1. Définition

Un maker est une « personne qui fabrique en amateur des machines ou des objets. Un maker, c'est avant tout un amateur enthousiaste qui fait petit à petit partie d'une communauté de gens partageant les mêmes intérêts. » On parle de makers pour désigner des personnes engagées dans des pratiques de fabrication, mais l’expression « mouvement maker » est également employée pour décrire l’engouement et l’élan collectif actuel.

La crise de l’expertise et la vague de réappropriation des techniques et des savoir-faire, portée (notamment) par le mouvement maker, place l’autonomie comme maître mot et favorise aussi la mixité de compétences. Des « collectifs » protéiformes de designers s’inventent aussi, qui mettent en jeu des associations interdisciplinaires entre designers, architectes, paysagistes, artistes. Les designers, pris dans ce bouillonnement, questionnent leurs pratiques en profondeur : entre observation, documentation et création, quelle est leur place ?

Par leur action, les makers ne font pas que chahuter l’ordre industriel dominant. Par les innovations techniques dont ils sont promoteurs, tout comme par l’éthique et la culture dont ils sont les véhicules, ils portent également des promesses de rupture dans de nombreux autres champs d’action, comme ceux du droit, de l’art ou du design.

Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau et Michel Lallement, Makers. Enquête sur les laboratoires du changement social, Paris, Seuil, 2018, p.23

« Les designers sont nombreux maintenant à s’interroger sur l’évolution de leur profession : quels modèles économiques faut-il mettre en place pour vivre de son métier ? Quelle fonction citoyenne les designers doivent-ils remplir ? Jusqu’à quel point le designer peut-il et doit-il se transformer en médiateur pour aider les usagers à concevoir des objets correspondant à leurs besoins et à leurs désirs ? Ces questions portent en germe une interrogation d’ensemble : la disjonction entre acte de production et acte de consommation n’est-elle pas en passe de s’estomper et, avec elle, d’ébranler l’un des piliers de toute notre société industrielle ? »

Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau et Michel Lallement, Makers. Enquête sur les laboratoires du changement social, Paris, Seuil, 2018, p.25

2. De l'anglais au français

Le terme maker est un terme anglais qui n’a pas d’équivalent exact en français mais qui est parfois traduit en « bricodeur ». Un maker est un bricoleur, augmenté par les technologies numériques. Résultat de la convergence entre la culture numérique du libre et de l’open source et des savoir-faire techniques plus traditionnels (ou artisanaux), le mouvement maker naît aux États-Unis au début des années 2000. La diffusion du Do it Yourself (littéralement traduisible par « fais-le toi-même ») et des outils de fabrication numérique, comme les imprimantes 3D, brouille alors les frontières entre experts et citoyens ordinaires.

En France, le journal Système D, qui se définit lui- même comme le « journal hebdomadaire illustré du débrouillard », est lancé en 1924. Jusqu’en 1929, il est un média incontournable pour tous les foyers français. Son objectif est de contribuer à faire connaître et à diffuser une culture du bricolage et de la débrouille, dans l’idée d’accompagner la population dans la reconstruction d’après-guerre. C’est aussi une manière de valoriser une forme d’épanouissement par le travail manuel, les choses bien faites, la maîtrise des outils, et de redonner de la dignité à une activité de production exercée hors des murs de l’usine tayloriste. Le bricolage tient également une place particulière pendant les Trente Glorieuses, à la fois comme outil de résistance à la consommation de masse et comme moyen de valoriser l’autonomie et les singularités de chacun.

Le terme « maker » est popularisé principalement par Make Magazine, qui contribue à la diffusion de ce mouvement depuis 2005. Fidèle aux principes du Do it Yourself, cette publication met en avant de nombreux projets, plans, documentations et ressources. Fort d’un lectorat important, Make Magazine organise partout dans le monde depuis 2006 des Maker Faires, sortes de vastes foires qui mettent en valeur les dernières inventions technologiques du moment ainsi que de nombreux engins et prototypes fabriqués par des amateurs : vélos robotisés, sculptures animées, engins électroniques interactifs et toutes sortes de créations ingénieuses mises en scène lors de ces événements populaires.

3. Explication du concept

Différents ateliers collectifs de fabrication autonome, comme les hackerspaces, makerspaces et FabLabs, se multiplient depuis une vingtaine d’années. Différents termes (liés à des généalogies et à des héritages spécifiques) sont ainsi employés aujourd’hui pour qualifier des ateliers ouverts à tous, qui proposent à ceux qui le souhaitent un espace de travail, des formations et un accès à du matériel plus ou moins sophistiqué : imprimantes 3D, fraiseuses numériques, découpeuses laser, mais aussi outils de bricolage plus classiques, machines à coudre, etc.

Ces communautés sont composées d’un ensemble très hétérogène, qui regroupe sous la bannière des « makers » des passionnés de programmation informatique et de code, des ingénieurs, des retraités, des designers, des artistes, des étudiants, ayant comme point commun l’envie de réaliser des projets individuels ou collectifs, de partager des connaissances et des compétences au sein d’une structure souple et autonome.

On trouve des ateliers de ce type un peu partout dans le monde, avec une concentration plus forte en Amérique du Nord et en Europe, même si le modèle s’est diffusé également en Amérique du Sud, en Afrique et en Inde. Le mouvement maker n’est pas qu’un effet de mode. Il prolonge les réflexions critiques sur la création et la production d’objets, le bricolage, le bidouillage et la fabrication personnelle, qui n’ont évidemment pas attendu les récentes avancées technologiques pour exister.

Les designers Victor Papanek et Enzo Mari militent alors déjà pour des schémas alternatifs de conception et de production. Dans les années 1970, le mouvement punk poursuit l’invention d’un contre-modèle et d’une contre- culture dans le domaine de la musique en prônant une indépendance et une autonomie à l’égard des modèles commerciaux classiques.

Le Do it Yourself s’applique alors à la création musicale, et ce à des échelles très variées : il s’agit de créer son propre label, d’éditer ses propres disques ou cassettes, d’enregistrer soi-même ses morceaux, de s’imposer dans des festivals indépendants, etc. Aux États-Unis, l’emblématique Whole Earth Catalog, édité par Stewart Brand entre 1968 et 1972, est une documentation incontournable pour comprendre la généalogie du mouvement maker. Il se situe à mi-chemin entre l’encyclopédie et le manuel technique. C’est une cacophonie d’artefacts, de voix, de modes d’emploi et de guides pour tricoter, faire de la poterie, fabriquer des outils, sculpter des flûtes en bambou ou concevoir des instruments de musique électronique. Cette publication est l’un des documents fondateurs de la contre-culture américaine.

On observe un mouvement général de retour à l’atelier et à la manufacture depuis les années 2000, favorisé par la multiplication d’ateliers de fabrication collectifs. Les makers, en s’emparant des pratiques artisanales, revivifient ces manières de produire en dépassant la question du savoir-faire d’excellence pour valoriser le plaisir de la matière, du geste, de faire soi-même, pour soi ou pour d’autres, seul ou à plusieurs. Ces pratiques se développent, en réseau, de façon collective. Ce retour au faire et à l’atelier bouscule les disciplines instituées.

Camille Bosqué, designer, enseignante-chercheuse à l’École Boulle et à l’Ensci-Les Ateliers, Paris