1. Définition

La notion « d’image technique » n’étant pas définie au sein des dictionnaires, le terme peut être compris en nous référant à son usage ; notamment à celui que Vilém Flusser en fait dans Pour une philosophie de la photographie. Il écrit, par exemple : « L’image technique est une image produite par des appareils, à la différence de l’image traditionnelle qui constitue une abstraction directe du monde réel. Considérées à tort comme substitut du réel, les images techniques participent d’une certaine aliénation du regard. »

Le texte français donne lieu à plusieurs occurrences de la notion :

« Ce caractère apparemment non-symbolique et objectif des images techniques amène le spectateur à les considérer non pas comme des images mais comme des fenêtres. Il leur accorde autant de confiance qu’à ses propres yeux. Du même coup il ne les critique pas en tant qu’images mais en tant que visions du monde ».

Vilém, FLUSSER, Pour une philosophie de la photographie, Belval, Circé, Essais, 1996, p.18.

« Les images techniques ont pour fonction de libérer magiquement leurs destinataires de la nécessité d’une pensée conceptuelle — en substituant à la conscience historique une conscience magique de second degré et à la faculté conceptuelle une imagination de second degré. Voilà ce que nous voulons dire lorsque nous affirmons que les images techniques supplantent les textes. ».

Vilém, FLUSSER, Pour une philosophie de la photographie, Belval, Circé, Essais, 1996, p. 22.

Les images techniques sont donc des images produites par des appareils, qui semblent être directement liées à leur signification (semblent être au même niveau de réalité que leur signification), et sont à terme considérées comme des fenêtres, des visions du monde et non plus des images : c’est la toute la tromperie dont elles peuvent faire part puisqu’elles signifient en réalité d’autres sens.

2. De l’anglais au français

La langue d’origine de l’ouvrage de Flusser a ici été considérée comme l’anglais, l’ouvrage ayant été auto-traduit par Flusser lui-même en 1984. On trouve plusieurs occurrences, dont celles dont nous venons de donner la traduction. En anglais, cela donne :

« This apparently non-symbolic, objective character of technical images leads whoever looks at them to see them not as images but as windows. Observers thus do not believe them as they do their own eyes. Consequently they do not criticize them as images, but as ways of looking at the world (to the extent that they criticize them at all). Their criticism is not an analysis of their production but an analysis of the world. »

Vilém, FLUSSER, Towards a Philosophy of Photography, Göttingen, European Photography, 1984, p. 15.

« The function of technical images is to liberate their receivers by magic from the necessity of thinking conceptually, at the same time replacing historical consciousness with a second-order magical consciousness and replacing the ability to think conceptually with a second-order imagination. This is what we mean when we say that technical images displace texts. »

Vilém, FLUSSER, Towards a Philosophy of Photography, Göttingen, European Photography, 1984, p. 17.

Image technique est donc la traduction littérale de « technical images », aucune différence de sens ou d’usage majeure en français, il s’agit d’un assemblage de deux sous-concepts que l’on retrouve à travers les deux langues. Il y a plus à voir du côté de ce qui unit les deux termes plutôt que des divergences possibles tant la traduction a pour vocation de se calquer d’une langue sur l’autre sans dimension ré-interprétative.

3. Explication du concept

Les images techniques sont des images produites par des appareils, là où les images traditionnelles constituent des abstractions du premier degré, des abstractions directes du monde réel. Elles sont post-historiques et post-industrielles : elles paraissent en effet pour rendre à nouveau représentable des concepts (aussi triviaux soient-ils ; la mort, le temps, l’amour, etc.) alors que, à la fin XIXe siècle, les sociétés occidentales sont quasi-entièrement lettrées et que les images traditionnelles « fuient » (ne suscitent plus d’émois les textes semblant plus vrais que les images). Les images techniques avaient pour vocation de réunir et refonder cette culture commune en crise, elles devaient être stimulantes et sembler vraies. Or, c’est l’effet inverse qui sera observé, elles remplacent les images traditionnelles et participe de l’émergence des masses, dans des sociétés où tout aspire à rester éternellement en mémoire et reproductible, c’est en somme une aliénation du regard à l’image technique.

4. Problématisation

La notion d’« image technique » n’a connu que peu de reconnaissance ou de ré-utilisation par d’autres chercheurs, designers ou auteurs, autres que Vilém Flusser. Il n’y a pas de monopole anglophone ou francophone de la notion, aussi peut-on évoquer d’une certaine manière un échec de cette dernière, simple dénomination peu pertinente pour parler de photographie, là où le sens commun ne retient qu’un terme vaguement digital.

La notion d’image technique (centrale au sein de Pour une philosophie de la photographie) s’inscrit au sein du tournant épistémologique du design, critique virulente qui a pour objectif d’en finir avec l’obsession esthétique des formes, « technical images » ou image technique en est l’une des résultantes, à savoir la description d’un objet du quotidien, une non-chose envahissante, qui interroge à travers le mot lui-même la qualité sensible de l’objet.

La théorisation de la notion, en anglais comme en français, se situe également au cœur d’une démarche propre à Flusser qui n’est pas celle d’un linguiste : il vise moins l’étymologie réelle qu’il ne réfléchit l’essence des termes et des choses, le trait saillant de l’activité critique du design étant, ici, de mettre en avant la ruse et la perfidie propre aux images techniques.

Samy CHEURFA, Master 1 « Design, Arts, Médias » Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021