ZHONG, Estelle, « Des formes cachées dans la matière. La bricologie de l’art participatif à la lumière de la pensée de Gilbert Simondon », Technique et Culture, n°64, 2015, [en ligne], disponible sur https://journals.openedition.org/tc/7567, consulté le 02 mai 2019.

NOTE DE L’ÉDITEUR
Nous vous invitons à consulter la synthèse de cet article (édition papier) en téléchargeant le document placé en annexe1.
Nous remercions Baptiste Morizot pour son aide conceptuelle, précieuse à l’élaboration de cet article.

Introduction

Une nouvelle pratique artistique contemporaine : l’art participatif

Devant des vieilles dames médusées, un homme coiffé de bois de cerf pousse des hurlements incantatoires pour empêcher la destruction de leur HLM. Au pied des tours de la cité Forest Houses, dans le Bronx, les habitants s’activent à construire un « monument » au philosophe italien Antonio Gramsci. D’anciens mineurs anglais reconstituent l’émeute d’Orgreave à laquelle ils avaient eux-mêmes pris part en 1984. Des GI fraîchement revenus de Bagdad préparent et vendent des kebabs irakiens dans un petit camion qui sillonne les rues de Chicago2.

Toutes ces visions hallucinatoires sont autant de projets relevant d’une pratique artistique apparue au début des années 1990 : l’art participatif (participatory art). Cette pratique se retrouve sous plusieurs noms : social practice, socially-engaged art, dialogic art, community-based art. Si l’on peut retrouver, tout au long de l’histoire des avant-gardes, diverses tentatives d’inclure pour inclure le public dans le déroulement ou la production d’une œuvre3, jamais encore la participation n’avait constitué le fondement même d’une pratique artistique. Qui plus est, ce procédé n’est pas entendu comme participation ponctuelle dans un cadre spectaculaire (au sens de performance, depuis le futurisme jusqu’aux années 1970), ni comme interactivité (art numérique) ni comme instructions à suivre (Fluxus, art conceptuel). En art participatif, la participation est entendue comme une collaboration entre un artiste et des participants dans la production d’une œuvre. Cette collaboration a lieu sur un temps long et se fait à divers degrés suivant les projets. Elle constitue une fin en soi du projet, au même titre que l’œuvre produite. Certains artistes bénéficient d’une reconnaissance internationale : parmi eux, Thomas Hirschhorn, Jeremy Deller, Javier Téllez, ou encore Michael Rakowitz.

Une pratique opaque à l’analyse

Quiconque s’intéresse à cette nouvelle pratique artistique se retrouve rapidement confronté à l’incapacité d’en rendre compte. En effet, comment analyser des œuvres qui prennent la forme d’ateliers de cuisine ou de bricolage, de conversations informelles entre participants, de déambulations à vélo dans la ville ? Les catégories traditionnelles de l’histoire de l’art ne permettent pas d’analyser le fonctionnement de cette pratique : la notion d’œuvre est mise en cause, lui est préférée la notion de projet ; les notions de médium, technique, tour de main, style, patte de l’artiste paraissent également difficiles à appliquer. Conséquemment, c’est la notion même d’artiste qui semble obsolète : les activités quotidiennes mobilisées en art participatif ne manifestent pas à première vue un travail de l’artiste, une maîtrise propre, un savoir-faire spécifique, contrairement à d’autres pratiques contemporaines qui peuvent elles aussi excéder les catégories traditionnelles (street art, performance) : le travail de l’artiste semble s’apparenter à celui d’un grand organisateur, capable de mettre en place ces événements et de rassembler des gens. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de travail artistique dans l’art participatif, et ainsi pas d’art ? Ce que l’on pourrait appeler « la tentation bourgeoise » refait surface, ce geste de vouloir soustraire à l’art une pratique artistique non miscible avec ce que l’on connaît de l’art, confronté à une nouvelle pratique qui récuse des formes anciennes au profit de formes nouvelles qui n’ont pas l’air artistiques (collage, ready-made, happening, etc.). Nous faisons l’hypothèse que la part artistique de l’art participatif n’est pas en cause : notre incapacité à analyser le propre du travail de l’artiste est due à une déficience des outils employés pour en rendre compte. Il s’agit d’inventer de nouveaux outils.

Quelle prise de forme pour l’art participatif ?

Pour comprendre la spécificité du travail de l’artiste en art participatif, il s’agit d’élaborer des outils capables de rendre compte de la genèse de l’œuvre, c’est-à-dire de la prise de forme particulière à cette pratique.

La conception de la prise de forme en Occident a longtemps été travaillée par le schème hylémorphique aristotélicien, au point d’en constituer la métaphysique spontanée : pour qu’une chose prenne forme, il faut qu’une forme s’impose à une matière. L’avènement de toute chose, de la brique à l’individu en passant par l’œuvre, est pensé selon ce schème, comme le met en évidence Gilbert Simondon4 dans l’introduction de son opus magnum. La modalité extrême de ce schème est illustrée dans l’opération de moulage à l’origine de la fabrication d’une brique d’argile. Soit d’un côté, la matière argile, caractérisée par son caractère informel et passif ; soit de l’autre, le moule, c’est-à-dire la forme entendue comme détermination abstraite. La forme, moule creux, accueille la matière et s’impose à elle de manière à obtenir une brique d’argile. En tant que paradigme occidental de la prise de forme, ce schème hylémorphique a structuré notre compréhension de la création d’une œuvre d’art. Selon ce schème, dans le domaine de la création artistique la forme correspond à l’intention de l’artiste comme cause finale (sa volonté de représenter tel objet) qui dirige son action, et à l’idée ou à l’image de cet objet, préexistant à l’œuvre dans son esprit, correspondant à la cause formelle. Ainsi la forme est toujours antérieure et a la préséance sur la matière.

À première vue, ce paradigme semble ne plus travailler autant les conceptions de la prise de forme en art, en tant qu’il a été battu en brèche par de nouvelles façons de faire des artistes qui, délaissant la représentation, créent sans vision a priori, laissent leur inconscient œuvrer et envisagent la matière comme cause formelle et finale (« Je me laisse travailler par la matière », «C’est la matière qui dicte mon œuvre » etc.). Néanmoins ces échappées par rapport à la conception hylémorphique de la prise de forme se font les yeux fermés ; c’est-à-dire dans et par l’expérience plastique même des artistes, sans être accompagnées d’un nouvel appareil conceptuel. Tant et si bien qu’à défaut d’avoir d’autres concepts que ceux, aristotéliciens, de forme et matière à disposition, ceux-ci ne cessent de revenir, comme un retour du refoulé, dans le discours et les représentations de l’acte de création sous des avatars actualisés. Ainsi, dans un ouvrage intitulé Conversation Pieces5 consacré aux projets d’art participatifs fondés sur le procédé de la conversation, Grant Kester, confronté à la même difficulté que nous à déployer la spécificité du travail de l’artiste dans cette pratique, propose une distinction en apparence nouvelle : les artistes ne sont pas des « content providers » mais des « context providers». La conversation, la cuisine, le bricolage seraient autant de cadres c’est-à-dire de formes sans contenu. Nous voyons à quel point ici la notion de contexte, récurrente en art contemporain, ne fait que rejouer l’idée de forme comme détermination abstraite s’imposant à et contenant une matière qui arrive en second lieu. Ainsi, bien que le schème hylémorphique soit sans cesse remis en cause par les pratiques de création des artistes contemporains, nous sommes néanmoins dépourvus d’un appareil conceptuel constitué, concurrent au schème hylémorphique, qui fournirait des outils d’analyse puissants permettant de rendre compte de la prise de forme artistique propre à l’art participatif.

