Alice Rawsthorn, «Quand le pire s’ajoute au pire ».
Alice Rawsthorn, "Chapitre12. When the Worst Comes to the Worst", in Alice Rawsthorn Design as an Attitude, Genève, JRP|Editions et Dijon, les Presses du réel, 2020, p. 130-141.
Il est un fait particulièrement important concernant Spaceship Earth, c'est qu’aucun manuel d’instructions ne l’accompagnait1.
R. Buckminster Fuller
En plus de se documenter sur la géographie et la politique de la région désolée du centre de l'Afghanistan qu'il prévoyait d'étudier, et de rassembler le matériel nécessaire pour y vivre et y travailler pendant plusieurs mois, l'architecte néerlandais Jan Willem Petersen s'était préparé à son dernier projet de recherche en apprenant les langues locales et en se laissant pousser la barbe, plutôt longue, dans l'espoir de passer inaperçu.
Sa destination était l'Uruzgan, qui avait gravement souffert de décennies de guerre et récemment servi de champ de bataille dans le conflit mené par les États-Unis contre les talibans. Après que la Force internationale d'assistance à la sécurité de l'OTAN a pris le contrôle de la région en 2006, le gouvernement néerlandais a lancé la Task Force Uruzgan, un programme de quatre ans visant à concevoir et à construire de nouvelles maisons, des écoles, des hôpitaux, des routes, des ponts, des mosquées, des usines, des prisons et un aéroport. L'objectif de Petersen était d'étudier ces projets afin d'évaluer leur impact sur la région et de déterminer s'ils remplissaient efficacement les fonctions prévues. Ses recherches ont révélé que seuls 20 % d'entre eux l'avaient fait, que 30 % présentaient de graves défauts et que 50 % étaient à peine fonctionnels. Une cause commune d'échec était que les designers occidentaux de ces projets ne connaissaient pas suffisamment le contexte local. Un village avait arrêté la construction d'une école après avoir appris que la Task Force, ignorant le plan local, avait décidé d'en construire une. La qualité de construction du bâtiment financé par les Pays-Bas s'est avérée si mauvaise qu'il était inutilisable, laissant le village sans école. D'autres pays ont également commis des erreurs. Dans un rapport de 300 pages publié en 20162, Petersen décrit comment les designers d'un poste de police financé par l'Australie l'avaient construit avec un toit en pente, ignorant l'avis du chef de la police locale selon lequel un toit plat serait requis comme plateforme d’observation. Son conseil s'est avéré exact, et le toit en pente a dû être remplacé à grands frais.
En se préparant si rigoureusement à sa mission, Petersen s'est comporté moins comme un designer orthodoxe que comme les anthropologues qui vivent parmi les personnes qu’ils étudient, ou comme les reporters de guerre qui sont intégrés aux forces armées pour donner des témoignages oculaires de la ligne de front. Il s’est également tenu à l’écart des stéréotypes en utilisant ses compétences de designer non pour développer de nouvelles infrastructures, mais pour analyser l'efficacité du travail effectué par d’autres et pour déterminer comment améliorer le design de projets similaires à l'avenir. Les investissements publics dans la reconstruction post-conflit sont extrêmement coûteux, mais les résultats sont rarement visibles dans les pays commanditaires. De plus, la plupart des analyses de ces projets sont réalisées par des économistes du développement ou des experts. Admirablement compétents pour identifier les erreurs dans leur propre domaine, ceux-ci peuvent passer à côté des défauts de design susceptibles de causer de graves problèmes, comme l'a prouvé l'étude de Petersen. À l’inverse d’un designer perspicace et inventif comme lui, ils ne sont pas non plus en mesure de concevoir des stratégies de conception ingénieuses et susceptibles d'aider à éviter les maladresses à répétition.
