1. Définition

Les « humanités numériques » est un terme dont il n’existe pas de définition établie dans des dictionnaires, et chaque discipline liée à cette notion, telle que l’informatique, la sociologie ou l’anthropologie, par exemple, tend à forger une définition en propre. Au mieux, il s’agit d’une notion transdisciplinaire et une proposition de définition de celle-ci, empruntée à Anthony Masure, serait :

« Les humanités numériques désignent la relation entre le domaine des sciences humaines et sociales et les technologies du numériques. On comprend dans les technologies du numérique les appareils et les pratiques du numérique tels que les ordinateurs, l’usage qui en est fait, et les processus de traitement de données. Il s’agit plus précisément d’étudier l’impact du numérique sur les sciences humaines et sociales ».

De façon plus concise, cela donne :

« Les humanités numériques désignent l’association de pratiques savantes en sciences humaines et sociales et de matériaux numériques (ordinateurs, programmes, etc.) »

Anthony, MASURE, Design et humanités numériques, Paris, Éditions B42, Collection Esthétique des données, 2018, p. 11.

Il ne faudrait cependant pas penser que le terme et sa définition n’intéressent que les travaux d’Anthony Masure. Pour préciser le périmètre concerné, nous pouvons nous référer à l’extrait suivant :

« Le terme ʺ humanités ʺ recouvre ici l’ensemble des sciences humaines et sociales (SHS) et les patrimoines et corpus qu’elles traitent. Le terme “numérique” renvoie à l’ensemble des procédés et techniques qui permettent de transformer n’importe quel objet en ensemble de données binaires, les algorithmes informatiques qui traitent ces données (y compris les conserver et en prendre soin) ainsi que les procédés qui génèrent des rendus tangibles des résultats obtenus, notamment sous forme visuelle, sonore ou d’objets physiques. […] Les humanités numériques renvoient alors à la rencontre des sciences et technologies informatiques et des sciences humaines et sociales. »

Dominique, VINCK, Humanités Numériques. La culture face aux nouvelles technologies, Paris, Le Cavalier Bleu, « Idées reçues », 2016, p. 9-10.

2. De l’anglais au français

La notion d’« humanités numériques » provient de l’anglais « digital humanities » qui désigne un ensemble de chercheurs provenant de différents champs de pensée, à savoir l’informatique, l’anthropologie, la sociologie, l’ingénierie et la philosophie (pour n’en citer que quelques un) qui se rassemblent autour de l’étude de l’impact du numérique sur les humains notamment sur les comportements qui découlent de l’utilisation des outils numériques. Il s’agit d’un terme largement travaillé par John Unsworth, Susan Schreibman et Ray Siemens dans l’ouvrage A Companion to Digital Humanities en 20041, l’objectif de cet ouvrage étant de faire des humanités numériques une discipline à part entière et non une province de différentes disciplines. On peut notamment lire :

Le terme « digital humanities » est lui aussi comme le concept français, transdisciplinaire. Ce qui fait qu’il n’existe pas de définition universelle établie mais de multiples définitions selon les disciplines liées. En l’absence de définition, les occurrences suivantes provenant de différents ouvrages permettent d’éclairer la notion :

« This collection marks a turning point in the field of digital humanities : for the first time, a wide range of theorists and practitioners, those who have been active in the field for decades, and those recently involved, disciplinary experts, computer scientists, and library and information studies specialists, have been brought together to consider digital humanities as a discipline in its own right, as well as to reflect on how it relates to areas of traditional humanities scholarship2. » 

Susan SCHREIBMAN, Raymond George SIEMENS et John UNSWORTH, A Companion to Digital Humanities, Oxford, Blackwell, 2004, p. 23.

Le passage de l’anglais digital humanities au français soulève cependant une question. Pierre Mounier écrit :

« I. Définitions […] 2. Pour nous, les digital humanities concernent l’ensemble des Sciences humaines et sociales, des Arts et des Lettres. Les digital humanities ne font pas table rase du passé. Elles s’appuient, au contraire, sur l’ensemble des paradigmes, savoir-faire et connais­sances propres à ces disciplines, tout en mobilisant les outils et les perspectives singulières du champ du numérique3. »

Pierre, MOUNIER, « Manifeste des Digital Humanities ». Journal des anthropologues,122-123, 2010, p. 447-452. 