Notre hypothèse de recherche est la suivante : pour rendre compte de la genèse spécifique à l’art participatif et ainsi de la spécificité du travail de l’artiste dans cette pratique, il est nécessaire de réévaluer ce que nous considérons spontanément comme les formes de l’art participatif : conversation, cuisine, bricolage, marche, etc. Nous postulons que ces pratiques quotidiennes sont davantage à comprendre comme « matières » de l’art participatif que comme « formes ». Cette hypothèse s’appuie sur la conceptualité de ces deux termes construite par Gilbert Simondon dans L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information6.

Forme et matière chez Focillon et Simondon

Au premier abord, une telle hypothèse ne semble que reconduire le schème aristotélicien puisque la dichotomie entre forme et matière est conservée. Si cette dichotomie reste, elle est en réalité profondément transformée de l’intérieur par Gilbert Simondon au point de donner lieu à la construction d’un appareil conceptuel aussi conséquent que le schème hylémorphique et ainsi susceptible de s’y substituer durablement. On notera que cette critique du schème hylémorphique initie chez Simondon une réforme magistrale du concept d’individu, et l’invention du concept clé d’individuation : ce sujet ne sera pas évoqué ici, en tant qu’il ne concerne pas notre sujet7.

Contre toute attente, une première intuition de la conceptualisation de la prise de forme telle qu’elle est mise en place par Simondon, peut être trouvée dans le chapitre III de la Vie des Formes d’Henri Focillon8. Lui-même justifie la conservation des deux notions de forme et de matière, alors qu’il essaie de dépasser le schème hylémorphique :

« Au moment où nous abordons le problème de la vie des formes dans la matière, nous ne séparons l’une et l’autre notion, et, si nous nous servons de deux termes, ce n’est pas pour donner une réalité objective à un procédé d’abstraction, mais pour montrer au contraire le caractère constant, indissoluble, irréductible d’un accord de fait. Ainsi la forme n’agit pas comme un principe supérieur modelant une masse passive, car on peut considérer que la matière impose sa propre forme à la forme9 ».

Le premier geste de cette critique de l’hylémorphisme est ainsi de mettre en cause la supposée passivité de la matière : la matière serait également forme, et à ce titre, posséderait la capacité de s’imposer à la forme à laquelle elle est confrontée : la matière argile avec ses attributs spécifiques travaillerait le moule dans lequel elle est versée.

Il est envisageable que Simondon ait lu la Vie des formes parue en 1943 et que les tentatives de dépassement du schème hylémorphique présentes dans ce chapitre de Focillon intitulé « Les formes dans la matière » aient nourri l’édifice conceptuel qu’il élabore en 1964 dans le premier chapitre de L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information : « Forme et matière ». En effet, on constate une grande proximité entre l’intuition de Focillon et la critique que Simondon fait du schème hylémorphique. Le principal point de la critique est le suivant : il n’y a pas dans la genèse de la brique, comme dans toute prise de forme, une matière et une forme abstraites. « Donner une forme à l’argile, ce n’est pas imposer la forme parallélépipédique à de l’argile brute : c’est tasser de l’argile préparée dans un moule préfabriqué10 ». Il n’est possible de penser ces matières abstraites que si l’on considère l’opération technique de moulage comme suffisante à la création de la brique : il y a en réalité médiation « préparée par deux chaînes d’opération préalables qui font converger matière et forme vers une opération commune11 ».

« La médiation consiste […] en ce cheminement depuis la forme géométrique jusqu’au moule fabriqué, préparé avec revêtement défini et saupoudrage sec. S’il n’y a pas de forme abstraite, c’est précisément parce qu’il y a médiation ; si on néglige la médiation, on ne peut saisir qu’une forme abstraite. Une seconde demi-chaîne d’opération converge vers la médiation : l’argile est soumise à préparation […] pour devenir cette pâte homogène et consistante ayant une assez grande plasticité pour épouser les contours du moule dans laquelle on la presse […] L’argile n’est pas seulement passivement déformable, elle est activement plastique en ce qu’elle manifeste des propriétés colloïdales12 ».

Cette propriété colloïdale de l’argile, qui la rend capable de combler le moule puis de garder la forme acquise à la cuisson, constitue une forme implicite de la matière. Moulez un volume d’eau, moulez un volume de gravier, vous n’aurez pas de brique : ces matières ne possèdent pas les formes implicites nécessaires. C’est ce concept qui intéresse principalement notre étude de la spécificité du travail de l’artiste en art participatif.

Les formes implicites de la matière

On retrouve ici l’intuition de Focillon conceptualisée de manière à ouvrir des chemins pour la pensée. La configuration propre de la matière capable de s’imposer à la forme à laquelle elle est confrontée est une forme implicite.

« La matière recèle la cohérence de la forme avant la prise de forme ; or, cette cohérence est déjà une configuration ayant fonction de forme. La prise de forme technique utilise des prises de formes naturelles antérieures à elle, qui ont créé ce que l’on pourrait nommer une eccéité de la matière brute13 ».

Cette forme implicite, eccéité de la matière brute, constitue non pas seulement la singularité d’une matière du point de vue perceptif, mais également sa singularité du point de vue de son emploi technique.

« La fabrication d’un arc, par exemple, n’impose pas une forme (courbe en tension élastique) à une matière informe : c’est la matière même, le bois choisi, qui possède la forme implicite de la souplesse, qui permet la courbure, et de l’élasticité, qui permet la tension. Ainsi, une matière, un type de bois possédant à un haut degré ces formes implicites sera choisi pour fabriquer un arc, le bois d’if étant traditionnellement adéquat en Europe du Nord. Certains bois sont quant à eux inaptes à produire des arcs, comme le bois de pin14 ».

Armé de ces concepts, nous faisons l’hypothèse que la conversation, la cuisine, le bricolage, la marche sont choisies comme matières par les artistes en raison de leurs formes implicites, latentes et porteuses de conséquences formelles décisives. Suivant la formule de Focillon, elles « engagent un certain avenir15 ».

Notre plan suit les deux premiers moments de manifestation des formes implicites dans la matière tels qu’explicités par Simondon16. Notre développement construit ainsi une analogie entre le travail du charpentier et le travail de l’artiste en art participatif sur le point précis que tous deux sont confrontés aux formes implicites de la matière lors de la création d’un objet, d’une œuvre.

Dans un premier temps, nous nous attacherons à identifier les formes implicites de ces pratiques quotidiennes qui incitent l’artiste à choisir celles-ci comme matières parmi les autres à disposition, en tant qu’elles permettent et ouvrent des chemins d’action, impossibles à atteindre à partir des autres matières.

Dans un second temps, nous nous intéresserons à l’élaboration de ces matières par l’artiste qui, une fois le matériau choisi, détermine s’il veut travailler contre ces formes ou dans le sens qu’elles proposent.

Nous analyserons principalement trois œuvres de trois artistes différents : Enemy Kitchen (2004-) de l’artiste irako-américain, Michael Rakowitz, fondé sur la pratique de la cuisine ; Intervention to Aid Drug-Addicted Women (1994-1995) du collectif allemand WochenKlausur, fondé sur la pratique de la conversation ; The Boat Project (2011-2012) des artistes anglais Lone Twin, fondé sur la pratique du bricolage.

