Brown, Bill, « Materiality », HANSEN, Mark et MITCHELL, William John Thomas, Critical Terms For Media Studies, Chicago, University of Chicago Press, coll. « critical terms », 2010, p. 49-62.
*Brown, Bill, Matérialité*
L'épine logée dans votre pouce tuméfié est matière ; la pensée logée dans votre esprit ne l’est pas. Pourtant, cette discordance peut être troublée si l’on admet que la pensée est le résultat, disons, d'impulsions électrochimiques, ou même (pour emprunter le champ lexical inspiré des médias) conséquent des synapses dans un réseau neuronal. Qu’importe jusqu’où nous concevons le degré d'immatérialité de nos pensées, nous ne pouvons que reconnaître qu'elles ont un fondement neurophysiologique. Ce qui revient à dire que le processus de la pensée a une matérialité qui lui est propre.
Cela ne signifie pas qu'il faille abandonner la distinction originelle (phénoménologique, épistémologique ou ontologique) entre pensées et épines. Au contraire, il nous faut reconnaître comment, à la fois dans le langage ordinaire et dans un langage plus spécialisé, la matérialité peut se référer à différentes dimensions de l'expérience, ou à des dimensions au-delà (ou en deçà) de ce que nous considérons généralement comme l'expérience. Comme de nombreux concepts, le sens de la matérialité peut se définir au mieux par opposition à un autre terme : le matériel est l’antonyme de bon sens, par exemple, au spirituel, à l'abstrait, au phénoménal, au virtuel et au formel, pour ne pas dire à l’immatériel. Et pourtant, la matérialité possède une spécificité qui la différencie de termes apparentés, tels que la physicalité, la réalité ou le concret. Lorsque nous admirons la matérialité d'un pull, nous faisons état de son apparence et de sa texture, et non simplement de son existence en tant qu'objet physique. Lorsque nous reprochons à un autre pull de ne pas avoir cette même matérialité, nous n'affirmons pas son immatérialité. Et si, après avoir lavé ce premier pull en machine, nous avouons avoir involontairement détruit sa matérialité, nous voulons dire que nous avons altéré certaines de ses qualités physiques, et non que nous avons éradiqué l'objet tout court1. Néanmoins, l’occultation d'un objet peut être prérequise pour un meilleur accès à ses constituants matériels – mettant en scène sa matérialité, dirions-nous – surtout lorsque cet accès a été médiatisé par la technologie. L'imagerie par résonance magnétique (IRM) peut nous montrer la matière au sein des objets – le tissu cérébral dans le crâne et donc, potentiellement, la cause matérielle d'un état pathologique – mais elle le fait au détriment de la peau et des os. Pour ainsi dire, ce moyen de visualisation matérialise et dématérialise simultanément le corps humain.
Ces permutations doivent être gardées à l'esprit lorsque l'on considère tout propos sur la dématérialisation du monde matériel via l'encodage numérique. Néanmoins, dans la mesure où de telles affirmations témoignent d’un authentique changement – changement de l’expérience et des conditions de l’expérience – elles méritent toute notre attention, notamment parce qu'elles héritent d’une tradition (qui s'étend de Karl Marx et Max Weber à Guy Debord et Jean Baudrillard) selon laquelle le processus de modernisation ou de post-modernisation est compris comme processus d’abstraction. Il est d'ailleurs possible d’argumenter que l'apparente menace du numérique sur la matérialité a contribué à provoquer le développement d’un nouveau tournant matérialiste dans les années 1990 dans diverses disciplines : anthropologie, histoire de l'art, histoire, études cinématographiques, histoire des sciences, études littéraires et culturelles. Dans le domaine de l'histoire des médias, de la théorie des médias et des études culturelles numériques, cette provocation focalisa l'attention sur la matérialité du médium, de l'information et de la communication, inspirant des recherches sur un vaste champ de sujets, du substrat matériel des médias à l'interaction du corps humain avec la technologie, en passant par les systèmes socio-économiques qui favorisent cette interaction2.
La matérialité luit donc comme une lame à double tranchant. D'une part : le médium (qu'il s'agisse de télégraphie, de photographie, de télévision ou de vidéo numérique) n'élude-t-il pas la matérialité de l'objet (ou la violence et la dégradation) qu'il représente ? De l'autre : n’ignorons-nous pas la matérialité du médium lui-même, le support matériel, l'intégration du médium dans des contextes matériels particuliers, ses ramifications matérielles ? Quelle que soit la manière dont le terme peut être déployé, la matérialité est devenue un sujet urgent, de la plus haute importance.
Qu'importe l’urgence, il est difficile de ne pas commencer par débattre des questions fondamentales, lorsque nous réfléchissons aux médias et à la matérialité : que veulent dire les chercheurs lorsqu'ils affirment que tel ou tel média a un effet dématérialisant ? Que font les chercheurs lorsqu'ils s'intéressent à la « matérialité de la communication » ? Que pourraient-ils accomplir à travers une analyse matérialiste des médias ? Et une question corollaire bonus : quel type de matérialisme nous aiderait à évaluer les matérialités des médias dématérialisés ? Quel acte critique est comparable à ce moment, à la fois fortuit et cataclysmique, dans une salle de cinéma, lorsque vous jetez un coup d'œil en arrière et voyez… un faisceau de lumière jaillissant du projecteur ?
