1. Définitions
Le terme bricolage est un mot français, voici quelques éléments repris de la définition proposée par un dictionnaire d’usage courant :
A.− [Correspond à bricoler I A] Fait de se livrer à des travaux manuels accomplis chez soi comme distraction ou par économie. Les joies du bricolage :
1. Ce tour d'esprit se révèle par l'aptitude aux jeux, la débrouillardise, l'aptitude à se tirer de difficultés complexes ou à tirer parti de moyens de fortune, l'aptitude à établir des plans, parfois le goût de fabriquer, de réaménager, le goût du bricolage. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 640.
2. En partic. Activité manuelle choisie, en classe ou dans un atelier, par un enfant
B.− Péj. Travail d'amateur intermittent et d'une technicité sans garantie. C'est du bricolage. Mauvais travail.
CNRTL, TLFI, https://www.cnrtl.fr/definition/bricolage, consulté le 19 juin 2021.
1.1 Entre valorisation et dépréciation
Les occurrences suivantes creusent néanmoins l’écart entre la valorisation (Mounier) et le jugement dépréciatif (2.B) présents dans cette définition.
« Pourquoi ne pas alors penser que l’organisation, en jouant avec les invariants plastiques de son logo, a recours au bricolage pour dire quelque chose d’elle-même? Le logo s’il est un signe de représentation et de figuration est en effet une figure du détournement et de l’écart. C’est donc, comme l’a très bien montré Jean-Marie Floch, essentiellement sur le registre du bricolage que se dessine la vie d’un logo et la gestion sous-jacente d’un système d’identité visuelle, au sens où le bricolage induit l’utilisation de moyens détournés. »
HEILBRUNN, Benoît, « Conclusion : logo, identité, bricolage », Benoît Heilbrunn (éd.), Le logo, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p. 119-122.
« Tous les designers consultés développent ce qu’ils appellent des « stratégies de mixage » ou de « bricolage » de ces outils et revendiquent un rapport décontracté à la vérité empirique, se fiant souvent à une créativité émergeant sur le champ : « nous ne répé- tons jamais rien, nous modifions nos méthodes sur le moment », comme le résume l’un des designers interviewés. »
Lysianne LÉCHOT-HIRT, Nicolas NOVA, Fabienne KILCHÖR et Sébastien FASEL, « Design et ethnographie », Techniques & Culture [En ligne], 64 | 2015, mis en ligne le 24 décembre 2018, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/tc/7560 ; DOI : 10.4000/tc.7560
1.2 Aux origines
Le Littré nous éclaire sur les origines du terme. On trouve en effet la mention suivante :
BRICOLE
Espagn. brigola ; ital. briccola ; bas-lat. bricola : trois mots qui ont le sens de machine de guerre à lancer des pierres ; sans doute de l'ancien français bric, s. m. ou briche, s. f. piège à prendre les bêtes : XIIIe s.“Ysengrin remest [reste] en la briche”, Ren. 1200 ; XVIe s. « Pour prendre au bric l'oyseau nice et foiblet », Marot, I, 254. Bric se rattache peut-être à un radical allemand brech, rompre, briser. Pour bricole, la série des sens est : machine à lancer, puis le bond que fait la pierre lancée, puis les cordes et ficelles qui servent, comme dans la machine, à quelque opération.
1.3 Dans d’autres langues
« Bricolage » se traduit par « fais le toi-même » dans plusieurs autres langues comme l’anglais : do it yourself, en italien : fai da te, ou en portugais : faça você mesmo. L’allemand le rapporte à un travail qui s’effectue au domicile : Heimwerken. Seul L’espagnol emprunte le terme directement au français : bricolaje
Jugaad (autrement dénommé Juggaar ou Jugar) est un mot familier, aussi bien Hindi, que Bengali ou Pendjabi, dont la signification peut changer en fonction du contexte. Signifiant littéralement « détournement » en Tamoul, il peut également s’agir d’une réparation ingénieuse ou d’un simple bricolage, une solution disruptive, ou le détournement d’un usage. Il est aussi synonyme de créativité : faire mieux ou aussi bien, tout en monopolisant moins de ressources. En brésilien, Gambiarra désigne une solution improvisée.
Là encore, on trouve des occurrences qui éclairent ces divers emplois.