Les formes implicites des matières de l’art participatif

La bricologie comme maîtrise de l’identification des formes implicites de la matière

Dans la partie intitulée « Conditions physiques de la prise de forme technique », Simondon élabore les conditions d’une prise de forme réussie. Pour qu’il y ait effectivement rencontre entre les deux demi-chaînes techniques, c’est-à-dire entre la forme pure et la matière brute, il faut que la matière brute soit structurée d’une façon telle qu’elle puisse être congruente avec l’autre demi-chaîne dont l’origine est la forme pure : « Il faut que la matière soit structurée d’une certaine façon, qu’elle ait déjà des propriétés qui soient la condition de la prise de forme17 ». Ces propriétés sont ce que Simondon appelle les formes implicites de la matière. Celles-ci se distinguent de ce qu’on peut appeler communément les qualités d’un matériau : les qualités résultent souvent du choix que l’élaboration technique fait des formes implicites. Par exemple, la perméabilité ou non d’un bois est une qualité qui dépend souvent du respect d’une des formes implicites du matériau : les veines du bois. Les formes implicites sont inhérentes, ne peuvent s’acquérir ou se perdre, contrairement aux qualités. Ainsi le charpentier, ayant tel projet de construction en tête, sélectionne le bois dont les formes implicites convergent vers la forme de l’objet à construire :

« tel tronc convient mieux que tel autre à telle place, en vertu de ses caractères particuliers qui sont déjà des caractères de forme, et de forme valable pour la technique de charpenterie […] un arbre dans la forêt peut être reconnu par un regard exercé qui cherche le fût convenant le mieux à tel usage précis : le charpentier allait dans la forêt18 ».

Fabriquer un objet pour le charpentier passe ainsi d’abord par une identification des formes implicites d’une matière : il faut que le charpentier aille dans la forêt. De même l’artiste. C’est la première étape d’une œuvre efficiente. Au début d’un projet, l’artiste se retrouve dans cette même situation. À la recherche de la matière qui recèle les formes implicites et cachées qui conviennent le mieux à l’usage qu’il se propose, l’artiste parcourt la forêt des matériaux à sa disposition : peinture à l’huile, argile, bronze, photographie argentique, pratique quotidienne etc. C’est ce moment de sélection d’une matière parmi d’autres qui nécessite une bricologie : une maîtrise de l’identification des formes implicites d’une matière. Cette maîtrise est une compétence propre, qui exige d’entrevoir depuis l’amont les prolongements lointains des lignes de force de la création, ouvertes et fermées par telle ou telle forme implicite de chaque matière. On notera une urgence d’autant plus grande de la bricologie pour l’artiste contemporain : aucune matière a priori ne lui est refusée, et il est ainsi confronté à une infinité de matières possibles.

Quelle est ainsi la bricologie propre de l’artiste en art participatif ? Quelles formes implicites identifie-t-il dans les matières cuisine, conversation, bricolage, qui l’incitent à les choisir parmi tant d’autres ? Quels chemins ouvrent-elles là où d’autres enclosent ?

La réappropriation créatrice

De prime abord, il semble raisonnable de penser que la cuisine, la conversation, le bricolage ont été choisies comme matières de l’art participatif en tant qu’elles permettent à tout le monde de participer effectivement : ces pratiques requièrent peu de technicité, ou tout du moins une technicité souvent déjà acquise de part leur caractère quotidien – elles sont ainsi accessibles et manipulables par les participants. Ce serait leur absence de technicité, comme forme implicite, qui commanderait avant tout le choix de ces pratiques par les artistes. Il nous semble particulièrement délicat de considérer ce critère comme dominant dans le choix des matières. En effet, il ouvre la voie au malentendu, à une compréhension de l’ambition de l’artiste comme organisateur d’ateliers qui aurait pour objectif de rendre accessible une pratique au plus grand nombre. Or, l’artiste en art participatif ne recherche pas la participation pour elle-même ; le critère d’accessibilité est, de ce point de vue, non négligeable mais non-suffisant. Comme d’autres artistes avant lui, comme George Brecht ou Yoko Ono par exemple, il s’intéresse au procédé de participation selon certaines lignes spécifiques permettant de générer certains effets spécifiques.

Nous faisons l’hypothèse que les pratiques de la cuisine, du bricolage et de la conversation ne sont pas choisies par l’artiste en tant qu’elles sont des pratiques quotidiennes – avec ce que cela implique en termes de non-technicité – mais en tant qu’elles sont des arts de faire, tels que définis par Michel de Certeau. Ces pratiques sont choisies par les artistes pour une forme implicite qui leur est propre : l’appropriation créatrice.

Les arts de faire

Les pratiques quotidiennes ont été pendant longtemps étudiées par la sociologie comme le lieu de manifestation du contrôle, exercé par l’appareil social, économique et politique, sur les usagers. Ces pratiques seraient tout entières encadrées par des dispositifs au sens foucaldien, « procédures techniques minuscules » accroissant la surveillance et le contrôle de ces activités par les structures technocratiques. Étaient ainsi mises en avant les notions d’uniformisation dans les comportements et les représentations, de consommation passive. Selon Certeau, cette approche est trop unilatérale : elle néglige la manipulation de ces activités par les pratiquants. L’usage est en effet de l’ordre de la réappropriation créatrice, de la production secondaire à partir du matériau fourni, lui, par les structures technocratiques (par exemple les lieux communs, les produits du supermarché). Ces pratiques quotidiennes sont ainsi qualifiées d’arts de faire, à l’opposé du subir : elles sont « les pratiques par lesquelles des utilisateurs se réapproprient l’espace organisé par les techniques de la production socioculturelle19 ».

Cette conceptualisation des arts de faire comme combinaison productrice secondaire à partir d’un matériau reçu repose sur une conception hylémorphique des rapports entre forme et matière20. Cette dichotomie permet de soutenir l’opposition idéologique : d’un côté le subi, le reçu, l’uniforme (de l’ordre de la matière) ; de l’autre, l’actif, le bricolé, l’inventif (de l’ordre de la forme). La conceptualité simondonienne nous permet de raffiner la compréhension de ces objets que sont les arts de faire. Prenons l’exemple des lieux communs. Ils ne sont jamais d’abord du matériau brut ; ils sont toujours déjà préparés, c’est-à-dire pris dans le cadre de la conversation, ils n’existent pas en dehors de ces interactions. L’art de faire de la conversation n’est pas une forme pure qui vient s’imposer de l’extérieur au matériau que seraient les lieux communs. Comment expliquer alors le phénomène de réappropriation propre aux arts de faire, s’il n’est pas mis en forme d’un matériau reçu par une pratique singulière ?

Notre hypothèse de départ – considérer les pratiques quotidiennes comme matière contenant des formes implicites – permet peut-être de fournir un élément de réponse. Les pratiques quotidiennes constitueraient pour l’artiste une matière dont une des formes implicites serait la réappropriation créatrice. La voie d’un détournement serait ménagée dans la matière même des pratiques quotidiennes. C’est cette forme implicite spécifique des pratiques quotidiennes qui permettrait à l’usager d’être dans le même temps récipiendaire et acteur. C’est également ce qui permet d’expliquer qu’il n’est pas nécessaire à l’usager de vouloir une réappropriation ou d’être capable de la conscientiser pour que celle-ci advienne. Cette réappropriation peut se faire comme dans son dos, comme simple conséquence de cette forme implicite des pratiques quotidiennes. Dans le cadre de l’art participatif, l’art de faire, défini par Certeau comme appropriation créatrice, serait ainsi la forme implicite des pratiques quotidiennes.

La réappropriation créatrice comme forme implicite de la cuisine est manifeste dans le projet Enemy Kitchen21 de l’artiste irako-américain, Michael Rakowitz. Dans ce projet, l’artiste choisit de faire cuisiner des collégiens américains à partir des recettes de cuisine irakienne de sa mère. Pendant 10 semaines, vêtus de tabliers arborant le drapeau irakien sous lequel est inscrit « Enemy Kitchen », les collégiens apprennent à préparer des plats typiques du pays.