L’hypothèse de la dématérialisation
Décrivant la « dématérialisation de la culture matérielle », l'archéologue Colin Renfrew déplore la séparation actuelle « entre communication et substance », l'image étant devenue davantage «électronique et par conséquent, intangible ». Parce que « l'impulsion électronique remplace ce qui subsistait de l'élément matériel dans les images auxquelles nous étions habitués, [...] l'engagement en faveur du monde matériel, dans lequel l'objet matériel était dépositaire du sens, est menacé ». Somme toute, « la réalité matérielle physique et palpable est en train de disparaître, ne laissant derrière elle rien d’autre que le sourire sur le visage du Chat de Cheshire3 ». C'est un pays des merveilles dystopique où il ne nous reste que les vestiges d'un monde physique, un monde vaporisé, en quelque sorte, par les médias électroniques. Dans la version popularisée de ce conte par Baudrillard, (inséparable du conte de la postmodernité), l'image en est venue à n'avoir « aucune relation avec quelque réalité que ce soit ; elle n'est que son propre simulacre pur » ; à l'ère de l'hyperréel, donc, la «matérialité » n'a de sens que dans la mesure où elle atteste d’une époque révolue4.
Pourtant, ce mélodrame de la matérialité assiégée ne requiert guère un contexte postmoderne. En effet, selon le philosophe Ernst Cassirer (écrivant dans les années 1940) :
« La réalité physique semble reculer proportionnellement à mesure que l'activité symbolique humaine progresse. Au lieu de traiter des choses en elles-mêmes, l'homme est, en quelque sorte, constamment en train de dialoguer avec lui-même. Il s'est tellement enveloppé dans des formes linguistiques, des images artistiques, des symboles mythiques ou des rites religieux, qu'il ne peut rien voir ni connaître si ce n'est que par la médiation de ce médium artificiel5. »
Le « médium », dans cet argumentaire, désigne ce qui empêche un accès plus immédiat aux «choses en soi » ; ainsi, les médias sont intrinsèquement dématérialisant. Pourtant, évidemment, « traiter des choses elles-mêmes », nous rappelle Kant, est impossible au sein de l'expérience humaine parce que les choses elles-mêmes (les choses en soi) restent insaisissables ; nous ne connaissons le monde seulement par la médiation des catégories perceptives (temps, espace, cause et effet, et ainsi de suite). Nous ne connaissons le monde, en outre, uniquement par la médiation des sens, dont l'un – le toucher – permettrait un accès privilégié à la physicalité ; en effet, la distinction immatériel/matériel s’emploie souvent (comme chez Renfrew) pour différencier le visible du tangible. Il s'avérerait finalement utile d'éviter l’antagonisme entre le phénoménal et le matériel – pour décrire plutôt le phénomène de la matérialité, ou les effets de la matérialité, c’est-à-dire la finalité du processus par lequel nous nous convainquons de la matérialité de quelque chose (qu'il s'agisse du caillou sur lequel on s’est cogné l'orteil ou de la poignée que l’on est sur le point de saisir dans un système immersif de réalité virtuelle). Cependant cette distinction doit être opérante pour toute discussion fondamentale sur la matérialité qui se trouve au-delà ou en deçà de l'expérience, qu'il s'agisse des particules élémentaires tourbillonnantes des atomes composant votre chaise de bureau, des puces en silicium de votre ordinateur ou de l'orage qui approche, visible sur le radar mais pas encore par la fenêtre.
Lorsque les critiques perçoivent les médias comme menaçant la matérialité, ils entendent généralement que notre expérience humaine de la matérialité a été compromise. Ils prolongent ainsi les revendications paradigmatiques sur la modernité qui projette à postériori une supposée intimité prélapsaire avec le réel. Bien évidemment, le développement et la transformation des médias sont constitutifs de la modernité, comprise ici dans sa diversité d’acceptations : en tant qu’expérience de l'industrialisation et de l'urbanisation, ou de la rationalisation et de la bureaucratisation, ou de la technologisation et de la massification (l'émergence de la culture de masse6). Tous les grands récits de la modernité, d’un point de vue sociologique – Émile Durkheim, Max Weber et Georg Simmel – font état de l’augmentation de l'abstraction comme étant la caractéristique majeure d'un monde en voie de modernisation7. Pour Simmel, l’argent est le médium, maître mot et force dominante de l'abstraction et de la rationalisation croissantes de la vie sociale et psychologique. La raison en est que, non seulement (comme le voudrait Marx) les particularités de tout objet ou action disparaissent dans le régime de la valeur (toutes les qualités étant traduites en quantités), mais aussi que l'argent facilite la prépondérance du calcul. (Le transfert électronique d'argent, du point de vue de Simmel, serait simplement un autre chapitre de l'histoire de sa dématérialisation8). Parmi ceux qui ont assisté aux conférences de Simmel (dont Ernst Cassirer, Walter Benjamin et Siegfried Kracauer), Georg Lukács absorbe à la fois cet argumentaire et l’intègre dans le modèle marxiste que Simmel lui-même évitait. Il décrit les effets de la forme-marchandise lorsque celle-ci sature la société ; et en conclut que l’inévitable « objectification rationnelle dissimule avant tout le caractère immédiat – qualitatif et matériel – des choses en tant que choses9 ».
Même une généalogie aussi hâtive suggère pourquoi, lorsqu’il s'agit d'évaluer la force abstractive des médias, l'argent et la forme-marchandise sont fréquemment invoqués10. Dans son incontournable article « The Traffic in Photographs », le photographe et critique Allan Sekula défend une étroite correspondance des effets de la photographie et de la marchandisation. « Tout comme la valeur d'usage est éclipsée par la valeur d'échange », écrit-il, « le signe photographique en vient à éclipser son référent11 ». Il développe cette hypothèse à partir d'un essai fascinant, « The Stereograph and the Stereoscope », dans lequel Oliver Wendell Holmes Senior12 affirme qu'avec l'avènement de la photographie, « la forme a dorénavant divorcé de la matière. En fait, la matière en tant qu'objet visible n'est plus guère utile ». Sekula fait l’analogie entre cette affirmation d’Holmes et celle de Marx sur le pouvoir médiateur de la forme-argent, pour transposer un monde hétérogène dans un monde d'équivalences : « De même que l'argent est la jauge universelle de la valeur d'échange, unifiant tous les biens du monde dans un seul système de transactions, de même les photographies sont supposées réduire toutes les observations à des relations d'équivalence formelle ». En phase avec Sekula, Jonathan Crary établit « l’autonomie et l’abstraction nouvelles de la vision » qui accompagnent le passage de l'optique géométrique à l'optique physiologique, et le développement de la photographie. Pour l’auteur, ce passage restructure « entièrement le territoire sur lequel circulent et prolifèrent des signes et des images, chacun effectivement coupé d'un référent ». La monnaie et la photographie sont toutes deux « des formes magiques qui établissent une nouvelle ordonnance de relations abstraites entre les individus et les choses ». Les nouvelles expériences visuelles du XIXe siècle sont « liées » à des «théories de la vision qui annihilent de manière effective le monde réel13 ».
