olivia lors de la première exposition consacrée à Andrée Putman, à l’Hôtel de Ville de Paris, 2010. Déjà atteinte, la « grande dame du design français », ou « la Grande Dédée » (elle préférait), n’a pas inauguré cette monographie de sa gouaille rauque, ni bluffé les visiteurs de sa surélégance, toujours perchée sur ses mules fétiches. Il était temps, car Andrée Putman vient de mourir, à 87 ans. Passée ce samedi à Paris, jour de neige, paysage graphique en noir et blanc, son harmonie épurée de couleurs. Vivante, la dame aurait pu rétorquer, se citant elle-même : « La sagesse me pousse à accepter les hommages, je perds moins de temps qu’à les décliner. J’ai reçu beaucoup de récompenses, cela m’a fait zéro effet, ma mère attendait de moi d’autres prouesses, et j’ai toujours eu le sentiment de ne pas être à la hauteur… »
Au moins avait-elle de la hauteur de vue et de l’espièglerie à revendre. Elle « adorait les erreurs, l’inconscient, l’imperfection, l’inquiétude, surtout pas la maîtrise ». Elle pouvait être séduite par les défauts d’une frise de ses célèbres carreaux noirs et blancs. Cette « musicienne de cœur », née Aynard en 1925 à Paris, était issue de la haute bourgeoisie et passait ses vacances à l’abbaye cistercienne de Fontenay (Côte-d’Or), propriété familiale. Elle a finalement accepté de ne pas avoir été pianiste, mais d’abord journaliste, épouse du collectionneur d’art Jacques Putman. Ce qui lui a permis de connaître Samuel Beckett, Louise Bourgeois, l’art contemporain, la vie noctambule. Et d’avoir deux enfants : Cyrille et Olivia.
« Forcenée ». En 1958, elle est directrice artistique de Prisunic. Cette longue dandy exerce vite un de ses grands talents : être une révélatrice de jeunes créateurs, d’abord dans la mode, de Jean-Charles de Castelbajac à Thierry Mugler. Elle ne devient « la Putman» qu’après son divorce en 1978. Elle adopte alors comme une « forcenée » le métier d’architecte d’intérieur « par accident de la vie ». À partir de son loft parisien Eiffel, concept années 80 qu’elle importe de Manhattan, elle aménage le Morgans Hotel de New York, ce qui lui donne des ailes internationales. Elle créera le bureau du ministre de la Culture Jack Lang au Palais-Royal, les intérieurs du Concorde – son fleuron le plus souvent cité –, puis de l’hôtel Pershing Hall à Paris, de la maison de BHL à Tanger… On la surnomme « l’immaculée conceptuelle ». Le damier noir et blanc de la salle de bains du Morgans devient son signe géométrique de reconnaissance et d’austérité, elle sait faire cohabiter les vides. Damier que l’on retrouve encore avec le piano Pleyel Voie lactée, de 2008.
Très fâchée dès son enfance contre les intérieurs bourgeois, elle a d’abord vidé sa chambre, puis quelques appartements de ses amis. « Les édifices de Putman sont des séquences de contes muets, écrivait dans la revue Intramuros la journaliste Sophie Tasma-Anargyros. Ils relatent un effacement, une disparition de quelque chose qui fut cependant et dont elle façonne la trace. » Putman répondait : « Créer un intérieur, c’est faire le portrait du propriétaire sans que cela se voie ! Et que cela soit indatable. »
Elle a aussi réédité le mobilier d’Eileen Gray, de Jean-Michel Frank, avec son entreprise d’édition Ecart – parce qu’elle « s’est retrouvée à l’écart ». Écart, c’est aussi l’anagramme de « trace ». Tout cela en voyageant et en vivant « intensément», à danser chez Castel ou au Palace, à être « héroïque », à « en voir » et à « en faire voir ! » « J’ai le goût pour les autres, répétait-elle, je recherche leurs radiations intenses. Mais le temps me manque pour écrire. J’aime les mots. J’ai été bouleversée par le roman de Sylvia Plath, la Cloche de détresse. »
« Clin d’œil ». Elle savait être cinglante contre toute inélégance et fatuité. « Ne soyez pas prétentieux ! » Cette frondeuse à l’allure chic, froide ne s’épargnait pas.
Son travail, elle en parlait « comme d’un ouvrage de dame, comme des explorations avec un clin d’œil ». Dans les années 2000, elle met de la courbe, de la douceur, du bleu dans son blanc minimal, elle s’amuse de plus en plus à mélanger matériaux riches et textures pauvres. En 2007, sa fille, Olivia, reprend son studio.
Passeuse de modernité, égérie 80 d’un métier qui ne comptait pas de femmes indépendantes, Andrée Putman n’a pas créé que des canapés et des bijoux, c’est surtout elle-même sa plus curieuse œuvre : cette silhouette graphique parisienne surmontée d’une tête chercheuse maligne, mèche impeccable au vent, qu’ont su saisir le photographe Jean-Baptiste Huynh ou Pierre et Gilles. Marraine de nombreux créateurs, comme le designer Christian Ghion, de lieux, comme la Villa Noailles, elle plaisantait volontiers : « J’aurais pu être une vieille rombière. »
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