Cuisiner irakien pendant plusieurs semaines consécutives finit probablement par instaurer une plus grande connaissance de cette culture, en tout cas une plus grande proximité affective entre les participants et ce pays auparavant fantasmé. Les ennemis ont l’air moins étranger quand on mange ce qu’ils mangent – et qu’on trouve ça bon. Cette proximité croissante au fil des ateliers est manifeste dans cette anecdote rapportée par Michael Rakowitz :

« Après huit semaines d’atelier de cuisine irakienne, les étudiants du Hudson Guild Community Center proposèrent de m’enseigner leurs propres recettes de famille, maintenant qu’ils savaient tout des miennes. Un étudiant, Hyasheem, demanda : “Est-ce que les Irakiens font du poulet frit à la façon du Sud [Southern Fried Chicken] ?” J’ai répondu que non, à ma connaissance, il n’y avait rien de tel dans la cuisine irakienne. “Alors, inventons-le”, dit-il. Hyasheem mena l’opération et nous cuisinâmes le poulet selon ses recommandations, utilisant une technique “shake-n-bake”. Le Poulet Frit Irakien était né22 ».

Cet épisode met en lumière la manière dont la cuisine a pour forme implicite la réappropriation créatrice. C’est en tant que la cuisine fonctionne par combinatoire qu’elle laisse toujours ouverte la possibilité d’un détournement. Les combinaisons des produits de supermarché sont toujours susceptibles de créer en dehors de ce qui est attendu (en dehors de la recette, en dehors des plats traditionnels par exemple). Dans cet exemple précis, avoir choisi la cuisine comme matière du projet permet à l’artiste de produire un effet intéressant : provoquer des changements de représentation de l’ennemi irakien. En effet, la cuisine suscite par elle-même – par l’une de ses formes implicites – des réappropriations des recettes irakiennes qui fonctionnent comme autant de réappropriations symboliques. Les réappropriations culinaires constituent des familiarisations envers les représentations et les conceptions de l’Irak, de sa culture et de ses habitants. La cuisine permet de se réapproprier la distance postulée entre les Américains et leur ennemi.

La coopération

L’appellation « art participatif » oblitère souvent que la participation est à envisager sous l’aspect de la coopération, de la collaboration. En effet, il ne s’agit pas d’apporter sa contribution individuelle à une initiative ou à un projet déjà constitué, aux fins déjà déterminées, comme l’on pourrait dire que je participe à une manifestation, à une brocante par exemple. La majorité du temps, la participation suppose de travailler avec un artiste à créer autre chose d’imprédictible à partir d’un projet, et également de travailler avec les autres participants engagés. Il s’agit ainsi d’une coproduction avec plusieurs acteurs. Cette coproduction a pour ambition de créer de la communauté dans le temps du projet. Cette communauté se caractérise principalement par un temps, un lieu et des fins choisis et partagés.

Admettons par exemple qu’un artiste choisisse comme matière la pratique photographique, c’est-à-dire qu’il propose aux participants de faire des photographies : par son dispositif même (un œil derrière un objectif), la pratique photographique a pour forme implicite le regard individuel. Cette forme implicite ouvre une participation de l’ordre de l’addition des réalisations individuelles, mais ferme une participation qui se voudrait davantage de l’ordre de la coproduction entendue comme construction collective.

La possibilité de cette coproduction constitue ainsi un des enjeux majeurs dans la sélection de la matière d’un projet. Les matières cuisine et bricolage posséderaient ainsi une seconde forme implicite, la coopération. Ce n’est pas seulement que ces pratiques ménagent la possibilité d’être accomplies collectivement. C’est qu’elles impliquent nécessairement une collaboration à partir d’un certain degré, pour être menées à bien : préparation d’un très grand nombre de plats, construction à grande échelle. Autrement dit, elles induisent en elles-mêmes chez les participants une disposition à la coopération qui relève de la reconnaissance d’un besoin : sans toi, je ne peux pas faire ça.

Dans le cas de la conversation, l’on pourrait arguer que la coopération relève davantage de la forme explicite : une conversation se fait toujours avec quelqu’un. Cependant, il nous semble que la forme explicite de la conversation est davantage le nombre (il faut être au moins deux) que la coopération. Celle-ci s’apparenterait davantage dans le cadre de la conversation à des dispositions spécifiques, loin d’être présentes dans chacune de nos discussions, et qui seraient en cela de l’ordre de la forme implicite : attention, reprise de la parole de l’autre et élaboration à partir de celle-ci, coproduction de sens.

Prenons l’exemple du Boat Project23. Les artistes de Lone Twin, Gregg Whelan et Gary Winters, invitent les habitants d’Emsworth, petite ville du Sud Est de l’Angleterre, et sa région, par le biais d’affichettes, d’annonces dans les journaux, du bouche-à-oreille, à leur donner des morceaux de bois. Pas n’importe quel morceau de bois. Un morceau de bois qui aurait une histoire spécifique, une valeur particulière. Les heureux propriétaires de ce type de morceau de bois peuvent se présenter dans un hangar dans la Marina d’Emsworth, tous les week-ends, pendant près d’un an. Ils racontent l’histoire de ce bout de bois, le donnent officiellement à Gregg et Gary. On les prend en photo avec leur donation. Le tout est enregistré. Tous les morceaux de bois donnés sont ensuite assemblés pour construire un voilier. Ce voilier a vu le jour en juin 2012 et sa coque est effectivement composée de manches de guitare, branches d’arbre, lattes de lit, grigris exotiques et jouets d’enfant. Le bateau a été baptisé Collective Spirit.

Mais la spécificité et la valeur de ce projet résident ailleurs : le hangar à bateaux du Boat Project était un lieu ouvert tous les jours durant plus d’un an, pour accueillir volontaires, visiteurs curieux ou égarés. À l’intérieur, il ne leur était pas proposé une maquette du projet ou des plaquettes informatives, mais la possibilité de participer pratiquement à la construction du bateau ou à la bonne menée du projet lui-même : Jesse ou Mark, respectivement artisan et constructeur de bateaux, procédaient à leur tâche et invitaient les visiteurs à les aider. Ainsi, lorsque je me suis rendue dans le hangar à bateaux du Boat Project, j’ai été sollicitée pour aider à construire la coque du voilier. Il s’agissait de coller plusieurs fines lattes de bois de plusieurs mètres de long les unes aux autres. Spontanément, pour accomplir cette tâche, l’artisan devait s’associer aux autres personnes présentes à ce moment-là dans le hangar, car la longueur des lattes exigeait plusieurs personnes pour la pose. La coopération n’était pas ainsi une modalité de rapports mise en scène par un dispositif : elle est une nécessité technique dont la dimension impérieuse fonctionne comme passage à l’acte. La coopération passe par l’apprentissage de gestes, par l’aide physique, mais aussi par le partage de conseils, de microsolutions aux problèmes rencontrés devant la tâche à accomplir ensemble. Cette coopération s’approfondit au fur et à mesure du temps passé ensemble dans ce hangar, au fil des week-ends. Elle se traduit alors par une connaissance accrue des compétences de chacun, par une lecture plus fine des comportements, par une anticipation plus grande des gestes à faire et ainsi par une coordination, une fluidité, une unanimité dans la construction qui transmutent la coopération en communauté. Ce phénomène est décrit par Richard Sennett quand il analyse le fonctionnement d’un atelier de luthier comme modèle de «comportement social dialogique » : il met notamment l’accent sur l’importance des comportements corporels dans l’établissement d’un savoir travailler ensemble informel, c’est-à-dire spontané, non réfléchi24.