« Bricolage, as a concept, means making do with what is at hand on a shoestring budget1 (Lévi-Strauss, 1962, p. 27) ».
NAKARA Walid, JAOUEN Annabelle, VEDEL Benjamin et al., « Examining the startup phase of an incubator from a bricolage perspective », Revue de l’Entrepreneuriat, 2018/3-4 (Vol. 17), p. 103-137.
« Nell’aprile del 1974 Enzo Mari presentava alla Galleria Milano la sua poi celebre mostra Proposta per un’autoprogettazione, dove offriva disegni progettuali e istruzioni per la realizzazione di mobili destinati alla creatività e inventiva di chiunque volesse cimentarsi a costruirli autonomamente, nella propria abitazione. Un invito a sottrarsi ai meccanismi produttivi dominanti, su larga scala, recuperando quindi la capacità manuale e con essa l’autonomia realizzativa2.»
Un progetto a cura di Toni Merola, Nicola Pellegrini e Bianca Trevisan, Promosso e sostenuto da Galleria Milano, In collaborazione con Maria Chiara Salvanelli Press Office & Communication. Cf. https://www.autoprogettazione.com/about/, consulté le 19 juin 2021.
« Do-it-your-self murder : Social and moral responsabilities of design », Victor Papanek, Titre du Chapitre 4 de Design pour un monde réel, Pantheon Books ; First American Edition, 1971.
2. Explication du concept
Le bricolage est un concept formé par Claude Lévi-Strauss en 1962 dans La pensée sauvage. Il le définit comme un mode intellectuel reposant la réorganisation de signes déjà formés dans de nouvelles organisations dans le but de construire du sens3. L’anthropologue recourt à l’activité pratique du bricolage pour formuler le modèle de la pensée magique, mais il fournit une analyse du bricoleur en situation qui sera reprise dans le champ des arts et du design. Nous retenons l’idée de « faire avec les moyens du bord » et le « caractère mythopoétique » du bricolage. Dans le champ du design, l’activité du bricoleur, recomposant dans de nouvelles organisations des signes incarnés, renvoie au travail des frères Castiglioni dans les années 1950 et de manière générale aux productions du design fondées sur le détournement (Série Digestion de Matali Crasset, 2004) et le rémploi (Re-design d’Alessandro Mendini). Le concept de bricolage, dans le champ de l’esthétique, renvoie au concept d’objet-plus4 formulé par Pierre Restany et de post-production5 théorisée par Nicolas Bourriaud. La démarche du bricoleur quant à elle est à rapprocher de celle de l'usager tacticien décrit par Michel de Certeau dans L'invention du quotidien6.
Depuis Design for the real world7 de Victor Papanek, les pratiques du bricolage, au sens de faire soi-même, sont associées à de nouvelles manières de consommer, le recours au terme anglais Do-it-your-self (moins péjoratif que bricolage ou amateur) suggère un retour au plaisir de faire soi-même pour sortir de la standardisation proposée par la société de consommation. Ces démarches interrogent le positionnement éthique du designer et cherchent à restaurer un processus d’individuation chez l’usager qui dépasse sa condition de consommateur pour devenir producteur. Ce statut renvoie au concept de prosumer formulé par Alvin Toffler en 1980 qui décrivait un retour à une production individuelle, décentralisée ; ou de manière plus large à l’Autoprogettazione d’Enzo Mari, projet critique qui proposait des modèles de meubles et leurs plans, ne nécessitant que des planches, une scie, des clous et un marteau pour être fabriqués ; et plus récemment à la culture Maker8 qui valorise un nouveau modèle économique centré sur le partage des connaissances et l’auto-conception et l’auto-production permises par les nouvelles technologies.
L’expression do it yourself issue de l’anglais s’impose aujourd’hui, de manière générale dans différentes langues pour définir une pratique non professionnelle de fabrication souvent liée à l’aménagement de l’espace, au mobilier, aux accessoires de mode, à la décoration. Elle fait flores sur internet au travers des tutoriels, elle est donc liée à une économie des conseils pratiques entre non-professionnels ou de professionnels en direction d’un public profane. Le terme bricolage ou ses équivalents linguistiques à l’étranger sont de ce fait rarement employés par les professionnels du design pour décrire leurs projets, ils emploient toujours une tournure qui évite le recours au terme bricolage qui renvoie à une pratique amateur (série Make it, du studio 5.5 pour Leroy Merlin).