Les nouveaux médias semblent continuer de provoquer ce vieux mélodrame. Comparativement au régime numérique (dans le registre visuel), et non sans ironie, la photographie et le film sont désormais réputés pour entretenir une relation intime avec le monde matériel : au moins, la photographie a une relation indexicale avec son sujet ; au moins, les médias analogiques ne traduisent pas le monde en chiffres et la qualité en quantité. Comme le souligne Lisa Gitelman, toute «dématérialisation présumée… ne peut être vécue que par rapport à un sens préexistant de la matière et de la matérialisation ». Ainsi (dans le registre auditif), « ce qui semble si souvent surprenant dans la numérisation et les réseaux distribués, c’est leur pouvoir supposé de dématérialiser et de transformer différemment l’information en marchandise », contrairement au «pouvoir autrefois surprenant de capturer, de matérialiser et de transformer autrement le son, en marchandise14 ». Les médias numériques prétendent dépasser ce déclin matériel : si l'enregistrement analogique (par exemple une bande magnétique) peut inscrire et reconstituer plus précisément la source des ondes sonores, les enregistrements numériques quant à eux ne subissent pas la même détérioration physique. La conversion des artefacts analogiques (films, vidéos, photographies, enregistrements, livres) sous forme numérique permet non seulement leur plus grande accessibilité mais aussi leur conservation. Et pourtant, les supports numériques sont eux-mêmes sujets à la détérioration – il suffit de penser au DVD abîmé que Netflix envoie – car ils nécessitent toujours un support physique.
En effet, l'une des conséquences de cette numérisation désormais exponentielle est la dématérialisation du support d'origine lui-même ; au final, l'hégémonie numérique pourrait homogénéiser tous supports.
Au début de Gramophone, Film, Typewriter, dans sa très citée introduction sur les réseaux de fibres optiques, Friedrich Kittler affirme que :
« La numérisation générale de l'information et des canaux fait disparaître les différences entre les différents médias. Sons et images, voix et textes n'existent plus que comme effets de surface, au doux nom, destiné aux consommateurs, d'interface… Dans les ordinateurs eux-mêmes, tout est chiffre : quantité sans image, son ou voix. Et quand les réseaux des fibres optiques réduisent les flux de données jusqu'alors séparées en une suite de chiffres numériquement standardisés, n'importe quel médium peut être traduit en n'importe quel autre. Avec les nombres, rien n’est impossible15. »
En soi, cette assertion de Kittler réanime cette logique par laquelle les effets de médias antérieurs ont été décrits, en particulier leurs effets sur l'art. Dans le musée imaginaire d'André Malraux, une collection de reproductions photographiques désagrège les spécificités matérielles du médium artistique – la fresque, la miniature en émail, la gravure sur bois. Avant Malraux, Benjamin affirmait que la reproductibilité technique des œuvres d'art, bien qu’émancipant l'expérience de l'art des contraintes matérielles et sociales, avait éteint son « aura » – son unicité, sa spécificité historique et sa relation spatiale avec le spectateur, dans ses dimensions culturelles et matérielles16.
Mais à l'égard de la photographie comme du film, Benjamin estimait également que ces nouvelles techniques avaient la capacité d'enrichir le champ perceptif, en révélant des « aspects physionomiques» du monde matériel – « les détails cachés dans des objets familiers», « les nouvelles structures de la matière » – se trouvant au-delà de l'expérience consciente du quotidien17. Kracauer18 défend également la capacité du film à effectuer une réification rédemptrice, celle d'enregistrer un monde matériel qui se trouve sous d'autres représentations ou interprétations de celui-ci. En effet, les photographies grand format d'Andreas Gursky nous confrontent à des aspects de l'espace architectural qu’une visite à pied de Paris ou d’Hong Kong ne pourrait aucunement révéler. De même, l'agrandissement numérique d'un manuscrit de Whitman donne accès à des détails physiques qui, page en main, resteraient imperceptibles. Tout comme le microscope et le télescope qui, selon Simmel, nous permettraient de dépasser les distances par la conscientisation de leur ampleur, les médias ont en règle générale exposé les limites de notre mode d’accès habituel au monde dans lequel nous vivons – les limites de notre monde matériel quotidien.
Le « plus distant », nous dit Simmel, « se rapproche au prix d'un écart grandissant avec ce qui était à l’origine plus proche19 ». Lorsque nous abordons les médias dans cette dialectique de la proximité et de la distance, de la matérialisation et de la rematérialisation, nous pourrions, au pire, dire des médias ce que Simmel dit de l'art, à savoir qu'ils « changent le champ perceptif », nous rapprochant « au plus près de la réalité », même s'ils nous éloignent « de l'immédiateté des choses », permettant à la « concrétude des stimuli de se retirer ». Il affirme sa thèse sans pour autant négliger la démonstration kantienne, qui insiste sur le fait qu'aucun réalisme (artistique ou scientifique) :
« ne peut se passer d'un a priori, d'une forme qui – surgissant des besoins de notre nature – pare ou métamorphose le monde de nos sens. Cette transformation que subit la réalité sur son chemin vers notre conscience est certes une barrière entre nous et son existence immédiate, mais est en même temps la condition préalable à notre perception et à notre représentation de la réalité20. »
Bien entendu, chaque nouveau médium a le potentiel de radicalement altérer la perception consciente et la représentation de ces barrières.