Aussi décevantes qu'elles soient, les conclusions de Petersen arrivent à point nommé compte tenu de l'essor actuel du design dans les projets liés aux catastrophes, qu'il s'agisse de programmes de reconstruction colossaux financés par l'État — comme la Task Force Uruzgan — ou des efforts consentis par des ONG et des activistes individuels du design pour relever les défis sociaux, environnementaux et humanitaires. De telles initiatives sont pétries de bonnes intentions, et bon nombre des designers les plus courageux et les plus dynamiques de notre époque en participent, mais il est essentiel qu'elles soient planifiées et exécutées selon les standards les plus élevés possibles, étant donné l’impact politique du travail dans des situations instables et souvent périlleuses où les conséquences d'un échec peuvent être calamiteuses.
Ce n'est pas que toutes les tentatives du design pour faire face aux catastrophes aient échoué : certains des plus grands exploits de l'histoire du design en sont issus. Menées à la fin du XIXe siècle, les campagnes de Florence Nightingale en faveur des soins de santé influencent encore aujourd'hui la conception des hôpitaux. Des milliers de personnes ont bénéficié du programme « Homes for the Homeless3» mis en œuvre par les Barefoot Architects of Tilonia basés au Social Work Research Center (surnommé le Barefoot College) de Tilonia, une communauté rurale de la région indienne du Rajasthan. Outre la construction du campus universitaires, les Barefoot Architects ont conçu et construit des écoles, des centres communautaires et des maisons dans toute la région de Tilonia, en utilisant des matériaux de construction traditionnels et des éléments récupérés sur des charrettes à bœufs, des pompes et des tracteurs. Et lorsque l'ouragan Mitch a dévasté de vastes régions d'Amérique centrale et du Sud en 1998, perturbant gravement l'approvisionnement en eau, le militant portoricain du design Ron Rivera, qui travaillait alors dans cette région pour l’association à but non lucratif Potters for Peace, a mis en place des ateliers de poterie pour fabriquer un filtre à eau en céramique conçu par le chimiste guatémaltèque Fernando Mazariegos. Au cours de la décennie suivante, Rivera a créé 30 usines de filtres dans des régions d'Amérique latine, d'Asie et d'Afrique où l'eau potable était rare. Il a également formé des centaines de potiers locaux à la fabrication de ce qu'il a appelé des « armes de destruction massive biologique4».
Pourtant, ces coups d'éclat ont eu peu d'impact sur le stéréotype communément partagé qui assimile le design à un instrument au service du stylisme à vocation commerciale. Au cours du XXe siècle, l'establishment du design y a involontairement contribué en considérant d’un œil optimiste les initiatives qui, financées par le gouvernement, défendaient le rôle du design en tant que catalyseur économique susceptible de permettre aux fabricants d'améliorer la qualité de leurs produits, stimulant ainsi les exportations, la création d'emplois et la rentabilité. Ces chantres officiels n'étaient pas seulement conscients de l'origine de leur financement : beaucoup d'entre eux pensaient que le design, en tant que discipline relativement nouvelle, serait plus à même de gagner un soutien populaire et politique en étant associé à des qualités apparemment simples telles que la productivité, l'innovation, le plaisir et l'efficacité. À présent que la compréhension du design par le public est de plus en plus fine, cette promotion risque d'être contre-productive. De plus, un nouveau genre de designers, engagés politiquement et conscients de l'écologie, sont désormais déterminés à consacrer leurs compétences à des causes auxquelles ils croient, tout comme Nightingale, les Barefoot Architects, Rivera et Mazariegos l'ont fait.
Aujourd’hui, les militants critiques du design bénéficient des nouveaux outils numériques et des sources de financement qui ont alimenté l'essor du design attitudinal. L'élaboration de réponses conceptuelles aux catastrophes naturelles et d'origine humaine dans leur propre pays et dans d'autres pays est devenue un thème central de leurs pratiques.
Bien sûr, Il y a eu des problèmes. Les politiques de l'activisme en matière de design sont aussi complexes et stimulantes que celles du développement économique, de la sociologie et de tout autre domaine cherchant à résoudre des problèmes majeurs pour des personnes vulnérables disposant de peu de ressources. Au début des années 2000, c’est-à-dire avant qu’elle ne s’abîme dans des difficultés financières, Architecture for Humanity avait mis en place un réseau mondial de designers travaillant sur des projets d'aide aux sinistrés. D'autres entreprises ont été victimes de leur propre battage médiatique, notamment One Laptop Per Child qui cherchait à permettre à des millions d'enfants défavorisés d’exprimer leurs talents en concevant un ordinateur portable éducatif vendu pour moins de 100 dollars. L'OLPC a expédié plus de 2,5 millions d'ordinateurs portables, dont la plupart appartiennent maintenant à des enfants et des adolescents qui, autrement, ne posséderaient pas d'ordinateur. Ce n'est pas un mince exploit, sauf que ses prévisions initiales étaient tellement plus élevées que le projet est souvent décrit comme un échec.