3. Du concept aux problèmes
L’étymologie de bricole renvoie à l’idée de saut, de rebond, de déviance. Elle évoque comme dans la Juggad ou la Gambiarra l’idée d’une intervention disruptive, qui sort du cours des choses tout en s’y situant. Le concept de bricolage élaboré par Lévi-Strauss empêche en partie l’emploi du terme dans un autre sens plus général d’arrangement, de bidouille, en français nous parlons plutôt de système D. Le système D, comme son nom l’indique, est plus proche de la débrouille, du « faire avec ». En langue étrangère la référence au concept de Lévi-Strauss recourt toujours au terme français. Comme le montre le cas de la Jugaad indienne, les pratiques de détournement et de réparation à la fois hasardeuse et heureuse constituent à l’origine une activité quotidienne courante. Elles sont devenues aujourd’hui reconnues et intègrent un mouvement général aussi bien dans les pays émergents que dans les pays industrialisés d’adaptation ou de contestation de la société de consommation. Mais culturellement en France, le bricolage ne se résume pas à la débrouille, il peut-être une activité très structurée liée à des tournemains et des savoirs-faire artisanaux, même s’ils sont conduits par des amateurs.
Le bricolage et le do-it-youself renvoient quant à eux, à l’amateurisme, qui au sens propre évoque l’amour du faire. De ce point de vue, bricoler n’est pas qu’une question de qualification, mais c’est aussi une question de plaisir et l’industrie des loisirs créatifs ne s’y est pas trompée. Cela interroge la standardisation des modes et des matériaux du bricolage.
La distinction entre les termes, bricolage, do-it-yourself, juggad, gambiarra, et la culture Maker repose essentiellement sur des questions culturelles, le statut du praticien, des moyens pratiques et techniques dont il dispose et des méthodes plus ou moins empiriques auxquelles il recourt. Néanmoins, ils renvoient tous à la question de la relation que l’individu souhaite entretenir avec son milieu : comment puis-je en qualité d’individu, intervenir directement, selon mes propres moyens (connaissances, capacités créatives et techniques), et ceux (outils, machines, matériaux) qui me sont accessibles (distance, coûts, disponibilité), pour modifier mon environnement afin d’actualiser (améliorer, ajuster) ma relation avec lui ?
Pour le design cela pose deux questions fondamentales et inhabituelles dans la culture du designer qui traditionnellement conçoit et produit pour les autres : comment et par quelles méthodes, le design souhaite-t-il faire participer l’usager à l’élaboration de ces relations ? Le designer est-il nécessaire ou légitime à présider à cette l’élaboration de cette relation ?
4. Illustration
Figure 1. Bricolage, Claire AZÉMA
Claire AZÉMA, Maîtresse de conférences en Design, Université Bordeaux Montaigne, Laboratoire CLARE
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« Le bricolage, en tant que concept, consiste à faire avec ce que l'on a sous la main avec un budget réduit. » Traduit par nos soins. ↩
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« En avril 1974, Enzo Mari présente sa future célèbre exposition Proposta per un'autoprogettazione à la Galleria Milano, où il offre des dessins et des instructions pour la création de meubles destinés à la créativité et à l'inventivité de tous ceux qui veulent s'essayer à les construire de manière autonome chez eux. Une invitation à échapper aux mécanismes productifs dominants, à grande échelle, en récupérant ainsi les compétences manuelles et avec elles l'autonomie de création. » Traduit par nos soins. ↩
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LÉVI-STRAUSS, Claude, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 30-34. ↩
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RESTANY, Pierre, Les Objets-plus, Paris, La Différence, 1988. ↩
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BOURRIAUD, Nicolas, Post-production : La culture comme scénario : comment l'art reprogramme le monde, Paris, Les presses du réel, 2004. ↩
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DE CERTEAU, Michel, Giard, Luce, Mayol, Pierre, L’invention du quotidien : Les arts de faire, Tome 1, Paris, Gallimard, 1990. ↩
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PAPANEK, Victor, Design for the real world, New York, Pantheon Books; First American Edition, 1971. ↩
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LALLEMENT, Michel, L’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie, Paris, Le Seuil, La couleur des idées, 2015. ↩