La matérialité de la communication
Nous pouvons nous accorder avec Mark Poster sur le fait que « l'infrastructure matérielle du signe» – à la fois la relation entre le signifiant et le signifié et la relation entre le signe et le référent – est « radicalement reconfigurée » par les nouveaux médias, sans pour autant regretter ou célébrer la perte d'une certaine matérialité première21. En effet, peu importe le nombre de photographies numériques que vous faites de l'épine logée dans votre pouce, elle reste là, et si d'aventure vous imprimez ces images, le médium s'avère avoir amplifié (et non annihilé) la « réalité matérielle palpable ».
Mais l'hypothèse de la dématérialisation persiste – parfois un cauchemar, parfois le « désir humain de transcendance matérielle » voire de « l’aboutissement technoscientifique du rêve gnostique du Soi, débarrassé du déclin et de la pesanteur de la réalité matérielle22 ». Il demeure que cette hypothèse subsiste, notamment à cause du développement historique du paradigme cybernétique lui-même, dont les premiers travaux de recherche conceptualisent l'information comme désincarnée et désincorporée. À ce propos, la démarche archéologique de Katherine Hayles23 montre comment la distinction cartésienne esprit/corps est réapparue dans la distinction entre matérialité et information, entre schème informationnel et instanciation matérielle, à un tel point que la question de la corporéité semblait hors sujet24. L'information, dissociée de tout substrat matériel spécifique, pourrait circuler – se dématérialiser et se rematérialiser – inchangée. La définition même de l'information, avance Hayles, a conduit les hommes à la comprendre « comme une sorte de flux immatériel qui circule autour du globe tout en conservant la matérialité de ce concept réifié25 ».
Et pourtant, l'information (et son accessibilité) est dépendante de la physicalité des technologies de communication : les circuits imprimés nécessitent un substrat de silicium ; les différentes fibres optiques ont des propriétés différentes et remplissent différentes fonctions ; toute communication sans fil nécessite des tonnes de câblage. Mais lorsque les chercheurs s’adressent à la matérialité des médias, ils la pensent bien au-delà de son infrastructure physique ; ils traquent ce que Hayles appelle les « matérialités de l'incarnation» dans plusieurs registres différents. Ils tentent, quelque part, de rematérialiser les médias en rendant visible l'interaction physique entre humains et technologie ainsi qu'en révélant les multiples strates d'histoires au sein de toute technologie de communication. Tout comme l’apparition récente du Research Centre for Material Digital Culture (Université du Sussex), non seulement des universitaires à titre individuel, mais aussi des institutions, partagent dans différentes mesures la démarche archéologique d'Hayles, questionnant « quelles propriétés matérielles et symboliques, quels régimes perceptifs affectifs ou sensoriels et quelles économies politiques » informent les nouveaux médias. Un pareil effort démontre une impulsion nouvelle dans le champ plus large des études sur les médias (travaux sur le cinéma ancien ou sur l'histoire du livre, par exemples) et dans le champ des études scientifiques (dans la production de la théorie et des faits scientifiques, une épistémologie matérialiste émerge, accordant un rôle constitutif à la configuration des laboratoires et aux caractères de leurs instruments26).
Une approche de la rematérialisation consiste à s'interroger sur les médiations constitutives qui instancient toute image, tout son ou tout texte. Dans un article en ligne, Matt Kirschenbaum estime :
« qu'une approche bibliographique/textuelle nous invite à insister précisément sur les aspects de la textualité électronique qui ont jusqu'à présent été négligés dans les écrits critiques sur le médium : les plateformes, l’interface, la standardisation des données, les formats de fichiers, les systèmes d'exploitation, les versions et distributions du code, patches, ports, etc. Puisque les textes électroniques sont faits de ces trucs27. »
Le sens de ces machins (les structures médiatrices de la communication numérique) devient manifeste dans l'œuvre interactive Shredder 1.0 de Mark Napier, qui est tout aussi simple que stupéfiante : lorsque vous entrez une adresse URL, Shredder en récupère la page Web spécifiée, mais altère et déforme radicalement son code HTML, ses éléments graphiques et son texte28. L'œuvre prolonge donc l'attention artistique à ses propres médias (comme chez Tristram Shandy), mais l'acte de défamiliarisation (des médias) reste indépendant de tout contenu spécifique ; l'intentionnalité de l'œuvre d'art réside dans la médiation de son médium. Il se peut que « les nouveaux médias reproduisent à l’identique ce que firent leurs prédécesseurs : se présenter comme des versions modernisées, remaniées et améliorées d'autres médias29 ». Cependant, l'intention de Napier est de bouleverser la facilité avec laquelle les anciens médias sont devenus des versions analogues aux nouveaux médias :
« Pourquoi déchiqueter le Web ?
Internet n'est pas une publication imprimée. Les sites web ne sont pas en papier. Pourtant, la conception actuelle du web est celle du magazine, du journal, du livre ou du catalogue. Visuellement, esthétiquement, juridiquement, le web est assimilé à une page physique sur laquelle sont écrits du texte et des images. Les pages web sont des fichiers graphiques temporaires générés lorsque le navigateur interprète des instructions HTML. Tant que tous les navigateurs respectent, dans une moindre mesure, les conventions du HTML, l'illusion de solidité ou de permanence du web demeure. Mais derrière l'illusion visuelle se cache un vaste ensemble de fichiers textes – contenant le code HTML – qui remplissent les disques durs d'ordinateurs situés dans le monde entier. Collectivement, ces instructions constituent ce que nous appelons “internet”. Mais que se passe-t-il si ces instructions sont interprétées différemment de ce qui était prévu ? Voire radicalement différemment ? »
En passant par ce processus de désorganisation, le site Web de la Chicago School of Media Theory30 produit des graphiques, mots et codes encombrés et inintelligibles, les faisant osciller entre déformation et sérénité, entre le sémantique et le purement visuel :
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Bien que ce remaniement du web (renouvelé à chaque rafraîchissement de l'URL) engendre des résultats visuels remarquables, c'est le Net art qui met systématiquement en évidence les couches de médiation par lesquelles les mots et les images apparaissent, où comme le diraient de nombreux critiques, « s’incarnent » sur l'écran de l'ordinateur.