Autrement dit, les matières bricolage, cuisine, conversation sont susceptibles de susciter la coopération sans que l’artiste ait besoin de demander aux participants de bien vouloir coopérer. La coopération est générée par la matière même en tant qu’elle recèle cette forme implicite, elle est produite de façon immanente, tant et si bien qu’il y a une autonomie de la communauté créée par la pratique. Elle n’est pas une directive de création imposée par l’artiste. Ainsi le choix de ces matières apparaît comme une solution à un problème central pour l’artiste en art participatif : comment créer une situation de collaboration, c’est-à-dire des rapports horizontaux ou égalitaires, alors que son statut d’artiste lui donne a priori une position surplombante et dominante sur les participants ? Choisir la cuisine, le bricolage ou la conversation permet à l’artiste de se délester de son rôle traditionnel d’auteur, d’origine absolue de l’œuvre, rôle devenu encombrant dans le cadre d’une pratique fondée sur une coproduction dans le champ social. La conversation, telle que décrit par Certeau, est à ce titre exemplaire :

« les rhétoriques de la conversation ordinaire sont des pratiques transformatrices de “situations de paroles”, de productions verbales où l’entrelacs des positions locutrices instaure un tissu oral sans propriétaires individuels, les créations d’une communication qui n’appartient à personne. La conversation est un effet provisoire et collectif de compétences25 ».

De même, dans Intervention to Aid Drug-Addicted Woman, WochenKlausur est à l’origine de la «situation de paroles » en choisissant la matière de la conversation pour leur œuvre. Mais la conversation qui s’établit entre élus et activistes et la coopération dans la résolution de problèmes qui en résulte n’est pas leur production, elle n’est pas de leur fait, ils n’en sont pas l’auteur : elle advient comme forme implicite de la conversation.

Ainsi, la coopération que l’artiste espère mettre en place advient sans qu’il la commande – mais grâce à lui, ou plutôt grâce à sa bricologie, à sa capacité à déceler dans les matières brutes les formes implicites. Peut ainsi advenir une forme de communauté.

La fabrication d’habitudes

L’art participatif peut être analysé comme l’une des incarnations les plus récentes et les plus radicales de ce que l’on pourrait qualifier de phylum des avant-gardes. « Phylum » est un concept employé par Gilbert Simondon dans Du mode d’existence des objets techniques pour désigner une lignée technique qui constitue une famille historique entre différents objets - par exemple : arc, arbalète, moteur à ressort26. Dans le cadre d’une définition de l’art, il s’agirait d’une lignée esthétique entendue comme parenté de formes, problèmes et idéaux. L’histoire de l’art serait ainsi constituée de multiples phylums – parmi eux celui des avant-gardes. Le phylum des avant-gardes pourrait être ainsi caractérisé par :

• Une conception de l’art comme corps d’habitudes historiques et non comme essence anhistorique.

• Une révolution des formes : les formes anciennes sont récusées au profit de nouvelles qui n’ont pas l’air artistiques.

• Un idéal : changer l’art – qui passe par la transformation des « habitudes d’art ».

• Un pari : changer l’art et la vie – l’art est capable de changer la vie.

L’art participatif partage, avec les mouvements d’avant-gardes, les mêmes enjeux et modes d’actions. L’art participatif reconfigure les habitudes d’art, à partir de la question : comment l’art peut changer la vie, c’est-à-dire avoir une effectivité sur le plan social et politique, dans le contexte démocratique actuel ? C’est ce problème commun aux avant-gardes, ici recontextualisé en fonction des données sociopolitiques actuelles, qui constitue un des invariants des projets d’art participatif. Plusieurs éléments de solution ont été mis en place pour résoudre ce problème : la participation entendue comme coproduction, l’inscription de ces projets artistiques toujours déjà dans la sphère sociale en sont des exemples. Nous postulons que le choix des pratiques quotidiennes comme matières de ces projets fait partie de ces solutions au problème « comment changer la vie par l’art ? ».

Changer les habitudes quotidiennes par l’art pour changer la vie

En effet, la cuisine, le bricolage, la conversation sont des activités quotidiennes. En tant que telles, elles sont structurées par un certain nombre d’habitudes. Plus précisément, ces pratiques sont productrices d’habitudes. C’est en cuisinant tous les jours que je prends l’habitude d’utiliser tels ingrédients et de maîtriser tel appareil, c’est dans et par la discussion répétée que je prends l’habitude de couper la parole à mon interlocuteur ou d’être attentif au choix de ses mots etc. Nous faisons ainsi l’hypothèse que l’importation des pratiques quotidiennes depuis la sphère sociale jusqu’à la sphère artistique traduit l’intérêt des artistes pour une troisième forme implicite des pratiques quotidiennes conçues comme matières pour l’artiste : la fabrication d’habitudes. En effet, le déplacement de l’activité quotidienne depuis son milieu naturel jusqu’à un milieu complètement neuf pour l’usager induit des conséquences sur les habitudes et leur production. Dans un premier temps, les habitudes du participant se manifesteront et permettront une certaine immédiateté et fluidité dans le rapport du participant au projet ; dans un second temps, si le projet a lieu sur la durée, la pratique quotidienne « hors-cadre », c’est-à-dire telle que reconfigurée par l’artiste, va produire de nouvelles habitudes. Une fois le projet terminé, le participant va pour autant continuer à pratiquer la même activité dans la vie. L’ambition des artistes en art participatif est que les habitudes contractées dans le temps du projet autour de ces activités se prolongent, perdurent dans la vie quotidienne des participants. Le pari consisterait à ce que changer les habitudes quotidiennes par l’art permette de changer la vie. On notera que ce pari est extrêmement pertinent du point de vue du projet des avant-gardes. En effet, quoi de plus efficace pour changer la vie que de parvenir à changer son tissu même, c’est-à-dire les façons d’agir, de comprendre et d’aimer que sont les habitudes ? Il y aurait là un canal entre l’art et la vie, jusque-là inexploité.

Prenons l’exemple d’Intervention to Aid Drug-Addicted Women du collectif allemand WochenKlausur. Ce collectif se situe dans une branche très spécifique de l’art participatif : les issue-based projects. Grant Kester décrit ainsi ce type de projet :

« [These] projects are defined in terms of a set time frame during which they first describe a specific problem and then bring together the resources necessary to facilitate its resolution through a concentrated series of actions27. »

Le projet Intervention to Aid Drug-Addicted Women consiste à parvenir à faire dialoguer des acteurs politiques et sociaux qui ont échoué à communiquer plusieurs fois lors de concertations précédentes : ici, en l’occurrence, plus de 50 membres du personnel politique et activiste de la ville de Zürich. Le problème à résoudre est le suivant : de plus en plus de jeunes femmes en situation d’addiction à la drogue recourent à la prostitution pour financer l’achat de substances. Elles se retrouvent ainsi quasiment sans-abri, errant dans les rues à longueur de journée, souvent victimes de harcèlement par la police ou d’agressions par leurs clients, n’ayant aucun endroit où aller. Cette situation devient critique, générant de plus en plus d’altercations et de tensions sociales au quotidien. WochenKlausur décide d’affréter un petit bateau sur le lac de Zürich et convie à bord tous les acteurs du problème.

La croisière dure à chaque fois quelques heures, et ce pendant plusieurs semaines. Le projet consiste en la conversation prolongée, soutenue entre les différents acteurs de ce problème de la ville de Zürich. L’intérieur du bateau a été aménagé de façon inhabituelle : papier peint étoilé, sièges fleuris en plastique, nappes colorées sur lesquelles trônent assiettes en carton remplies de tartines., papier peint étoilé. Le décor ressemble davantage à celui d’un goûter d’anniversaire qu’à une salle de réunion politique.

Au fil des jours, les acteurs finissent par trouver un terrain d’entente. Grant Kester estime que la réussite du dialogue tient principalement à la création de conditions de conversation nouvelles dans lesquels les acteurs se sentent moins représentants de leur institution, se définissent moins par leur fonction sociale ou politique par rapport au cadre quotidien, habituel de négociations28. On pourrait interpréter ces décadrages à échelle individuelle comme résultant du décadrage général opéré par le projet ; celui de l’importation de cette conversation politique déjà en cours dans un tout nouveau cadre artistique. Ces effets de décadrage constituent un moyen privilégié de travailler sur les habitudes, dans la mesure où ils tiennent ensemble « ce qui est d’habitude » et « ce qui est maintenant», permettant à chacun de mesurer l’écart. Ce projet a débouché sur la mise en place d’une solution concrète toujours opérationnelle aujourd’hui : l’établissement d’une maison d’accueil pour ces jeunes femmes, avec lits, espaces de repos et soins.

