1. Définition
Dans Le Robert, l’humanisme est défini comme une doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs1. C’est un mouvement qui met l’homme au cœur de toutes préoccupations, il devient, selon Protagoras, « la mesure de toute chose2 ».
Les extraits de Règles pour le parc humain écrit par Peter Sloterdijk et de Lettre sur l’humanisme écrit par Martin Heidegger permettent de clarifier la notion d’humanisme :
« L’étiquette “humanisme” évoque – sous un aspect faussement anodin – la bataille permanente pour l’être humain qui s’accomplit sous la forme d’une lutte entre les tendances qui bestialisent et celles qui apprivoisent. »
SLOTERDIJK, Peter, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et une nuits, 2000, p. 17.
« Cette question provient de l’intention de retenir le mot “humanisme”. Je me demande si cela est nécessaire. Le malheur que causent tous les titres de ce genre n’est-il pas suffisamment manifeste ? »
HEIDEGGER, Martin, Lettre sur l’humanisme, Paris, Flammarion, coll. « Aubier », 1983, p. 7.
« Votre question n’implique pas seulement que vous voulez retenir le mot “humanisme” : elle implique aussi l’aveu du fait que ce mot a perdu son sens. »
HEIDEGGER, Martin, Lettre sur l’humanisme, Paris, Flammarion, coll. « Aubier », 1983, p. 35.
Les deux auteurs remettent en question cette notion dans leurs ouvrages. Mais Sloterdijk va encore plus loin en prenant ses distances avec Heidegger qui, selon lui, « se laisse entraîner dans des propos passablement hystériques […] : que la nature du divin nous soit plus proche que l’élément insolite de la créature vivante3. » Il rappelle que Heidegger « pense contre l’humanisme, non parce que celui-ci a surestimé l’humanité, mais parce qu’il ne la pense pas assez haut4. »
2. Du latin au français
On peut comparer la traduction française avec l’étymologie originale du terme latin « humanitas ». Ce terme désigne la connaissance des langues anciennes, à savoir le latin et le grec. Dans leur processus de découverte du contenu des écrits antiques, les humanistes étaient d’abord des traducteurs. L’humanisme est donc une traduction littérale du terme latin puisqu’il renvoie à la lutte contre la scolastique en revenant aux sources grecques de la poésie, de la philosophie, etc. Mais le sens paraît fluctuant, si l’on se réfère aux acceptions suivantes :
« Ce qui depuis le temps de Cicéron, porte le nom d’humanitas, constitue au sens le plus strict et le plus large l’une des conséquences de l’alphabétisation. »
SLOTERDIJK, Peter, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et une nuits, 2000, p. 7.
« Un tel code transformerait aussi, rétroactivement, la signification de l’humanisme classique — car il révélerait et consignerait le fait, que l’humanitas ne contient pas seulement l’amitié de l’homme avec l’homme — et, de manière toujours plus explicite – que l’homme représente pour l’homme une vis maior — une force plus forte que lui-même.
SLOTERDIJK, Peter, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et une nuits, 2000, p. 42.
Autant la première citation se situe en écho à la définition courante et au latin, autant la seconde s’en écarte en visant un au-delà de l’humain.
3. Problématisation et explication du concept
Sloterdijk emploie une stratégie de communication assez violente pour se faire entendre dans cet ouvrage. Il dénonce l’humanisme cynique qui définit les limites de ce qui se veut être politiquement correct ou pas. Il parle d’un humanisme devenu extrêmement politiquement correct chez Heidegger, Nietzche et Platon. Il affirme que l’humanisme que nous vivons n’est plus celui des temps modernes (dans son modèle éducatif), et voit les structures politiques et économiques organisées selon une illusion d’un modèle de société littéraire. Il déplore la décadence de la littérature qui engendre la décadence de l’humanisme. Il poursuit avec une relecture du texte5 que Martin Heidegger publie après la seconde guerre mondiale, remettant justement en cause l’humanisme. Dans sa forme antique, l’humanisme aurait contribué à esquiver la question de l’essence de l’homme en définissant l’homme comme un animal rationnel. L’être humain serait sorti du règne animal en construisant un monde hermétique autour de lui, une sorte de sphère. Selon Sloterdijk, « Les hommes sont des créatures qui se soignent et se protègent eux-mêmes, des créatures qui, où qu’elles vivent, créent autour d’elles un espace en forme de parc6. » Nos maisons par exemple, sont des milieux où l’on se protège et se développe. Dans cette bulle, l’homme a appris à mettre son confort avant tout et à développer des outils et des machines. Les outils ont d’abord servi à la survie de l’homme, ils l’accompagnaient dans la chasse d’animaux puissants. L’évolution de ces outils à travers le temps a suivi cette quête mise en œuvre pour faire perdurer l’espèce humaine. À travers cette façon de voir les choses, Sloterdijk revient sur le mode de vie contemporain qui nous amène à frôler l’apocalypse. Il ne nous tient pas pour coupables face à cette tragédie.
Ceci n’est pas sans nous rappeler les designers qui tentent de faire du design la traduction artistique d’un nouvel humanisme. Ils veulent défendre la dignité de l’homme à travers leurs travaux. On peut entre autres évoquer la postmodernité chez Jean-François Lyotard. Ce dernier la définit comme étant « l’état de la culture après les transformations qui ont affecté les règles des jeux de la science, de la littérature et des arts à partir du XIXe siècle7. » Selon lui, les hommes ont mis la modernité derrière eux. Les techniques sont mises à l’écarte et ce sont le hasard et l’ironie qui prennent le dessus. Le préfixe « post » symboliserait non une nouvelle ère mais plutôt une réaction contre la modernité et les évènements d’après-guerre.
Kay SAMAHA, Master 2 « Design, Arts, Médias », Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
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Le Robert en ligne, consulté le 13 décembre 2021, URL : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/humanisme ↩
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Ibidem. ↩
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SLOTERDIJK, Peter, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et une nuits, 2000, p. 24. ↩
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SLOTERDIJK, Peter, Règles pour le parc humain, op. cit., p. 23. ↩
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Cet essai intitulé Lettre sur l’humanisme est écrit sous forme d’une lettre adressée à Jean Beaufret. Il a longtemps été considéré comme une stratégie visant la réhabilitation politique de Heidegger. ↩
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SLOTERDIJK, Peter, Règles pour le parc humain, op. cit., p. 45. ↩
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LYOTARD, Jean François, La condition post-moderne. Rapport sur le savoir, Paris, Minuit, coll. « critique », 1979. ↩