Ces deux entreprises se sont heurtées, bien qu’à des degrés divers, à une difficulté similaire — intervenir dans des contextes peu familiers — ; difficulté dont Petersen avait identifié le caractère dommageable pour la Task Force Uruzgan. Il est révélateur que, dans les pays en voie de développement, certains des programmes les plus réussis en matière de design attitudinal sont le fruit du travail d'équipes locales. Il est impossible d'imaginer qu'un projet comme Sehat Kahani, par exemple, aurait pu aborder un problème aussi complexe que les difficultés rencontrées par les femmes pakistanaises pour obtenir des conseils médicaux s'il n'avait pas été développé par des personnes issues de la même communauté.
De même, Wecyclers a été cofondée en 2012 par l'entrepreneuse nigériane Bilikiss Adebiyi-Abiola, spécialisée dans le design, afin d'éliminer les déchets recyclables des bidonvilles de Lagos à l'aide de vélos cargo spécialement conçus pour circuler dans les rues encombrées. Adebiyi-Abiola, qui a étudié États-Unis après avoir grandi à Lagos, fut choquée par l'odeur fétide des bidonvilles lorsqu'elle y était retournée. Des milliers d'habitants de Lagos envoient désormais des SMS à Wecyclers lorsque leurs déchets recyclables sont prêts à être collectés, et les échangent contre des bons qui leur permettent d'acheter de la nourriture, des produits de nettoyage et des cartes de téléphone portable. Wecyclers expédie ensuite leurs déchets aux usines de recyclage de la ville, jusqu'ici sous-utilisées, pour qu'ils soient éliminés de manière responsable.
Les connaissances locales ont également aidé une entreprise sociale ougandaise, Eco-fuel Africa, à mettre en place un réseau de plus de 3 000 agriculteurs qui transforment leurs déchets agricoles en combustible de cuisson propre et bon marché. Celui-ci est ensuite vendu aux habitants des zones rurales déboisées semblables au village reculé où Sanga Moses, le cofondateur du réseau, a grandi. En plus d'éviter aux gens, principalement aux femmes et aux filles, de passer du temps à chercher du combustible alors qu'elles pourraient avoir un travail rémunéré ou aller à l'école, Eco-fuel Africa leur évite les risques sanitaires liés à l'utilisation de combustible sale et toxique, tout en créant de nouveaux emplois et en réduisant la pollution et la déforestation. Sanga a conçu l'idée quand, à l’occasion d’une visite au village, il aperçut une fille transportant un fagot de bois sur la route. En se rapprochant, Sanga a réalisé que la fille était sa sœur de douze ans, qui serait allée à l'école si sa famille n'avait pas eu un tel besoin de combustible pour la cuisine. C'est alors qu'il a décidé de trouver une solution au problème.
Fait révélateur : lorsque, en 2010, la scientifique suédoise Liisa Petrykowska a fondé Ignitia — un service d'information sur la météo tropicale qui envoie des prévisions à court terme aux agriculteurs des régions sujettes aux tempêtes soudaines — elle a insisté pour que les scientifiques qui développaient le système se rendent au Ghana où il devait être introduit. Ce n'est qu'en étudiant directement les conditions locales et en apprenant à connaître les agriculteurs qui utiliseraient Ignitia que l'équipe pourrait être efficace. Aujourd'hui, Ignitia envoie chaque matin des SMS contenant des prévisions à 48 heures à plus d'un million d'agriculteurs des pays d'Afrique de l'Ouest, dont le Mali, le Nigeria, le Sénégal et le Ghana. Le système est conçu pour les aider à réagir aux changements inattendus et à se préparer en cas de tempêtes imminentes.