On peut faire l’hypothèse que cette pratique de la conversation entre acteurs auparavant irréconciliables dans le cadre du projet a entraîné des changements dans les relations entre les acteurs présents, grâce à la transformation d’expériences positives en habitudes. Le fait de pouvoir communiquer dans un cadre qui délivre un peu de sa fonction sociale et politique permet par exemple de rompre avec l’habitude d’assigner à identité son interlocuteur – on a davantage l’impression d’être confronté à une personne singulière, plutôt qu’au représentant d’une caste sociale, d’une position politique etc. Les préjugés des activistes sur les fonctionnaires de la ville de Zürich et réciproquement ont pu raisonnablement tomber ou tout du moins être nuancés par cette expérience. Cette nouvelle façon de se rapporter aux autres a été connotée positivement, dans la mesure où elle a permis de résoudre un problème commun, et qu’elle a pu se transformer en habitude dans les interactions postérieures entre les acteurs ayant participé au projet de WochenKlausur. Un changement d’habitudes de cet ordre change la vie, en tant qu’il ouvre la possibilité d’un processus de décision concerté quant aux actions pour la ville : ce changement d’habitude peut produire des effets sociopolitiques importants.

La forme implicite de fabrication d’habitudes propre aux pratiques quotidiennes représente ainsi une motivation centrale dans le choix de ces matières par les artistes, et constitue le socle du type d’engagement social et politique spécifique de l’art participatif.

Le travail des formes implicites par l’artiste

Une fois que le charpentier et l’artiste ont sélectionné tel matériau pour ses formes implicites adaptées à l’objet qu’ils se proposent de créer, vient le temps du travail de ce matériau : c’est le second moment de manifestation des formes implicites dans la matière, décrit par Simondon29. La qualité du travail du charpentier dépend strictement de sa compétence à travailler dans le sens des formes implicites de la matière qui sont autant d’informations guidant l’opération technique :

« La fragilité extrême des bois déroulés, prohibant leur emploi en couche unique non collée, provient du fait que ce procédé […] donne bien une feuille de bois, mais sans respecter le sens des fibres sur une longueur suffisante : la forme explicite produite par l’opération technique ne respecte pas, dans ce cas, la forme implicite30 ».

Plus la forme explicite respecte les formes implicites, plus l’objet sera propre à l’usage, plus il sera robuste. Le même type d’évaluation peut-il être appliqué au travail spécifique de l’artiste en art participatif ?

Travailler en connaissance / travailler indépendamment des formes implicites

À la différence du charpentier, l’artiste n’a pas pour préoccupation première la robustesse physique de l’objet qu’il crée. Il ne lui est donc pas absolument nécessaire de suivre les formes implicites de la matière qu’il travaille pour que son œuvre soit viable, contrairement à un charpentier qui court le risque de faire s’écrouler un toit. Ainsi à l’inverse du charpentier ou de tout artisan, l’artiste se retrouve devant un choix, une fois qu’il a sélectionné certaines matières pour les formes implicites qu’il a pu y identifier : il peut décider de travailler dans le sens des formes implicites identifiées, ou il peut décider de travailler contre. Dans les deux cas néanmoins, l’artiste travaille en connaissance des formes implicites.

Nous avons vu, à travers les projets artistiques évoqués précédemment, en quoi peut consister un travail dans le sens des formes implicites. Le projet de l’artiste suisse Christoph Büchel intitulé Piccadilly Community Centre (2011) constitue quant à lui un bon exemple de ce que peut signifier travailler contre les formes implicites de la matière choisie.

Travailler contre les formes implicites

Christoph Büchel choisit de mettre en place, dans les locaux de la galerie Hauser & Wirth, un centre d’activités communautaires similaire dans les moindres détails à ceux que l’on peut trouver dans des quartiers populaires de Londres : un « message board » rempli à craquer de petites annonces dans le hall, des tirelires pour des opérations caritatives, une moquette usée, un calendrier d’activités allant de la réflexologie à la danse de salon, des meubles démodés. Le centre est présenté sur un prospectus de la façon suivante :

« Voluntarily run community centre […] not reliant on grants or outside funding […] self-sustained through the kind and dedicated work of our volunteers and supporters31 ».

La matière choisie par l’artiste – le centre communautaire – a pour forme implicite, la convivialité, sentiment habituellement produit par la fréquentation répétée des ateliers, les interactions qui y ont lieu, l’entraide sur laquelle repose le fonctionnement du centre. Cela est promis par les adjectifs et adverbes choisis dans le prospectus – « voluntarily », « kind », « dedicated » – comme par des objets présents dans le centre, le « message board » par exemple ou la proposition de «Lunchtime Laughter Sessions ».

Mais Christoph Büchel fait le choix de travailler contre cette forme implicite de la convivialité. Pour ce faire, il a demandé à des habitués d’autres centres communautaires de venir au centre pratiquer leurs activités hebdomadaires. On retrouve principalement des personnes âgées désargentées et isolées qui viennent passer leur journée au centre. Tant et si bien que le public, qui n’est pas lui familier avec ce type de lieu, qui ne sait pas encore s’il vient juste voir ou assister à un atelier, se retrouve dans une position sociale très inconfortable. Vient-il observer comme une curiosité, kitsch, démodée et décatie, ce qui est l’environnement habituel de ces personnes âgées? Va-t-il vouloir s’engager dans une activité avec ces personnes qu’il ne connaît pas, qui ne sont pas de son milieu social ? Au lieu d’un sentiment de convivialité, le spectateur se retrouve confronté à un sentiment de malaise social, face à un gouffre. Le travail contre les formes implicites de la matière permettrait à Büchel de faire vivre de façon resserrée, à travers la mise en place de ce centre communautaire, les fractures sociales creusées par la politique de David Cameron qui prône le volontariat individuel, en remplacement du service public, à l’origine d’une plus grande vulnérabilité des personnes habituées de ces centres communautaires, et d’une déréliction de ces institutions.

Cette étude d’un travail contre les formes implicites de la matière nous permet de raffiner ce que l’on entend communément par œuvre subversive. Une forme spécifique de la subversion consiste, en effet, à travailler contre les formes implicites de la matière afin de provoquer des effets affectifs chez le spectateur ou le participant, dont l’artiste espère qu’ils pourront être transmutés en critique, par métabolisation de l’expérience32. Un certain nombre d’artistes en art participatif fondent leur pratique sur ce rapport spécifique aux formes implicites, constituant une sorte de tradition au sein de cet art récent : Santiago Serra, Francis Älys ou Pawel Althamer par exemple.

Ainsi l’on peut dégager une spécificité fondamentale dans le travail de la matière entre l’artiste et l’artisan : la qualité de l’œuvre ne dépend pas nécessairement du suivi des formes implicites de la matière. Le choix de travailler dans le sens des formes implicites de la matière ou contre elles dépend des effets recherchés par l’artiste. Les conséquences de ce choix sont à la fois éthiques – le type de rapport instauré par les participants –, et esthétiques – l’ambiguïté comme qualité formelle héritée du modernisme est par exemple plus facilement mise en place par un travail contre les formes implicites de la matière33.

Travailler indépendamment des formes implicites

Mais les artistes peuvent également entretenir un autre rapport à la matière qui n’est pas de l’ordre du travail en connaissance des formes implicites : l’artiste peut choisir de travailler indépendamment des formes implicites. Ce pôle opposé de positionnement par rapport à la matière comprend deux situations différentes : soit l’artiste est suffisamment bricologue pour avoir choisi sa matière en fonction des formes implicites identifiées, et décide néanmoins de ne pas travailler en fonction d’elles, par mépris pour leurs effets ; soit l’artiste n’est pas bricologue, n’a aucune idée des formes implicites de la matière qu’il travaille et conséquemment les néglige, par ignorance. Dans le cas de l’artisanat, ce type de positionnement par rapport à la matière a des répercussions directes sur la qualité, simultanément, de l’artisan et de l’objet produit.