La description de la matérialité des médias nécessite cette rhétorique essentielle de l'incarnation. D'ailleurs, le corps humain lui-même (dans sa distinction cartésienne et au-delà de cette distinction) a servi à plusieurs reprises de terrain pour évaluer la matérialité des médias, qu'ils soient nouveaux ou anciens31. La compréhension du télégraphe, par exemple, rend alors « la communication autonome par rapport aux messagers incarnés » séparant la pensée du corps et compromettant ainsi, entre autres, « les barrières raciales définies en termes de différence corporelle32 ». Mais les nouveaux médias semblent accorder au «destinataire » incarné de l'information un nouveau rôle actif – en effet, le rôle du médium (dirons-nous) est celui de reproduire l'analogie de la « page physique sur laquelle les textes et les images sont écrits ». La thèse de Mark Hansen, basée à la fois sur la phénoménologie et la neurobiologie, rend compte de la manière dont « la fonction de cadrage du corps humain» façonne une image à partir d'informations qui, autrement, resteraient « sans forme ». Il accorde ainsi à l'hypothèse de la dématérialisation, une version spécifique – celle des effets homogénéisants et dématérialisants de la numérisation, processus qui détache toute image de ses coordonnées spatiales traditionnelles, s'affirmant comme processus, jusqu'à ce que le « corps affectif » décide d'arrêter et de stabiliser le flux d’information. Le corps humain devient ainsi la source qui permet de « donner corps aux données numériques33 ». Somme toute, les nouveaux médias mettent en scène différemment le processus phénoménologique par lequel le sujet humain fait sens de son environnement. Récemment, Hansen (suivant les travaux tardifs de Merleau-Ponty) estime que les nouveaux médias accentuent non seulement la « corrélation entre l'incarnation et la technicité », mais aussi la technicité de la vie corporelle et psychique, ce qu'il appelle la « technicité essentielle de l'être34 ».
Cette technicité est prodigieusement exemplifiée par les « biomédias », un terme qu’Eugene Thacker déploie afin de décrire les recherches effectuées en bio-informatique, en nanomédecine et en biologie computationnelle, où les frontières entre le biologique et le technologique ont disparu35. Le « laboratoire sec » et le « laboratoire humide » se reflètent l'un l'autre, et la biologie computationnelle y trouve son image inversée dans l'informatique biologique : les molécules d'ADN y sont utilisées pour résoudre des problèmes de calculs, en raison de leur puissance combinatoire36. La bio-informatique n'en est peut-être qu'à ses débuts, mais elle est largement et populairement reconnue comme la prochaine vague informatique. Dans un reportage sur les recherches menées en 2002 au Weizmann Institute of Science, National Geographic titrait : « les scientifiques ont conçu un ordinateur capable d'effectuer 330 000 milliards d'opérations par seconde, soit plus de 100 000 fois la vitesse du PC le plus rapide. Le secret : il fonctionne avec l'ADN37 ». Le champ de la génétique a démontré que la vie biologique dépend du stockage et du traitement de l' « information », à tel point qu'il est désormais logique de se demander si le corps n'est pas le mieux compris qu’en tant que réseau38. C’est comme si l'information avait trouvé un corps, et que ce corps s'avère être le vôtre. Dans cet univers post-cartésien, les arguments qui insistent sur le caractère incorporé et incarné de l'information cèdent la place à des expériences présentant le corps comme information.
Matérialisme
On peut constater immédiatement que ce récent travail, qui rematérialise les médias d’un point de vue conceptuel, s'inscrit inégalement dans la tradition matérialiste. Au fondement de sa conception matérialiste de l'histoire, Marx affirme que « le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus général de la vie sociale, politique et intellectuelle », c'est-à-dire que les structures économiques sont la base de la formation et de la transformation culturelles. Mais « le contenu matériel changeant du matérialisme », comme l'a formulé Raymond Williams, donne lieu à la conviction répandue que, quand bien même les relations économiques déterminent les formes sociales et culturelles, ces formes sont, inversement, déterminantes dans ces relations39. L'économie façonne notre paysage médiatique contemporain, mais cette économie elle-même prend forme – assumant son échelle mondiale et son instantanéité – grâce aux nouveaux médias. En effet, les conséquences psychologiques, sociales et politiques de la communication technologique sont si profondes (et si profondément intériorisées par la conscience humaine) qu'elles restent souvent imperceptibles40. Pourtant, comme l'affirme Williams dans son attaque contre Marshall McLuhan, le déterminisme technologique peut aisément se transformer en formalisme. Il isole alors la technologie de l'histoire socio-économique de sa production, ignorant la manière dont les inventions dépendent des décisions humaines (et donc de motivations sociales et économiques41). Kittler a sans doute raison d'insister sur le fait que « les médias déterminent notre situation », mais chaque média émerge lui-même d'une situation déterminée, informée notamment par des déterminants technologiques, idéologiques, physiques, économiques, juridiques, politiques, etc.
