1. Définition

Le design system, ou système de conception en français, désigne un ensemble de principes, de composants et de directives visant à la production d’objets cohérents. Il est le plus souvent utilisé dans les productions numériques, afin de préserver une cohérence fonctionnelle et visuelle.

Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales donne les définitions suivantes d’un « système » et de la « conception » :

« Ensemble structuré d’éléments abstraits, ensemble de concepts présentés sous une forme ordonnée. »

« Système » - CNRTL, En ligne, URL : https://www.cnrtl.fr/definition/système , consulté le 14 avril 2025,

« Fig. Activité de l’esprit en vue de la compréhension ou de l’élaboration de quelque chose. »

« Conception » - CNRTL, En ligne, URL : https://www.cnrtl.fr/definition/conception, consulté le 14 avril 2025

Un système de conception est donc bien un ensemble d’éléments permettant l’élaboration d’objets réplicables via l’utilisation de ressources, règles ou schémas de conception (design pattern) communs, mais il est important d’y ajouter la notion de cohérence. L’idée même du design system est de faciliter la production tout en garantissant une pleine cohérence entre les différents objets issus de ce système. Il convient donc de se questionner sur cette notion de cohérence.

2. De la langue d’origine au français

Le terme « design system » vient de l’anglais et est souvent utilisé comme tel en français, même si l’on peut parfois entendre des traductions plus ou moins littérales comme « système de design » ou « système de conception ». Le vocabulaire numérique et informatique est très souvent adopté tel quel en français.
Si la non adoption en général de la traduction française du concept peut s’expliquer par l’effet moderne et high-tech prêté à l’anglais par la langue française (on retrouve dans de nombreux domaines une surexploitation d’anglicismes). Il est aussi notable que cela contribue à une certaine normalisation du numérique. Le design system est un concept répliqué à nos moeurs, qui conserve ainsi sa nomenclature quel que soit le pays. Le numérique reste ainsi cohérent malgré sa diversité et l’emploi général de l’anglais tout autour du globe en témoigne.

Pourtant la non traduction du terme peut déranger car, même si le mot design reste syntaxiquement le même, lors de son passage en français, il s’éloigne de son sens premier de conception pour désigner plutôt la conception plus spécifiquement visuelle. Ce glissement sémantique peut donc poser problème pour la compréhension générale du design system qui s’applique à tout types de conception, qu’elle soit visuelle, textuelle ou fonctionnelle par exemple.

C’est durant la conférence de l’OTAN de 1968 sur le génie logiciel que Christopher Alexander imagine ce concept afin de discuter de la meilleure façon de développer des logiciels. Le design system parle donc en premier lieu de conception algorithmique et syntaxique du code. Il réutilise ce terme lors de la publication de A Pattern Language: Town, Building, Construction 1 , 1977, coécrit avec Sara Ishikawa et Murray Silverstein cette fois-ci, autour de l’architecture. Dans ce livre, ils présentent un nouveau langage afin de décrire la construction de batiments : un système de conception architecturale.

3. Explicitation du concept et problématisation

Le design system est un ensemble de ressources variées et variables afin de décrire une manière de concevoir. Son premier objectif est avant tout productiviste. Ce système est mis en place afin d’assurer une bonne entente générale dans la conception d’un produit en mettant en place des méthodes et habitudes de production permettant un travail de groupe efficace. En effet, le principal atout de ce genre de système est de faciliter le travail collaboratif à grande échelle, qui peut être difficile à mettre en place sinon.

Par exemple, la NASA met en place un design system afin d’homogénéiser le code qu’ils produisent. Ici l’enjeu n’est pas une production rapide mais plutôt un code sûr et lisible afin d’éviter tout bug, qui peuvent s’avérer catastrophiques dans un domaine si critique (voir 2.).

Une fois une méthode de conception efficace définie par le design system son autre utilité est de créer un forme d’homogénéisation de la production : de gommer l’aspect singulier du travail de chacun en y apportant une cohérence. On pourrait rétorquer que cette cohérence joue plus en faveur de la pluralité des conceptions possible, notamment car le nombre de système de conception est presque aussi important que le nombre de concepteur·rice·s. Dans l’industrie du numérique par exemple, on peut facilement distinguer les production de Microsoft, d’Apple ou encore de Google.

Pourtant, cette multiplicité apparente semble tendre vers une homogénéisation des techniques de conception, vers une naturalisation, dans le sens qu’on rend un système de conception comme allant de soi, existant par nature. En effet, même si la charte visuelle de Google, Microsoft et Apple sont distinctes, la manière qu’ils ont de structurer leur objets est très similaire : l’aspect purement technique change (pas les mêmes OS, le même code), mais la philosophie de production de leurs logiciels est similaire : ils souhaitent tendre vers l’intuitivité et la fonctionnalité. Et plus que ces seuls trois GAFAM, il semblerait que la plupart des design systems du numérique vise ces mêmes objectifs : il faut que cela soit simple, il faut que cela marche. C’est une des idées que développe Marcello Vitali-Rosati dans son Éloge du bug (voir 3.).

On pourrait rétorquer que les exemples cités proviennent tous du même domaine et que cela pourrait très bien ne pas être le cas ailleurs. Il existe évidemment d’autre exemples de cette homogénéisation de la conception (la mode, l’industrie agroalimentaire, …), mais le cas du numérique est intéressant car c’est un concept qui tend à homogénéiser des réalités techniques à l’origine très différentes, et donc à invisibiliser la variété des conceptions possibles.

Rosati l’explique bien :

« En ce qui concerne le numérique, cette multiplicité semblerait évidente, si on est conscient de la multiplicité de visions du monde qu’on peut décrire avec des modèles fonctionnels différents. Mais le mot numérique est un adjectif substantivé utilisé au sens métonymique et cet usage a tendance à écraser la multiplicité. »

Vitali-Rosati, Marcello, Éloge du bug: être libre à l’époque du numérique, editions Zones, 2024, (en ligne), URL : https://www.editions-zones.fr/lyber?eloge-du-bug

Ainsi l’on peut aussi voir le numérique comme un système de conception lui-même. Il est le produit des multiples design system créés consciemment et transporte certaines valeurs, produit une certaine vision du monde en effaçant la multiplicité possible de conceptions individuelles, si bien que l’on envisage difficilement la production d’un outil numérique en dehors d’un paradigme fonctionnel et intuitif (voir 3.).

Si un système de conception donne des ressources, des outils et des principes à respecter permettant de concevoir une infinité d’objets, il faut être capable de regard critique sur les valeurs qu’un tel système transporte ainsi que sur la disparition d’une individualité inhérente à la cohérence voulue par les design systems.

Corto Cristofoli, pré master ENS Lyon


  1. Alexander, Christopher (éds.), A pattern language: towns, buildings, construction, Oxford university press, 1977.