Malgré tout, certaines des expériences occidentales les plus convaincantes en matière de design militant se sont déroulées en terrain connu. Ce fut notamment le cas du travail d’Hilary Cottam consistant à prototyper de nouvelles façons de fournir des services sociaux afin d'apporter un soutien indispensable à des personnes qui, dans toute la Grande-Bretagne, se seraient senties démunies, vulnérables ou oubliées sans cela. Une approche similaire de design social a été adoptée, par le Centre australien pour l'innovation sociale (TACSI), pour s'attaquer à l'un des domaines les plus coûteux et les plus difficiles de l'aide sociale : aider les familles à résoudre des problèmes chroniques tels que la dépendance, la maladie, le manque de logement, le chômage de longue durée et les difficultés financières. Après avoir discuté, avec plus d'une centaine de familles aux prises avec de tels problèmes, des difficultés auxquelles elles étaient confrontées et du type de soutien dont elles avaient besoin, TACSI a mis en place le programme de pair-à-pair Family-to-Family à Adélaïde et à Sydney. Un coach de vie professionnel est chargé de travailler avec 15 « familles partageuses » qui sont d’accord pour offrir aide et conseils à 40 « familles demandeuses » comprenant une centaine d'enfants à risque. En principe, les partageurs devraient se sentir responsabilisés en aidant d'autres familles vulnérables à se fixer des objectifs et à les atteindre, à l'instar des participants au projet de soins aux personnes âgées de Cottam à Londres. Non seulement le fonctionnement de Family-to-Family est relativement peu coûteux, mais son travail a considérablement réduit la nécessité de placer les enfants à risque dans des familles d’accueil et de recourir à d'autres services de protection de l'enfance et de crise, ce qui permet d'économiser d'importantes sommes d'argent et, espérons-le, d'aider les familles à résoudre leurs problèmes.
D'autres designers politiquement engagés se concentrent sur des problèmes géopolitiques mondiaux qui, tels le changement climatique et la crise des réfugiés, demeurent, semble-t-il, hors du périmètre d’action du design. L'initiative Ocean Cleanup de Boyan Slat en est un exemple. Un autre, mené par Simone Farresin et Andrea Trimarchi du Studio Formafantasma, concerne Ore Streams, soit un projet de recherche en cours sur le commerce international des déchets électroniques et numériques. La première phase de la recherche a été exposée à la National Gallery of Victoria de Melbourne, fin 2017 et début 2018. En cartographiant le flux des produits électroniques et de leurs déchets dans le monde, Ore Streams évalue leur impact écologique et social, puis identifie comment leur conception et leur fabrication pourraient être adaptées pour faciliter leur élimination et leur recyclage de manière responsable. L’impact de la crise environnementale sur les matériaux de conception a constitué un thème récurrent dans le travail de Formafantasma. En 2010, Farresin et Trimarchi ont formulé un nouveau biomatériau pour leur projet Autarchy, développé un polymère naturel pour Botanica l'année suivante, mais Ore Streams est plus ambitieux. En plus d'analyser les obstacles pratiques au recyclage, tels que les joints étanches des smartphones qui empêchent de les démonter, Formafantasma a identifié des recoupements entre le commerce des déchets électriques et des questions politiques apparemment sans rapport, comme le trafic d'êtres humains. En Mauritanie, la construction d’un chemin de fer dédié au transport et à l’expédition du fer depuis les mines de l'intérieur vers la côte, et de la côte vers la Chine, a eu pour conséquence inattendue un trafic d'êtres humains clandestinement introduits dans les trains5.
Les interventions du design dans la crise des réfugiés sont tout aussi encourageantes. Le groupe finlandais de design d'information nommé Lucify a contribuer à sensibiliser à la gravité de la crise en illustrant son accélération et son ampleur au moyen de visualisations claires et précises du flux de demandeurs d'asile passant d'un pays à l'autre. Better Shelter, une entreprise sociale suédoise financée par la Fondation IKEA, a conçu des abris pour réfugiés pouvant être assemblés par quatre personnes en quatre heures et pouvant tenir jusqu'à trois ans. Après avoir testé les prototypes en Éthiopie et en Irak en 2016, les Nations Unies ont commandé 30 000 Better Shelters pour leurs camps de réfugiés dans ces pays et en Grèce. Les abris ont depuis été examinés à la loupe pour détecter d'éventuels défauts de conception, et une nouvelle version dotée d’un cadre plus robuste, d’une meilleure ventilation et d’un meilleur éclairage a été produite fin 2017.