Les anglophones semblent voir les « digital humanities » comme une discipline à part entière liées aux humanités tandis que, du côté des français, on insiste sur son inscription dans chacune de ces disciplines et de leurs spécificités…

3. Explication et problématisation du concept

Les humanités numériques est une notion composée de deux termes qui ne sont pas liés, les humanités relèvent de tout ce qui touchent à l’humain et le numérique tout ce qui relève du nombre, de l’informatique donc quelque chose de non-humains.

Anthony Masure montre, dans Design et humanités numériques, que la notion d’humanités numériques pose problème car « le terme ʺ humanitésʺ a connu de nombreuses mutations de sens et n’est donc pas stabilisé4 » et cela aussi bien en France qu’à l’étranger. Pourquoi s’y intéresser ?

Lorsque l’auteur aborde les humanités numériques, il évoque des notions telles que la raison graphique, fondé par Jack Goody, liée à l’humain qui utilise des supports graphiques pour produire et transmettre des connaissances. Puis il montre comment cette raison graphique se transforme en une raison computationnelle qui, quant à elle, désigne une rationalité propre au support numérique pour la conception et la transmission des connaissances. Et c’est ici que l’on retombe sur le problème de la multiplication de sens du mot humanités qui, là, ne désignerait plus uniquement l’humain mais des intelligences extrahumaines et des humains-machines. Ce qui peut être intéressant pour les humanités numériques c’est d’étudier les relations homme-machine-système autant sur le plan des sciences humaines et sociales que sur le plan du design.

Ces différentes significations vont de pair avec différentes manières d’aborder la pratique des humanités numériques, certains l’utilisent dans le domaine de la muséologie5, pour questionner l’intérêt du numérique pour les visiteurs, ce qui implique de penser à l’interaction du visiteur avec les objets et écrits dans un musée. Le domaine du design est à l’intersection des sciences humaines et sociales et de l’intervention du numérique dans ce type de lieux.

4. Illustration

Figure 1. Schéma illustrant le concept d’humanités numériques, Éléna LUZIO.

Éléna LUZIO, Master 1 « Design, Arts et Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. Susan SCHREIBMAN, Raymond George SIEMENS et John UNSWORTH, A Companion to Digital Humanities, Oxford, Blackwell, 2004. 

  2. Traduit par mes soins : « Cette collection marque un tournant dans le domaine des humanités numériques : pour la première fois, un large éventail de théoriciens et de praticiens, ceux qui sont actifs dans ce domaine depuis des décennies et ceux qui s'y sont engagés récemment, des experts disciplinaires, des informaticiens et des spécialistes des bibliothèques et des études de l'information, ont été réunis pour considérer les humanités numériques comme une discipline à part entière, ainsi que pour réfléchir à la façon dont elles sont liées aux domaines d'études traditionnels des humanités. » Susan SCHREIBMAN, Raymond George SIEMENS et John UNSWORTH, A Companion to Digital Humanities, Oxford, Blackwell, 2004, p. 23. 

  3. Pierre, MOUNIER, « Manifeste des Digital Humanities ». Journal des anthropologues,122-123, 2010, p. 447-452. URL : https://journals.openedition.org/jda/3652

  4. Anthony, MASURE, Design et humanités numériques, Paris, Éditions B42, Collection Esthétique des données, 2018, p. 11 

  5. Voir par exemple le projet QRator : Claire WARWICK, Melissa TERRAS, Andrew HUDSON-SMITH (al.), in ASTC dimensions, The QRator project: promoting personal meaning-making in museums, 2013, p. 44-47. Il s’agit d’une application personnalisée conçu pour une plateforme IOS d’Apple qui est utilisée au sein du musée UCL Grant Museum sur dix IPad. Ces IPad posent toute une question différente présenté par les conservateurs en indiquant l’historique du problème. L’utilisateur est invité à interagir avec l’appareil et contribue à la conversation continue avec les conservateurs. L’élément interactif principal de ce projet est un QRcode.