1. Définition
La notion de « processus de subjectivation » est absente des dictionnaires courants. Tout au plus trouve-t-on les définitions de « Subjectivation » — qui signifie « Action de subjectiver, de subjectiviser » — et de « Subjectiver » qui renvoie à « Rendre subjectif ; faire dépendre d'un état de conscience ».
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicale, site https://www.cnrtl.fr/definition/subjectivation [consulté le 03 novembre 2021]
Le concept de « processus de subjectivation » est tiré d’un contexte psychologique qu’il va falloir affiner. Quelques citations pour mieux appréhender la notion :
« Chaque être vivant peut ainsi faire l’objet de multiples processus de subjectivation: en tant qu’utilisateur du téléphone, ou d’Internet, en tant qu’acteur de pratiques professionnelles ou amateur de consommations culturelles, etc. L’une des caractéristiques du monde capitaliste actuel serait, par la prolifération des objets qu’il produit, de multiplier les processus de subjectivation, tendant à la dilution des sujets.»
Cynthia FLEURY, « Lectures », Hermès. La Revue, Paris, CNRS Éditions, n°48, 2007, p. 253.
« En effet, tout dispositif implique un processus de subjectivation sans lequel le dispositif ne saurait fonctionner comme dispositif de gouvernement, mais se réduit à un pur exercice de violence. Foucault a ainsi montré comment, dans une société disciplinaire, les dispositifs visent, à travers une série de pratiques et de discours, de savoirs et d’exercices, à la création de corps dociles mais libres qui assument leur identité et leur liberté de sujet dans le processus même de leur assujettissement. »
Giorgio AGAMBEN, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Payot et Rivages, 2007, p. 41.
Ici, nous comprenons que le concept de processus de subjectivation, qui est à l’origine, un élément lié à notre fonctionnement psychique, est utilisé comme un outil par les dispositifs afin de mieux s’introduire dans nos vies.
2. De l’italien au français
Giogio Agamben, que nous venons de citer en français, a originellement publié sont ouvrage en italien. Y a-t-il une différence entre ces deux langues pour ce qui concerne la notion de « processus de subjectivation » ? Quelques citations permettent de répondre.
« Uno stesso individuo, una stessa sostanza, può essere il luogo di molteplici processi di soggettivazione: l’utilizzatore di telefoni cellulari, il navigatore in internet, lo scrittore di racconti, l’appassionato di tango, il no-global ecc.ecc. Alla crescita sterminata dei dispositivi nel nostro tempo, fa cosi riscontro una altrettanto sterminata proliferazione di processi di soggettivazione1. »
Giorgio AGAMBEN, Che cos’è un dispositivo ?, Milan, Nottetempo, 2006, p. 32.
« Sono emerse tre definizioni di soggettivazione :
1) l’oggettivazione di un soggetto all’interno di un discorso ;
2) l’insieme delle matrici normative dei comportamenti che implicano un’azione di potere su di essi (strategie divisive di reclusione-sorveglianza e dispositivi disciplinari di governamentalità ) ;
3) le tecniche del rapporto a sé nelle quali un individuo è condotto a riconoscersi come soggetto2. »
Gabriele MINIAGIO, Il problema della soggettivazione in Foucault, Roma, Spazi di Filosofia, 2014, Consulté en ligne le 04/11/2021 https://spazidifilosofia.altervista.org/joomla/sezioni/soggetto-e-capitale/19-gabriele-miniagio-il-problema-della-soggettivazione-in-foucault
En français comme en italien le concept de processus de subjectivation est complexe à comprendre. Sa définition reste cependant identique : tout se passe comme s’il participait de structures universelles de la psychologie humaine.
3. Explication et problématisation du concept
Le concept de « processus de subjectivation » n’est pas exactement explicité par Agamben dans son livre. À nous donc de trouver une explication qui renvoie à la notion centrale de « dispositif » et d’établir la relation avec le champ du design. Tout d’abord, pour bien comprendre, nous pouvons lier humanisme et processus de subjectivation puisque tous deux mènent à une certaine autonomie, voire une émancipation de l'individu. Plus précisément, la subjectivation est l’opposé de l’objectivation, ainsi, chaque processus de subjectivation sera différent en fonction de l’usager et du dispositif, de l’objet ou de l’appareil. C’est donc un processus psychique personnel à chacun qui va jouer sur notre propre perception, notre sensibilité et c’est ce sur quoi les dispositifs ont un impact important sur nos vies. Le processus de subjectivation est le résultat entre les êtres vivants et les dispositifs, il donne un sens à l’utilisation de ces derniers.
Nous pouvons prendre l’exemple du téléphone portable pour illustrer et mieux appréhender ce concept. C’est un dispositif qui, conformément à ce qu’’indique Agamben3, est neutre, disponible en milliards d’exemplaires identiques, mais qui va devenir personnel, en fonction de chaque utilisation, des applications qui seront utilisées. Par conséquent, nous allons nous attacher à lui, il va nous devenir cher puisqu’il détient notre vie, nos conversations, nos photos...
Qu’est-ce que cet exemple nous indique du lien existant entre design et subjectivation? Étant donné que nous sommes dans une société de consommation du neuf et de la nouveauté, le design participe à créer de nouveaux processus de subjectivation sans forcément se soucier de l’historique de l’ancien. Si nous gardons l’exemple du téléphone portable, chaque année de nouveaux exemplaires sont mis sur le marché avec comme principal caractéristique et argument de vente, un nouveau « design », soit des changements purement formels. Ce qui montre bien que le design est complice de cette consommation de masse et que nous pouvons nous questionner sur l’éthique du designer face à ce processus de subjectivation sans cesse renouvelé.
Lauriane GIRARD, Master 2 « Design Arts et Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022
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Traduction par mes soins : « Un même individu, une même substance, peut être le lieu de multiples processus de subjectivation : l'utilisateur de téléphones portables, l'internaute, l'écrivain de nouvelles, l'amateur de tango, le non-global, etc. A la croissance illimitée des dispositifs à notre époque correspond ainsi une prolifération tout aussi illimitée de processus de subjectivation. » ↩
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Traduction par mes soins : «Trois définitions de la subjectivation ont émergé: 1) l'objectivation d'un sujet dans un discours 2) l'ensemble des matrices normatives des comportements qui impliquent une action de pouvoir sur eux (stratégies clivantes d'enfermement -surveillance et dispositifs disciplinaires de gouvernance) 3) les techniques du rapport à soi dans lesquelles un individu est amené à se reconnaître comme sujet. » ↩
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Giorgio AGAMBEN, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Payot et Rivages, 2007 , p. 44. ↩