D'autres designers se concentrent sur le soutien aux réfugiés qui tentent de reconstruire leur vie dans de nouveaux pays. Basé sur l'expérience personnelle de sa fondatrice et directrice, Laura Pana, quand elle a traversé l’Europe, migrant de Roumanie en Autriche puis aux Pays-Bas, Migrationlab a mis en place un réseau européen de collaborateurs locaux pour fournir des conseils, des informations et des notions basiques aux réfugiés et aux migrants. En plus de faire en sorte que les réfugiés et les migrants rencontrent les habitants de leur ville d’accueil, qu'ils puissent échanger conseils et informations et, ce faisant, désamorcer les stéréotypes préjudiciables au process, Migrationlab envoie des conférenciers bénévoles dans les écoles et les collèges pour animer des discussions sur ces questions. Il a également mis en place des centres d'accueil et d'information à La Haye et à Vienne.
En Italie, d’autres projets de design ont émergé afin d’aider les dizaines de milliers de réfugiés qui tentent de s'installer après avoir effectué la périlleuse traversée de la Méditerranée orientale depuis la Turquie. Arrivés en Europe, mais confrontés à de graves pénuries de nourriture, d'eau et d'abris, ces personnes luttent désormais pour trouver un logement et un emploi. C'est pourquoi Bianca Elzenbaumer et Fabio Franz de Brave New Alps travaillent sur Hospital(ity), un centre de formation et de conseil à Rosarno. En Sicile, plus précisément à la Villa Magni, un domaine agricole du XVIIe siècle sis à Ragusa, des groupes de réfugiés apprennent l’agriculture locale, le travail du bois, ainsi que d'autres techniques de design et de fabrication potentiellement utiles dans le cadre d'un projet mené par le collectif de design humanitaire Architectes Sans Frontières. À Rovereto, dans le nord de l'Italie, QuerciaLAB — espace de fabrication communautaire cofondé par Brave New Alps — poursuit un objectif similaire. À Trévise, il en est de même pour les ateliers d'artisanat Talking Hands qui, organisés par des designers bénévoles locaux, réunissent réfugiés et demandeurs d'asile6.
Pour faire face à de telles calamités, la meilleure contribution que le design puisse apporter consisterait sans doute à participer à l'élaboration des politiques, tout comme Hilary Cottam et TACSI l'ont fait dans le domaine des services sociaux. Prenons l'exemple de la crise des réfugiés qui pourrait être considérablement atténuée en accélérant la procédure légale par laquelle ils peuvent demander l'asile, en identifiant les pays qui ont besoin de leurs connaissances et compétences particulières, et en éliminant le commerce barbare du trafic de personnes. Une solution consisterait à utiliser les méthodes de gestion de données pour identifier les destinations optimales des réfugiés en fonction de leurs compétences individuelles, et afin de les orienter vers les endroits où leur expertise individuelle sera la plus utile. Une autre possibilité consiste à établir des visas humanitaires avec lesquels les réfugiés pourraient se rendre légalement dans les pays où ils envisagent de demander l'asile, mettant ainsi fin à leur dépendance vis-à-vis des trafiquants d'êtres humains. Il conviendrait également de réformer la législation nationale pour permettre aux demandeurs d'asile d'accéder plus rapidement aux prêts et au marché du travail, comme cela a été fait au Nigeria. Des changements aussi audacieux nécessiteront l'expertise de spécialistes de divers domaines mais, comme dans le cas de la lutte contre le changement climatique, le design pourrait jouer un rôle conséquent en aidant à anticiper les problèmes, à identifier les solutions possibles et à planifier le processus de manière sensible et efficace.
