HYVRIER, Delphine, Réintroduire l’humain dans son milieu naturel : le design et son histoire au regard de la crise environnementale, Paris, dumas-01923921 – collection Art et histoire de l’art, 2018.
Dans Réintroduire l’humain dans son milieu naturel : le design et son histoire au regard de la crise environnementale1, Delphine Hyvrier part d’un constat. Alors que les ressources et la biodiversité de la planète ne cessent de disparaître tandis que les acteurs politiques et économiques poursuivent leur exploitation et leur production sans limite, la jeune chercheuse Delphine Hyvrier se demande pourquoi les designers, ingénieurs, architectes et urbanistes ne sont-ils pas capables de s’ajuster à l’équilibre de la terre.
Les designers doivent changer de paradigme. Il s’agit de quitter la conception hors-sol d’objets de consommation anthropocentrés. Penser avec — et non pour — les populations permettra aux designers d’être à l’écoute de la complexité des milieux. Delphine Hyvrier appelle ainsi à intégrer les pratiques vernaculaires de l’économie circulaire intégrant l’homme dans la nature.
Pour fonder sa thèse, Delphine Hyvrier procède en trois temps. En premier lieu, elle démontre que les démarches éco-responsables de designers2, souvent limitées au stade de prototypes, ne sont que des alibis pour que les sociétés poursuivent l’épuisement général des ressources. Se référant à Jean Baudrillard, elle constate que la « productivité accrue ne débouche sur aucun changement structurel3 ».
Deuxièmement, Delphine Hyvrier présente une histoire critique de notre société qu’elle qualifie de hors-sol, c’est-à-dire de dualiste4, qui sépare l’homme de la nature. Elle retrace le grand inventaire des territoires qui a permis leur exploitation et leur aménagement5. Face à cette approche moderniste, elle expose d’autres ontologies vernaculaires. Elle cite les économies autarciques6, les liens traditionnels aux forces de la nature transmis au travers des contes7 et les cadres pré-démocratiques8.
Finalement, l’auteur présente des expériences d’aménagement des espaces réalisés avec les populations9, de design de logo illustrant la complexité des liens entre habitants, de design caricaturant les mécanismes de la société de consommation.
Pour conclure, Delphine Hyvrier invite les designers à quitter les injonctions productivistes hors-sol pour créer des objets, des images, des espaces dans une co-construction avec les populations et leurs représentants.
Le premier concept clé du travail est le « Dualisme » entre l’âme et le corps et par extension l’homme et la nature développé au XVII^e^ siècle par Descartes. Cette séparation a autorisé les ingénieurs et scientifiques aux XIX^e^ et XX^e^ siècles à penser ce qui n’est pas humain, comme une chose, dissécable, explicable mathématiquement et exploitable sans limite. Delphine Hyvrier façonne le concept de « Société Hors-Sol », fondée sur l’invisibilisation de nos rapports au vivant au travers d’une mise à distance du réel, par l’abstraction de lois universelles.
Le concept de « Milieu » est emprunté à l’écologie. Il qualifie de manière plus appropriée la position des humains en interaction avec des non-humains.
Face à l’effondrement du vivant et le dérèglement climatique, cette recherche prometteuse permet de repositionner la responsabilité du designer au-delà d’une simple démarche éco-responsable. Elle rejoint les critiques formulées par Vilèm Flusser dans Petite philosophie du Design10 sur la complicité des designers dans la conception d’objets destructeurs de nos milieux. Dans les pas de Victor Papanek, Delphine Hyvrier invite les designers à co-construire avec les populations des objets nécessaires et en harmonie avec leur milieu et à « participer à l’évolution de la société11 ». Opposée au paradigme d’un design technologique et valorisant un design inspiré de nouveaux rapports au vivant, on pourrait aussi trouver chez Hyvrier une relecture de la pensée d’Etienne Souriau12 à laquelle elle ajoute les ontologies vernaculaires pour appeler le designer à redonner un contexte terrestre à une société devenue hors-sol.
Sylvie BRELY Master 1 « Esthétique », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.
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HYVRIER Delphine, Réintroduire l’humain dans son milieu naturel : le design et son histoire au regard de la crise environnementale, Art et histoire de l’art, 2018, cf. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01923921 ↩
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La « Coca-Cola 111 Navy Chair » produite par Emeco à partir du recyclage de 19 millions de bouteilles coûtant 381€ à l’unité n’empêche pas Coca-Cola d’augmenter sa production de bouteilles en plastique de 1 000 milliards (1 billion) en 2017. ↩
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BAUDRILLARD Jean, Le Système des Objets, Paris, Gallimard, 1968. ↩
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LATOUR Bruno, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique. Paris, La Découverte, 1991. ↩
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DESPORTES, Marc, PICON, Antoine, De l’espace au territoire, l’aménagement en France XVIe-XXe siècle, Paris, Presses de l’eÉcole nationale des Ponts et Chaussées, 1997, p. 45. ↩
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MARIOLLE Béatrice, LIZET Bernadette (et. al.) « L’architecture, l’habitant et la nature : comment construire la connivence ? », Les Carnets du Paysage n°29 « Les Déchets », Arles, Actes Sud, 2016. ↩
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Le conte du Géant Yeous cité par Georges SAND et Terry GUNNEL, Legends and Landscape: Articles based on Plenary Lectures Presented at the 5th Celtic-Nordic-Baltic Folklore Symposium, Reykjavík, 2005. ↩
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ZASK Joëlle, La démocratie aux champs, Paris, La Découverte, 2016. ↩
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Exemples de collectifs d’architecture Ya+Ka, Formes Vives, de Jardins partagés, des actions de la Ville de Paris « Végétalisons Paris » ou du Grand Lyon. ↩
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FLUSSER Vilèm, Petite philosophie du design, Belfort, Editions Circé, Traduit de l’Allemand par Claude Maillard 2002. ↩
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PAPANEK Victor, Design pour un monde réel, Dijon/Vienne, Les Presses du réel /Fondation Victor J. Papanek / Université d'Arts appliquées (Universität für Angewandte Kunst), traduit de l’anglais par Robert LOUIT et Nelly JOSSET, 2021. ↩
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SOURIAU Etienne, La Charte de l’esthétique industrielle, Revue Esthétique industrielle 1952. Voir également la Revue d’Esthétique et la Nouvelle Revue Esthétique. ↩