Dans le cas de l’art participatif, on peut se demander si le sentiment d’artificialité produit par certains dispositifs de participation n’est pas une conséquence directe de cette ignorance. On a vu précédemment que la coopération et la communauté pouvaient advenir de la matière même des pratiques quotidiennes en tant qu’elles sont des formes implicites. Travailler indépendamment des formes implicites de la matière induirait le sentiment chez le participant que ces effets recherchés sont mis en scène plus qu’ils ne sont mis en action : le dispositif fait voir au participant les effets recherchés vers lesquels tendre (interagir avec d’autres, aider) au lieu de lui permettre spontanément de faire, d’agir dans la direction de ces effets.

Sous cette hypothèse, si un travail contre les formes implicites de la matière peut donner lieu à la production d’un projet artistique de qualité, un travail indépendamment des formes implicites de la matière produit plus vraisemblablement un projet ineffectif.

Le travail des formes implicites par les participants

Suivre les étapes de la prise de forme propres au travail du charpentier telles qu’elles sont explicitées par Simondon nous a permis de porter un regard analytique sur le travail spécifique de l’artiste en art participatif, travail auparavant opaque au sens où les catégories traditionnelles ne parvenaient pas à en rendre compte. Nous avons pu établir à la fois quel était son savoir-faire propre: la bricologie ou la maîtrise de l’identification des formes implicites des matières. Si cette bricologie est présente chez des artistes appartenant à d’autres champs de création, nous pouvons néanmoins faire l’hypothèse que cette bricologie est particulièrement développée chez les artistes en art participatif. En effet, leur pratique leur permet d’avoir toutes les matières à disposition, y compris des matières qui ne possèdent pas de tradition en histoire de l’art et dont il s’agit ainsi de découvrir en pionnier les formes implicites. Dans un second temps, nous avons pu constater que le moment crucial de la sélection de la matière pour ses formes implicites est suivi d’un travail de la matière qui se fait suivant ou contre celles-ci. Ce second moment de décision artistique induit certains caractères esthétiques et éthiques de l’œuvre. Ainsi, le travail d’un artiste en art participatif requiert une technicité, à l’inverse de ce qui est communément admis. Cette technicité est très proche de celle de l’artisanat tel que décrit par Simondon : elle pourrait être définie comme une intelligence des formes implicites de la matière qui se manifeste à la fois en amont du projet et dans sa réalisation pratique.

Néanmoins, l’art participatif se distingue des autres pratiques contemporaines par le fait que l’œuvre est coproduite par l’artiste et les participants. Si nous prenons au sérieux cette structure, cela signifierait que les formes implicites de la matière, si elles ne sont pas le plus souvent choisies par les participants, sont néanmoins travaillées par eux dans le temps de la réalisation du projet. Cette hypothèse pose problème à première vue, dans la mesure où elle suggère que les formes implicites seraient explicites, c’est-à-dire immédiatement repérables par les participants : il faut les voir pour les travailler. Or, de la même façon que les formes implicites du bois d’épicéa ne sont pas discernables pour qui n’a pas été formé au travail du bois, les formes implicites des pratiques quotidiennes en art participatif sont opaques aux participants. On pourrait objecter qu’à partir du moment où ces pratiques sont quotidiennes, elles sont familières aux participants et ceux-ci sont ainsi en mesure de manipuler ces matières en connaissance de cause. Mais nous pouvons faire l’hypothèse vraisemblable que c’est précisément en tant qu’elles sont quotidiennes qu’elles ne sont pas l’objet d’une réflexivité analytique de la part des participants : ils n’en ont nul besoin pour les mener à bien dans la vie de tous les jours.

Quelle forme peut prendre alors le travail des formes implicites par les participants sans identification de celles-ci ? Comme nous l’avons vu précédemment, les formes implicites identifiées par les artistes dans les pratiques quotidiennes – réappropriation créatrice, coopération, fabrication d’habitudes – sont autant de lignes de force des projets susceptibles d’induire leur réalisation effective par les participants. Elles sont puissances en devenir ; elles ne sont pas des caractéristiques formelles, et comme telles, elles ne sont pas ainsi perceptibles par les participants. Ce que le participant voit, c’est un hangar à bateaux avec du matériel de construction, des gens avenants et une tâche à accomplir ; c’est une cuisine remplie d’ingrédients exotiques, un tablier pour chacun, et des plats à préparer ; c’est un bateau décoré comme pour une fête de famille sur le lac de Zürich, des compagnons de croisière qu’il n’aurait pas choisis, et des problèmes à résoudre. C’est-à-dire que le participant voit deux choses : d’une part, la fin explicite du projet énoncée littéralement par l’artiste (construire un voilier, apprendre à cuisiner irakien, résoudre un problème social à Zürich) ; d’autre part, la préparation de la matière par l’artiste de telle sorte que les formes implicites puissent effectivement se manifester, préparation qui correspond aux aménagements, au décor, aux détails formels du projet. Les formes implicites sont ainsi, du point de vue de l’artiste, des agents dormants : capables de produire des effets, à condition seulement d’être activées. Autrement dit, en art participatif, ce sont les participants, et non l’artiste, qui transforment les formes implicites identifiées et préparées par l’artiste, en formes explicites. L’artiste serait comme ce charpentier qui aurait disposé sur l’établi de son atelier un bois spécifique, dans le sens de la coupe, et juste à côté l’outil optimal pour scier ce bois. Le participant serait celui qui entrerait dans l’atelier à ce moment-là et couperait le bois choisi avec l’outil choisi selon le sens de la coupe choisi : il jouirait de la qualité du bois produit par cette coupe, et des perspectives que cela lui ouvre en termes de fabrication, effets qui sont les résultats des décisions de l’artisan, nées de son savoir-faire. Il s’agit de bien comprendre le fonctionnement des formes implicites, afin d’éviter tout malentendu : celles-ci n’agissent pas comme des règles à suivre ou comme des manipulations insidieuses. L’action des participants n’est ainsi pas induite de façon mécanique par le travail de l’artiste. Nos actions sont continuellement informées par les formes implicites des matières auxquelles nous sommes confrontés. Elles sont autant d’occasions d’action34, même d’actions effectives35.

Une distinction définitionnelle entre œuvre d’art et objet technique peut être ici utile pour éclairer le rôle des participants dans l’art participatif. L’objet technique met en place des moyens optimaux pour atteindre et reproduire une fin claire et distincte. L’œuvre d’art met en place des moyens optimaux pour atteindre une nébuleuse de fins qui n’est ni claire, ni distincte, et qui, en droit, doit être ouverte. L’œuvre d’art est un objet technique qui met en place des moyens optimaux pour des fins non déterminées. L’œuvre avoue toujours une fin, mais ce n’est jamais celle ou la seule qui advient. C’est sa bizarrerie propre, ce qui la rend indescriptible dans le champ des objets humains, qui sont toujours définis par leurs usages, c’est-à-dire leurs fins. Une œuvre d’art, si ses fins sont claires et distinctes pour l’artiste et le spectateur, devient un objet technique (ce qui n’est pas pire, ou moins noble, mais différent comme mode d’existence). Les fins d’une grande œuvre d’art sont co-construites, elles sont contradictoires, elles sont à diffusion lente, elles apparaissent avec le temps qui passe et se reconfigurent, elles dépassent et l’artiste et son public et son temps.