L'attention portée à la matérialité dans les études médiatiques a pour objectif d’établir un «nouveau matérialisme », qui se distingue du matérialisme historique, du structuralisme et de la sémiologie. Cette distinction s’effectue d’une part en réinvestissant la phénoménologie (la phénoménologie incarnée d'Henri Bergson, par exemple, ainsi que la phénoménologie matérialiste de Benjamin), et d’autre part en se concentrant sur la culture matérielle dont l'attention sur une matérialité du signifiant, est désormais comprise comme signifiante de la matière elle-même. Ainsi, Timothy Lenoir soutient que « l'attention portée à la matérialité des inscriptions elles-mêmes confirmera dans quelle mesure les dispositifs d'inscription constituent effectivement une mise en scène signifiante de la technoscience42 ». Dans le champ de l'anthropologie, les approches symboliques et matérialistes concurrentes réduisaient autrefois « les objets à être soit des biens économiques et utilitaires, soit des vecteurs sémiotiques », éludant la matérialité de ces objets et ne reconnaissant donc pas la matérialité elle-même comme une composante signifiante43. Dans le champ des études littéraires et culturelles, l'émergence de l'objet n’est possible qu'en changeant la focale faite sur le sujet. Par exemple, les éditeurs de Subject and Object in Renaissance Culture, ont été abasourdis de l'occultation systématique des objets et du monde matériel par le champ disciplinaire, favorisant une représentation du début de l'ère moderne comme une période de « la montée de la subjectivité, de la complexité de la subjectivité, de l'instabilité de la subjectivité44 ».
L’approche critique de la matérialité a souvent dû résister à la puissance explicative des formes, des structures et des systèmes. Pareillement la matérialité est souvent interprétée en tant que trace et preuve de cette résistance (comme ce qui résiste). Mais nous pourrions imaginer un matérialisme idéal qui présenterait les multiples ordres de matérialité – ou l'ordre des matérialités. Elle se trouverait alors à mi-chemin entre la relation phénoménologique de l'interface entre l'utilisateur et la technologie, la relation archéologique de l'infrastructure physique du support, et la relation sociologique des forces culturelles et économiques, qui continuent de façonner à la fois la technologie elle-même et nos interactions avec elle. Parce que nous vivons dans un monde qui n'est pas idéal (un monde qui est, en un mot, matériel), une telle présentation semble irréalisable, et, bien sûr, loin d’être idéale. Bien qu’attentive à la matérialité, cette ambition souffrirait inévitablement du fait que, comme l’affirme Cornelius Castoriadis, les individus appréhendent la matérialité à travers une « socialisation de la psyché » spécifique, un « imaginaire corporel » façonné par l'histoire et la culture45. Dans une culture où la forme et la matière (comme l'esprit et le corps) ont été si profondément séparés, c’est uniquement par une disruption de nos interactions habituelles avec le monde, que ses matérialités (et les nôtres) deviennent soudainement significatives. Donc, dans un effort d'appréhender la matérialité des médias, il ne serait pas mal avisé de taper sur la barre d'espace avec votre pouce endolori.
© University of Chicago Press
© Traduction française Collectif DAM
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En français, dans le texte. ↩
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Voir par exemples, GUMBRECHT, Hans Ulrich, PFEIFFER, Karl Ludwig, (éds.), Materialities of Communication, Stanford, Stanford University Press, traduit de l’allemand par William WHOBREY, 1994 ; LENOIR, Timothy, (éd.), Inscribing Science: Scientific Texts and the Materiality of Communication, Stanford, Stanford University Press, 1998 ; MITCHELL, Robert, THURTLE, Phillip, (éds.), Data Made Flesh: Embodying Information, New York, Routledge, 2004. ↩
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RENFREW, Colin, Figuring It Out. What are we? Where do we come from? The parallel visions of artists and archaeologists, Londres, Thames and Hudson, 2003, p. 185-186. ↩
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BAUDRILLARD, Jean, Simulacres et simulation, Paris, Éditions Galilée, 1981. ↩
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CASSIRER, Ernst, An Essay on Man, New Haven, Yale University Press, 1944, p. 26.
À propos des thèses populaires sur la dématérialisation, voir, par exemple, la version théâtrale de Dracula de John Balderston, où Van Helsing explique que « la science peut maintenant transformer l'électron, la base de toute matière, en énergie, et qu'est-ce donc sinon la dématérialisation de la matière ? Pourtant, la dématérialisation est connue et pratiquée en Inde depuis des siècles. À Java, j'ai moi-même vu des choses. »
BALDERSTON, John, Dracula, [1927], New York, Liveright, 1960, p. 25-26. ↩ -
Note de l’auteur : J'évite moi-même toute définition des médias dans le cadre de cet essai, mais je tiens à noter le fait que Kittler, entre autres, a défini la ville elle-même comme un média. Voir KITTLER, Friedrich, « The City Is a Medium », traduit de l’allemand par Mathew GRIFFIN, New Literary History, vol. 27, n°4, 1996, p. 717-729. ↩
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Note de l’auteur : Ces propos sur l'abstraction peuvent être descriptifs sans être évaluatifs. Même les critiques de la modernité ne peuvent pas dénigrer l'abstraction tout court. La démocratie, par exemple, dépend de l'individuation sans l'individualisation : la classe, le sexe et l’ethnicité disparaissent lorsque nous sommes homogénéisés en un simple citoyen abstrait. ↩
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Graeber soutient que les formes symboliques d'échange étaient abstraites avant d'être considérées comme matérielles. Voir GRAEBER, David, « Exchange », dans HANSEN, Mark et MITCHELL, William John Thomas, Critical Terms For Media Studies, Chicago, University of Chicago Press, coll. « critical terms », 2010, p. 217-232. ↩
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LUKÁCS, Georg, History and Class Consciousness: Studies in Maxist Dialectics, Cambridge, MIT Press, traduit par Rodney LIVINGSTONE, 1971, p. 92.
