HELFAND, Jessica, Design : The Invention of Desire, New Haven, Connecticut, Yale University Press, 2016

HELFAND, Jessica, Le design : l’invention du désir (proposition de traduction)

Dans Design : The Invention of Desire, Jessica Helfand explore comment le design influence nos désirs, notamment à l'ère des médias sociaux, tout en questionnant la responsabilité des designers face à ces aspirations créées de toutes pièces1. Elle cherche à savoir comment le design peut être à la fois une source d'inspiration et une solution face à ses propres excès. En somme, elle interroge comment le design peut évoluer pour mieux répondre aux besoins de la société tout en maintenant une éthique et une responsabilité sociale.

Jessica Helfand soutient fermement la valeur du design, en insistant sur l'idée essentielle que les individus sont au cœur de cette discipline2. Dans son ouvrage, elle explore les règles régissant l'engagement humain et l'importance pour le design d'opérer dans un contexte conscient. Cette approche met en lumière le rôle crucial du design dans la création d'expériences axées sur l’humain, en insistant sur la nécessité de concevoir des solutions qui intègrent pleinement la conscience, les émotions et les besoins des personnes concernées.

L'autrice vise à établir une corrélation entre la philosophie du « design pour les gens », incarnée par Paul Rand, Henry Dreyfuss, Ellen Lupton et Scott Stowell, et la notion de «bon design ». Elle souhaite mettre en avant que la qualité d'un excellent design réside dans sa capacité à répondre efficacement aux besoins des utilisateurs tout en reflétant des principes fonctionnels et esthétiques appropriés. Jessica Helfand, dans le chapitre d'ouverture « Conscience », explore l'idée que le design, tout comme l'ADN est fondamental pour notre biologie, est également fondamental pour notre compréhension et notre expérience du monde. Elle suggère que le design ne se limite pas à la simple esthétique, mais qu'il façonne la manière dont nous interagissons avec notre environnement, les objets et même les idées. Cette comparaison entre le design et l'ADN met en lumière l'importance du design dans la construction de notre identité, de notre culture et de notre relation avec le monde qui nous entoure3. Elle évoque des notions telles que la « conscience sociale », la « compassion », la « responsabilité éthique », ainsi que la « compréhension des désirs et des besoins humains4 ». L’autrice questionne les considérations sociales, morales et empathiques dans le processus de design. Par la suite, Jessica Helfand examine l'impact des avancées technologiques sur le domaine du design, en soulignant la dualité de l'accessibilité offerte par ces outils numériques5. Cette accessibilité, bien qu'elle favorise une participation large, Jessica Helfand l’interroge — « Which makes everyone designer ? Or for that matter no one6»—, pour suggérer que cette liberté d'accès généralisée remet en question la valeur et la légitimité de l'expertise en design, laissant planer le doute sur l'existence même d'une autorité dans ce domaine7. Les chapitres « Authority », « Fantasy », «Identity », invitent à nous faire prendre conscience de nos actes et de nos valeurs en tant que créateurs visuels d’images, à l’ère de la technologie où tout va trop vite, et alors que nous sommes en permanence en présence de « pollution visuels » qui n’ont plus aucun sens. Elle va plus loin dans son chapitre « Consequence » où elle explore les pratiques néfastes des médias sociaux tels que « l’absence de réflexion sur le contexte culturel8» « l’effet viral et la propagation en lignel9 », « la perte d’individualité et de contrôle10 », « la quête de performance11 », « l’uniformisation12 » ou encore « la perte d’empathie13 » causée par les plateformes telles que Instagram, Twitter, Facebook ou même Tinder ou causée par les jeux-vidéos. Les chapitres suivants «Compassion », « Patience », « Solitude », «Melancholy », « Humility », « Memory », « Desire », et « Change » explorent les aspects émotionnels et psychologiques de l'expérience humaine dans le design où l’autrice renforce l'importance des valeurs telles que l'intégrité, l'humilité, la conscience et le changement. Ces chapitres mettent en lumière les interactions entre ces concepts et la discipline du design, invitant à une réflexion sur nos actions en tant qu’utilisateurs et créateurs visuels. En abordant la notion de « good design », Jessica Helfand illustre comment le design peut devenir un outil pour résoudre des problèmes sociaux, comme dans l'exemple du SEWA14 (Self-Employed Women's Association), un réseau coopératif pour l'autonomisation des femmes en Inde. Ce cheminement argumentatif va donc de la métaphore du design comme reflet de l'homme à une réflexion approfondie sur ses implications sociales, morales et son potentiel en tant qu'outil pour le changement.

Jessica Helfand, dans Design : The Invention of Desire, explore plus spécifiquement les concepts du «design empathique15 », « design centré utilisateur16 », « design universel17 » et du « good design18 », en se concentrant sur la manière dont le design interagit avec les aspects émotionnels, fonctionnels et inclusifs de la création. Elle encourage à considérer l'utilisateur dans le processus de conception, à créer des produits ou des solutions qui sont à la fois fonctionnels et esthétiques, et à concevoir pour une diversité d'utilisateurs en tenant compte de leurs besoins spécifiques. Ces concepts peuvent être liés aux points de vue de Paul Rand lorsqu’il dit que « tout est design19 », mais croyait fermement en l'importance du rôle du designer individuel dans la création et la conceptualisation du design, rejetant l'idée que tout le monde puisse être un designer. Il insistait sur la singularité de la vision du designer et la nécessité d'empathie envers les utilisateurs finaux pour répondre à leurs besoins spécifiques. Ce point de vue rejoint le chapitre « Solitude » de l’ouvrage, lorsque l’auteure explore la valeur et la complexité de l’isolement dans le processus créatif en donnant le contre-exemple de la collaboration entre Robert Rauschenberg, John Cage et Merce Cunningham20, soulignant l'importance de l'action individuelle dans la création artistique, qui permet d’avoir un regard propre à nous-même et singulier du monde. Elle s’appuie aussi sur le point de vue de Steve Jobs, qui disait “It's not just what it looks like and feels like”, “Design is how it works21”, mettant l'accent sur l’importance des principes de conception centrés sur l'utilisateur, la fonctionnalité et l’inclusivité. Ces concepts du design nous enseignent que chaque designer a la responsabilité de concevoir des projets qui s'inscrivent dans un contexte social, émotionnel et fonctionnel, reflétant ainsi le monde qui nous entoure.