À la lumière de cette distinction conceptuelle entre œuvre d’art et objet technique, nous pouvons raffiner notre compréhension du rôle des participants dans un projet d’art participatif : leur intervention ne consiste pas à atteindre des fins construites et prévues par l’artiste, puisque l’artiste lui-même ne sait pas pleinement quelles sont ses fins36. C’est cette spécificité de la création qui fait que les participants ne sont pas des instruments au service de l’artiste. Au contraire, l’intervention des participants crée des fins nouvelles non anticipées ou non souhaitées par l’artiste. C’est par cette création de fins nouvelles que l’on peut affirmer que ce sont les participants qui transforment les formes implicites en forme explicite. Cette forme explicite n’est pas le résultat de l’application d’une feuille de route fournie par l’artiste. Elle est la réalisation d’un projet co-construit dans ses moyens comme dans ses fins.

La conceptualité simondonienne nous a ainsi permis de prendre la mesure de tout le travail effectif de l’artiste en art participatif comme identification, maîtrise et préparation des formes implicites de la matière ; elle nous permet aussi de mettre en lumière le point où son travail s’arrête, délaissant ce qui a été le privilège rayonnant des artistes jusqu’alors. L’art participatif accomplit, en effet, une passation de pouvoirs inédite dans l’histoire de l’art : le pouvoir prométhéen de l’artiste est transféré aux participants.

Bibliographie

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Vidéographie

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© Zhong, E. 2015 « Des formes cachées dans la matière. La bricologie de l’art participatif à la lumière de la pensée de Gilbert Simondon » in Th. Golsenne & P. Ribault,Techniques&Culture 64 « Essais de bricologie. Ethnologie de l'art et du design contemporains » : 96-99. [Version papier, synthèse de la version complète parue sous format électronique]

© Zhong, E. 2015 « Des formes cachées dans la matière. La bricologie de l’art participatif à la lumière de la pensée de Gilbert Simondon »inTh. Golsenne & P. Ribault,Techniques&Culture64 « Essais de bricologie. Ethnologie de l'art et du design contemporains ». doi: doi.org/10.4000/tc.7567. [format électronique]


  1. Il s’agit d’une synthèse de l’article, fac-similé de la version papier. URL : https://journals.openedition.org/tc/7671?file=1, consulté 22 mai 2022. 

  2. L’auteur se réfère ici aux vidéos suivantes : COATES, Marcus, Journey To The Lower World, 2004 ; DELLER, Jeremy, The Battle of Orgreave, 2001 ; HIRSCHHORN, Thomas, Gramsci Monument, 2014 ; RAKOWITZ, Michael, Enemy Kitchen Mobile Food Truck, 2004. 

  3. BISHOP, Claire, Artificial Hells. Participatory Art and the Politics of Spectatorship, Londres, Verso, 2012. 

  4. SIMONDON, Gilbert, L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information, [1964], Grenoble, Million, 2005. 

  5. KESTER, Grant, Conversation Pieces. Community and Communication in Modern Art, Berkeley, University of California Press, 2004. 

  6. SIMONDON, Gilbert, L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information, op. cit. 

  7. Pour une mobilisation de la théorie de l’individuation simondonienne dans un cadre de réflexion esthétique, voir ZHONG, Estelle, MORIZOT, Baptiste, « Pour une esthétique de la rencontre. Art et individuation », dans Reclaiming Art, Reshaping Democracy, Dijon, Les Presses du Réel, 2016. 

  8. FOCILLON, Henri, Vie des formes, [1943], Paris, PUF, 2012. 

  9. Ibidem, p. 50. 

  10. Note de l’auteur : Nous soulignons. SIMONDON, Gilbert, L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information, op. cit., p. 40. 

  11. Ibidem

  12. MORIZOT, Baptiste, Hasard et individuation. Penser la rencontre comme invention à la lumière de l’œuvre de Gilbert Simondon, thèse de doctorat, ENS de Lyon, soutenue le 10/12/2011, p. 95. 

  13. SIMONDON, Gilbert, L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information, op. cit., p. 52. 

  14. MORIZOT, Baptiste, Hasard et individuation. Penser la rencontre comme invention à la lumière de l’œuvre de Gilbert Simondon, op. cit, p. 127. 

  15. FOCILLON, Henri, Vie des formes, op. cit., p. 61. 

  16. SIMONDON, Gilbert, L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information, op. cit., p. 52. 

  17. Ibidem

  18. Ibid

  19. DE CERTEAU, Michel, L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, [1990], Paris, Gallimard, 2012, p. XL. 

  20. Ibidem, p. XLV. 

  21. Ndlr : Photo du projet disponible sur https://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/7567/img-1.jpg, consulté le 22 mai 2022. 

  22. RAKOWITZ, Michael, Ennemy Kitchen, 2006. 

  23. Ndlr : Photos du projet disponibles sur https://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/7567/img-2.jpg, consulté le 22/05/2022 et sur https://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/7567/img-3.jpg, consulté le 22/05/2022. 

  24. SENNETT, Richard, Together. The Rituals, Pleasures & Politics of Cooperation, Londres, Penguin Books, 2012, p. 205. 

  25. DE CERTEAU, Michel, L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, op. cit., p. L. 

  26. SIMONDON, Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, [1958], Paris, Aubier, 2012. 

  27. KESTER, Grant, Conversation Pieces. Community and Communication in Modern Art, Berkeley, University of California Press, 2004, p. 98.
    Nous pourrions proposer la traduction suivante : « Ces projets sont définis en fonction d'une durée déterminée au cours de laquelle ils décrivent d'abord un problème spécifique et rassemblent ensuite les ressources nécessaires pour faciliter sa résolution par une série d'actions concentrées ». 

  28. Ibidem, p. 2. 

  29. SIMONDON, Gilbert, L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information, op. cit., p. 52. 

  30. Ibidem, p. 53. 

  31. LUSE, Mimi, « Review of Piccadilly Community Centre de Christoph Büchel », Frieze Magazine, n°142, Octobre 2011. [En ligne], mis en ligne le 01/10/2011. URL : www.frieze.com/article/christoph-büchel-1, consulté le 22/05/2022.
    Nous pourrions traduire ce passage par : « Centre communautaire géré bénévolement [...] ne dépendant pas de subventions ou de financements extérieurs [...] autonome grâce au travail bienveillant et dévoué de nos bénévoles et sympathisants ». 

  32. Note de l’auteur : Ce positionnement s’apparente fortement à ce que Jacques Rancière décrit comme le paradigme d’engagement artistique traditionnel, « le modèle critique mimétique ». Selon Rancière, les limites de ce modèle se situent dans l’absence « de transmission calculable entre choc artistique sensible, prise de conscience intellectuelle et mobilisation politique […]. On ne passe pas de la vision d’un spectacle à une compréhension du monde et d’une compréhension intellectuelle à une décision d’action ». RANCIERE, Jacques, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 74. 

  33. Note de l’auteur : Pour Clement Greenberg, la peinture doit générer « infinite possibilities » en matière de sens, « approaching the brink of meaning and yet never falling over it ». C’est cette ambiguïté de la peinture, considérée comme une qualité à la fois esthétique et morale supérieure, qui la distingue ou doit la distinguer absolument de la culture consumériste, du kitsch.
    GREENBERG, Clement, « Towards a Newer Laocoon », dans Pollock and After. The Critical Debate, [1940], New York, Harper and Row, 1985, p. 42. 

  34. Note de l’auteur : La forme implicite fonctionne comme une invite, affordance des objets vus, suivant la théorie écologique de la perception visuelle de Gibson. 

  35. GIBSON, James Jerome, Approche écologique de la perception visuelle, [1979], Paris, Éditions Dehors, 2014. 

  36. Note de l’auteur : Cette définition de l’œuvre d’art mériterait de donner lieu ailleurs à une étude spécifique des issue-based projects