Note de l’auteur : de même que l'on peut comprendre Être et temps de Martin Heidegger comme une réponse étendue à Lukács, posant et répondant à la fois à la question de ce que pourrait être un être non réifié, de même on peut comprendre sa conférence sur « La chose » comme un effort pour poser et répondre à la question de ce que la « choséité des choses » pourrait éventuellement signifier. Pour Heidegger, cependant, le point de départ n'est pas la forme-marchandise mais la technologie (radio, film, télévision) qui a éradiqué la distance (à la fois la proximité et l'éloignement). ↩ -
Note de l’auteur : Pour les héritages intellectuels qui informent les revendications utopiques des technologies numériques, voir COYNE, Richard, Technoromanticism: Digital Narrative, Holism, and the Romance of the Real, Cambridge, the MIT Press, 2001. ↩
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SEKULA, Allan, « The Traffic in Photographs », Art Journal, vol. 41, n°1, été 1981, p. 22. ↩
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Médecin et essayiste américain qui a par ailleurs inventé le stéréoscope à main. ↩
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CRARY, Jonathan, Techniques of the Observer: On Vision and Modernity in the Nineteenth Century, Cambridge, MIT Press, 1990, p. 13-14. ↩
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GITELMAN, Lisa, Always Already New: Media, History, and the Data of Culture, Cambridge, the MIT Press, 2006, p. 86. ↩
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KITTLER, Friedrich, Gramophone, Film, Typewriter, [1986], Dijon, Les presses du réel, coll. « Critique, théorie & documents – Médias/Théories », traduit de l'allemand par Frédérique VARGOZ, 2018. ↩
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BENJAMIN, Walter, « The Work of Art in the Age of Its Technological Reproductibility », dans EILAND, Howard et JENNINGS, Michael W. (éds.), Walter Benjamin: Selected Writings (1938-1940), vol. 4, 3e ed., Cambridge, Harvard University Press, 2003, p. 253-257.
Sur l’aura, voir BRATU HANSEN Miriam, « Benjamin’s aura », Critical Inquiry, vol. 34, n°2, janvier 2008, p. 336-375. ↩ -
BENJAMIN, Walter, « Little History of Photography », dans EILAND, Howard et JENNINGS, Michael W. (éds.), Walter Benjamin: Selected Writings (1927-1934), vol. 2, Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 512 et BENJAMIN, Walter, « Work of Art », Ibidem, p. 266. ↩
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KRACAUER, Siegfried, Theory of Film: The Redemption of Reality, Princeton, Princeton University Press, 1997. ↩
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SIMMEL, Georg, The Philosophy of Money, Londres, Routledge, traduit de l’allemand par Tom BOTTOMORE et David FRISBY, 1978, p. 475-476. ↩
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Ibidem, p. 473. ↩
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POSTER, Mark, What’s the Matter with the Internet?, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2022, p. 132. ↩
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NGUYEN, Dan Thu et ALEXANDER, Jon, « The Coming of Cyberspacetime and the End of Polity », dans SHIELDS, Rob (éd.), Cultures of the Internet: Virtual Spaces, Real Histories, Living Bodies, Londres, Sage, 1996, p. 99.
ZIZEK, Slavoj, On Belief, New York, Verso, 2001, p. 33.
Note de l’auteur : Il est inutile d'ajouter que l’apparente réalisation de ce rêve a eu un impact considérable sur la conceptualisation du genre, de l'ethnicité et de la sexualité. ↩ -
Ce passage renvoie à HAYLES, Katherine Nancy, « Cybernetics », dans HANSEN, Mark et MITCHELL William John Thomas, Critical Terms For Media Studies, op. cit., p. 145-156. ↩
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Note de l’auteur : Bien sûr, Aristote situe le substantiel (c'est-à-dire l'essentiel) dans la forme, et non dans la matière. ↩
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HAYLES, Katherine Nancy, How We Became Posthuman: Virtual Bodies in Cybernetics, Literature, and Informatics, Chicago, University of Chicago Press, 1999, p. 246.
Note de l’auteur : Mark Hansen a montré comment la théorie contemporaine vaporise effectivement l'altérité matérielle de la technologie en la transposant dans la textualité.
Voir HANSEN, Mark, Embodying Technesis: Technology Beyond Writing, Michigan, University of Michigan Press, 2000. ↩ -
Voir, par exemple, la série de livres « Material Texts » publiés par les presses de l'Université de Pennsylvanie, dont l'attention sur l'histoire du livre est comprise comme l'histoire de l'écriture, de l'impression et de la réimpression ; les titres comprennent :
BOUZA, Fernando, Communication, Knowledge, and Memory in Early Modern Spain, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, traduit de l’espagnol par Sonia LÓPEZ et Michael AGNEW, 2004 ;
FLEMING, Juliet, Graffiti and the Writing Arts of Early Modern England, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2001 ;
Mc GILL, Meredith, American Literature and the Culture of Reprinting, 1834-1853, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2002.
Pour un panorama indispensable sur les débuts de la culture de l'imprimé, voir JOHNS, Adrian, The Nature of the Book : Print and Knowledge in the Making, Chicago, University of Chicago Press, 1998.
Dans le cas des études scientifiques, voir, par exemples :
LATOUR, Bruno et WOOLGAR, Steve, Laboratory Life : The Construction of Scientific Fact, [1979], Princeton, Princeton University Press, 1986 ;
LATOUR, Bruno, Science in Action: How to Follow Scientists and Engineers through Society, Cambridge, Harvard University Press, 1988 ;
GALLISON, Peter, How Experiments End, Chicago, University of Chicago Press, 1987 ;
GALLISON, Peter, Image and Logic : A Material Culture of Microphysics, Chicago, University of Chicago Press, 1997 ;
BAIRD, David, Thing Knowledge : A Philosophy of Scientific Instruments, Berkeley, University of California Press, 2004. ↩ -
KIRSCHENBAUM, Matt, « Materiality and Matter and Stuff: What Electronic Texts Are Made Of », [en ligne], disponible sur www.electronicbookreview.com / thread / electropoetics / sited, consulté le 26/07/2005.