Le design n'a aucune chance de remplir ce rôle s'il ne gagne pas la confiance du public et n’obtient pas le soutien politique nécessaire pour être accepté comme un partenaire utile aux réformes d'importance cruciales. De même que chaque projet de design social et humanitaire soigneusement exécuté représente un pas en avant, chaque échec de design mal conçu est un revers — qu’il s'agisse d'un gigantesque programme financé par des fonds publics, comme Task Force Uruzgan, ou du travail entrepreneurial d’un activiste du design comme Boyan Slat dont les projets de nettoyage de l’océan furent bombardés de critiques par les écologistes et les scientifiques7.
Si leurs doutes s'avèrent fondés et que l'Ocean Cleanup échoue, il sera beaucoup plus difficile, non seulement pour Slat, mais aussi pour d'autres militants du design ayant recours au numérique, d'obtenir un soutien financier et politique à l'avenir. À l'inverse, leur crédibilité montera en flèche si l'Ocean Cleanup parvient à mener à bien tout ou partie de ce que son site Web décrit avec assurance comme « le plus grand nettoyage de l'histoire ». Quoi qu'il en soit, Slat et tous les autres designers d'attitudinaux qui prévoient de s'attaquer aux catastrophes tireraient grandement parti d'une critique aussi rigoureuse que la recherche immersive de Jan Willem Petersen en Afghanistan.
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R. Buckminster Fuller, Operating Manual for Spaceship Earth, Southern Illinois University Press, Carbondale, Illinois 1969. ↩
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Jan Willem Petersen travaille à Amsterdam, depuis un studio de design baptisé Specialist Operations. Après avoir effectué un travail de terrain de deux mois dans la région d'Uruzgan, en Afghanistan, en 2015, il a publié ses conclusions en 2016 dans un rapport de 300 pages intitulé Uruzgan's Legacy. "Uruzgan's Legacy", dutchdesigndaily.com/complete-overview/uruzgans-legacy. ↩
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[Littéralement : « Maisons pour les sans-abris », « architectes aux pieds nus » et, plus loin dans la phrase, « Centre de Recherche sur le Travail Social ».] ↩
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[Les filtres à eau étant destinés à écarter les organismes vivants nocifs pour l’homme, ils deviennent des armes de destruction biologique massive de ce type d’être vivants s’ils sont produits à grande échelle.] ↩
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En 2015, Simone Farresin et Andrea Trimarchi du Studio Formafantasma ont été chargés de la recherche et de la production de Ore Streams par Ewan McEoin, conservateur principal au département de design et d'architecture contemporains de la National Gallery of Victoria (NGV) à Melbourne. La recherche a exploré l'ampleur et l'influence du commerce mondial des déchets électroniques et numériques, licites ou illicites, et a élaboré des guides pour les designers de produits afin de concevoir des produits plus faciles à recycler. La recherche et une série d'objets conceptuels conçus par le Studio Formafantasma ont été exposés lors de la Triennale inaugurale d'art et de design de la NGV, du 13 décembre 2017 au 15 avril 2018. ↩
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Les ateliers d'artisanat Talking Hands ont été créés à Trévise, par le graphiste italien Fabrizio Urettini. Il s’agit d’apporter une formation, des outils ou des équipements et d’aider ainsi tant les jeunes hommes réfugiés que les demandeurs d'asile à apprendre ou à améliorer leurs compétences artisanales, notamment en menuiserie et en broderie, puis à vendre leurs produits lors de foires et de festivals locaux. Talking Hands génère des revenus supplémentaires en réparant et en restaurant des meubles pour la population locale. Des designers de la région travaillent avec les participants sur la base du volontariat. Parmi eux figurent Giorgia Zanellato et Daniele Bortotto du Studio Zanellato/Bortotto, ainsi que Mateo Zorzenoni, qui a collaboré avec ce collectif à la conception d'une gamme de meubles pour enfants. ↩
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Lindsey Kratochwill, "Too Good to Be True? The Ocean Cleanup Faces Feasibility Questions", The Guardian, March 26, 2016.
https://www.theguardian.com/environement/2016/mar/26/ocean-cleanup-project-environment-pollution-boyan-slat. ↩