Ancré dans notre époque contemporaine, Design: The Invention of Desire de Jessica Helfand représente une contribution primordiale au domaine du design, interrogeant profondément l'essence même de cette discipline. Jessica Helfand explore la relation intime entre l'humanité et ses interactions avec les objets matériels et numériques, mettant en avant le rôle central du désir en tant que moteur émotionnel fondamental. Cette vision résonne avec la responsabilité éthique du designer vis-à-vis de la société, incarnée par des penseurs tels que Victor Papanek. Par exemple, Papanek a souligné l'importance pour les designers de considérer les implications sociales et environnementales de leurs créations, en mettant en garde contre la fabrication de désirs artificiels conduisant à une surconsommation préjudiciable. Son livre Design pour un monde réel expose ces idées en dénonçant la création de produits qui ne répondent pas aux besoins réels de la population, soulignant ainsi le besoin d'un design centré sur l'utilisateur et durable22. Autre exemple, Bruno Munari, avec son positionnement sur le Good Design, va au-delà de la simple esthétique. Il insiste sur la nécessité d'intégrer des principes fondamentaux tels que la fonctionnalité, la simplicité et l'accessibilité dans la conception d'objets. Son ouvrage L’art du design explore la fusion de l'esthétique et de la fonction, mettant en avant des exemples tels que le design de la chaise pour illustrer comment l'esthétique peut améliorer l'utilité d'un objet. L’auteur préconise ainsi un design holistique qui intègre de manière harmonieuse la beauté et la praticité23. Ces références, associées aux travaux novateurs de certains designers contemporains remettant en question les normes établies du design, corroborent l'idée centrale de Jessica Helfand selon laquelle le design doit transcender la simple satisfaction des besoins fonctionnels ou commerciaux pour répondre aux dimensions émotionnelles et sociales des utilisateurs. Cette approche réfléchie menée par l’autrice ouvre ainsi la voie à une transformation profonde du processus créatif, exhortant à une réévaluation constante des valeurs éthiques et morales qui guident nos créations, tout en considérant attentivement les désirs humains comme moteur central. Plaçant l'humain au centre du design, cette démarche incite à concevoir des solutions enrichissant la vie de ceux qui les utilisent, tout en répondant aux attentes esthétiques et fonctionnelles. Ainsi, Design : The Invention of Desire s'impose comme un ouvrage essentiel, appelant à une approche plus inclusive et globale du design dans notre société contemporaine.

Rebecca MOUDIKI, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023-2024.


  1. HELFAND, Jessica, Design : The Invention of Desire, New Haven, Connecticut, Yale University Press, 2016, p.181-194. 

  2. HELFAND, Jessica, Design : The Invention of Desire, New Haven, Connecticut, Yale University Press, op. cit., p. 24. 

  3. Ibidem., p. 21. 

  4. Ibid., p. 19. 

  5. Id., p. 31 ; p. 45-54 ; p. 61-69 ; p. 75-83 ; p. 107-116. 

  6. Id., p. 22. 

  7. Id., p. 22. 

  8. Id., p. 76, p. 79-81. 

  9. Id., p. 81. 

  10. Id., p. 81. 

  11. Id., p. 81. 

  12. Id., p. 64. 

  13. Id., p. 95. 

  14. Id., p. 89-92. 

  15. Design empathique : Ce concept implique la création de solutions en se basant sur une compréhension approfondie des besoins et des émotions des utilisateurs, mettant l'accent sur la connexion émotionnelle entre le designer et l'utilisateur pour concevoir des produits plus adaptés. Id., p. 157. 

  16. Design centré utilisateur : Il se concentre sur la satisfaction des besoins et des préférences des utilisateurs finaux tout au long du processus de conception, en plaçant ces utilisateurs au centre de la réflexion pour garantir des produits fonctionnels et intuitifs. Id., p.157. 

  17. Design universel : Cette approche vise à créer des produits et des environnements accessibles à tous, indépendamment des capacités individuelles, favorisant ainsi l'inclusion et l'utilité pour un large éventail d'utilisateurs. Id., p. 89. 

  18. Good design : Basé sur les principes de fonctionnalité, simplicité et esthétique, le "good design" cherche à créer des solutions à la fois belles et efficaces, répondant de manière optimale aux besoins des utilisateurs. Id., p. 139-140. 

  19. Id., p.192. 

  20. Id., p.126-127. 

  21. Id., p. 192. 

  22. PAPANEK, Victor, Design pour un monde réel, Dijon, France, Les presses du réel, 2021. 

  23. MUNARI, Bruno, L’art du design, Paris, France, Pyramid, 2012.