Ndlt : URL https://electronicbookreview.com/essay/materiality-and-matter-and-stuff-what-electronic-texts-are-made-of/, consulté le 20/05/2022. ↩ -
Pour l'œuvre Shredder 1.0, voir http : // www.potatoland.org / shredder / shredder.html.
Pour une discussion sur ce travail, voir TRIBE, Mark et JANA, Reena, New Media Art, Köln, Taschen, 2007, p. 70-71.
Note de l’auteur : Dans son propre effort pour mettre en évidence la matérialité des médias, Katherine Hayles a publié un livre, dont la couverture striée, la typographie ondulante et la mise en page évoquent en quoi la forme physique modifie l'information : HAYLES, Katherine, Writing Machines, Cambridge, MIT Press, 2002. ↩ -
BOLTER, Jay David et GRUSIN, Richard, Remediation : Understanding New Media, Cambridge, the MIT press, 1999. ↩
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http://csmt.uchicago.edu/home.htm, consulté le 19 mai 2022. ↩
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Ce passage renvoie au chapitre 2, WEGENSTEIN, Bernadette, « The Body », dans HANSEN, Mark et MITCHELL, William John Thomas, Critical Terms For Media Studies, op. cit., p. 19-34. ↩
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GILMORE, Paul, « The Telegraph in Black and White », ELH, vol. 69, n°3, 2002, p. 806. ↩
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HANSEN, Mark, New Philosophy for New Media, Cambridge, MIT Press, 2004, p. 11-13.
Note de l’auteur : Dans l'argumentation d’Hansen, le corps est pleinement sensuel et affectif, et ne peut être réduit simplement à la vision. Voir, en particulier, les pages 197 à 232. ↩ -
HANSEN, Mark, Bodies in Code: Interfaces with Digital Media, New York, Routledge, 2006, p. 79. ↩
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Voir THACKER, Eugene, « Biomedia », dans HANSEN, Mark, MITCHELL, William John Thomas, Critical Terms For Media Studies, op. cit., p.117-130 ↩
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THACKER, Eugene, Biomedia, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2004.
L'informatique moléculaire a d’abord été décrite dans ADLEMAN, Leonard Max, « Molecular Computation of Solutions to Combinatorial Problems », Science, vol. 266, n°5187, 11/11/1994, p. 1021-24.
Sur l'analyse des réseaux « dans la nature », voir GARDNER, Timothy, DI BERNARDO, Diego, LORENZ, David et COLLINS, James, « Inferring Genetic Networks and Identifying Compound Mode of Action via Expression Profiling », Science, vol. 301, n°5629, 04/07/2003, p. 102-105. ↩ -
LOVGREN, Stefan, « Computer Made from DNA and Enzymes », National Geographic News, [en ligne], disponible sur https://web.archive.org/web/20030226202101/http://news.nationalgeographic.com/news/2003/02/0224_030224_DNAcomputer.html, consulté le 20/05/2022. ↩
-
THACKER, Eugene, Biomedia, op. cit., p. 31. ↩
-
WILLIAMS, Raymond, Problems in Materialism and Culture, Londres, Verso, 1980, p. 122. ↩
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Un point abordé de manière très différente dans McLUHAN, Marshall, Pour comprendre les médias : Les Prolongements technologiques de l’homme
[1964], Paris, Seuil, traduit de l’anglais par Jean PARÉ, 1968 ; KITTLER Friedrich, Discourse Networks 1800/1900, Stanford, Stanford University Press, traduit par Michael METTEER et Chris CULLENS, 1992 ; RONNELL, Avital, The Telephone Book, Lincoln, University of Nebraska Press, 1991. ↩ -
WILLIAMS, Raymond, « The Technology and the Society », dans Television: Technology and Cultural Form, [1974], Londres, Routledge, 2003. ↩
-
LENOIR, Timothy, (éd.), Inscribing Science: Scientific Texts and the Materiality of Communication, op. cit., p. 12. ↩
-
KEANE, Webb, Signs of Recognition: Powers and Hazards of Representation in an Indonesian Society, Berkeley, University of California Press, 1997, p. 32. ↩
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DE GRAZIA, Margreta, QUILLIGAN, Maureen et STALLYBRASS, Peter (éds.), Subject and Object in Renaissance Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 5-11.
Sur la place des objets dans les sciences humaines, plus largement, voir les essais rassemblés dans BROWN, Bill, Things, Chicago, University of Chicago Press, 2004.
Sur la place des objets dans la théorie sociale, voir RECKWITZ, Andreas, « The Status of the “Material” in Theories of Culture: From “Social Structure” to “Artefacts” », Journal for the Theory of Social Behavior, vol. 32, n°2, 2002, p. 195-217. ↩ -
CASTORIADIS, Cornelius, The Imaginary Institution of Society, Cambridge, MIT Press, traduit du grec par Kathleen BLAMEY, 1987, p. 334.
Note de l’auteur : tout au long de mon utilisation du terme “intégration” [embeddedness], j'ai voulu invoquer la rhétorique avec laquelle la matérialité des nouveaux médias est souvent discutée. Ainsi, lorsque la sociologue de la ville globale, Saskia Sassen, s'intéresse à Internet, elle souligne que la matérialité du système de communication est apparemment la plus dématérialisée. Elle se concentre sur la façon dont Internet est “intégré” [embedded] dans les pratiques sociales, les environnements institutionnels et les scènes locales.
Voir SASSEN, Saskia, « Electronic Markets and Activist Networks: The Weight of Social Logics in Digital Formations », dans LATHAM, Robert et SASSEN, Saskia (éds.), Digital Formations: IT and New Architectures in the Global Realm, Princeton, Princeton University Press, 2005, p. 54-88. ↩