1. Définition
D’après Le Larousse, la notion de « suprématisme » correspond à la « Théorie et pratique du peintre Malevitch (à partir de 1913) et de ses disciples, tels Lissitzky, Klioune, Olga Rozanova1. » Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales propose une définition plus détaillée sur laquelle on peut s’accorder : le « Suprématisme est une forme d'art issue du cubisme qui n'use que d'éléments géométriques et de contrastes de couleurs dans sa production; un mouvement artistique exprimé par un manifeste en 1915, dirigé par le peintre Malevitch qui se réclame de cette forme d'art2. »
2. Du russe au français
Le mot « супрематизм » (suprématisme) est passé dans la langue française à partir du russe non modifié, comme de nombreux autres termes apparus en Russie.
Le terme suprématisme a été inventé par l'artiste russe Kazimir Malevitch et vient du latin supremus — le plus haut, le plus élevé — et peut-être du polonais supremacja — supériorité, suprématie — le polonais étant l'une des langues maternelles de Malevitch. Ce derier écrit en effet :
« Наш мир искусства стал новым, беспредметным, чистым. Исчезло все, осталась масса материала, из которого будет строиться новая форма. В искусстве Супрематизма формы будут жить, как и все живые формы натуры. Формы эти говорят, что человек пришел к равновесию из одноразумного состояния к двуразумному3. »
MALEVICH Kazimir, Du cubisme et du futurisme au suprématisme, Moscou, Éditeur V. Sekachev, 1916, p. 4.
Le terme lui-même ne reflète pas l'essence du suprématisme. En fait, dans la conception de Malevitch, il s'agit d'une caractérisation évaluative. Le suprématisme est le niveau le plus élevé du développement de l'art sur la voie de l'émancipation de tout ce qui n'est pas artistique, sur la voie de la révélation extrême du non-objectif comme essence de tout art. En ce sens, Malevitch considérait également l'art ornemental primitif comme suprématiste (ou suprémaciste). Pour la première fois il a appliqué ce terme à un grand groupe de ses tableaux (39 ou plus) représentant des abstractions géométriques, dont le célèbre Carré noir sur fond blanc, la Croix noire et d'autres, exposés à Petrograd en 1915, lors de l'exposition futuriste 0-10.
Ce sont ces abstractions géométriques qui lui ont valu le nom de suprématisme, bien que Malevitch lui-même ait classé dans cette catégorie nombre de ses œuvres des années 1920, qui contenaient extérieurement certaines formes d'objets concrets, notamment des figures humaines, mais conservaient selon lui « l’esprit suprématiste4 ».
3. Explication et problématisation du concept
Le suprématisme s'abstient de représenter le volume et les détails des objets au profit des formes les plus simples — la base de l'univers. Les carrés, les cercles et les rectangles colorés sur fond blanc sont apparus sur les toiles à la place des habituels paysages et personnages. Ces figures servent de prototypes pour toutes les formes existant dans le monde réel. Des combinaisons de figures géométriques de différentes tailles et couleurs forment des compositions suprématistes équilibrées, comme imprégnées d'un mouvement intérieur.
Le point de départ était le célèbre Carré noir, que l'artiste appelait « zéro de formes». Sortir du « cercle des choses » est l'essence de la philosophie suprématiste de Malevitch. Se tournant vers des formes simples, il considère le suprématisme comme le stade le plus élevé du développement de l'art.
Le suprématisme a ainsi constitué une nouvelle étape dans le développement de la peinture non-objective. Malevitch considérait le suprématisme comme le résultat du développement du cubisme, dans lequel les objets et les choses réels disparaissent et les notions de « haut » et de « bas » s'évaporent. L'espace de l'œuvre ne dépend de rien, y compris de la force de gravité. Selon Malevitch, les créations suprématistes constituent un monde indépendant, qui, bien que fermé et limité, possède une harmonie intérieure.
Dans ses travaux théoriques, il distingue trois étapes dans le développement du suprématisme : Noir (cercle, croix, carré) qui désigne le passage de l'élément de base à la naissance d'une nouvelle forme, puis au mouvement ; Couleur qui renvoie au mouvement avec accélération ; Blanc (étape finale) où les formes se dissolvent et se perdent sur le fond blanc, le résultat étant une toile blanche comme symbole de la pureté créative5.
En créant un système de suprématisme, Malevitch est revenu à un système de pensée où, comme dans les temps anciens, les connaissances artistiques, philosophiques, ésotériques et scientifiques du monde étaient en unité synchrétique. Avec Carré noir il résume la période de la pensée symboliste, montrant le chemin du symbole à la formule. C'était un signe des temps, rêvant d'une grande restructuration du monde et de la synthèse comme base de cette restructuration6.
En 1915, Malevitch crée l'association artistique Supremus qui avait pour but de diffuser les idées du suprématisme et qui regroupe des avant-gardistes L. Lisicki, L. Popova, I. Klun, O. Rozanova, A. Exter, I. Puni, K. Boguslavskaya, N. Suetin et d’autres.
Dans les années 1920, les idées de Malevitch influencent fructueusement le développement du constructivisme, autre courant de l'abstractionnisme russe. Le suprématisme a été appliqué à l'architecture et à l'esthétique industrielle (un domaine qui s'appellera plus tard le design). Pendant les années de la NEP7, les artistes ont dessiné de la vaisselle, des vêtements et des produits imprimés décorés de compositions suprématistes.
Malevitch a été l'un des premiers à théoriser les éléments fondateurs du courant qui sont devenus la base du style du XX^e^ siècle. Au fil du temps, le suprématisme, au plan de la stylistique de la conception et de la composition, a débordé du champ de l’art sous la forme de décorations, d'ornementations sur des objets architecturaux, des véhicules, des tissus, des articles ménagers. Il a été largement utilisé dans le graphisme appliqué, le design graphique (conception de livres, affiches publicitaires et de propagande, emballages, etc.)
Figure 1. Suprématisme, Kristina Zhiltsova.
Kristina ZHILTSOVA, Master 1, « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.
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Dictionnaire Larousse, [en ligne], URL :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/suprématisme/75571, Consulté le 10-11-22 ↩ -
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, [en ligne], URL :
https://www.cnrtl.fr/definition/suprematisme, Consulté le 10- novembre 2022. ↩ -
Nous traduisons : « Notre monde de l'art est devenu un nouveau monde pur, non objectif. Tout a disparu, ce qui reste est une masse de matériaux à partir de laquelle une nouvelle forme sera construite. Dans l'art suprématiste, les formes continueront à vivre, comme toutes les formes vivantes de la nature. Ces formes disent que l'homme est arrivé à l'équilibre, passant de l'état d'une seule intelligence à l'état de deux intelligences. » ↩
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KHAN-MAGOMEDOV Selim, Pionniers du design soviétique, Moscou, Galart, 1995, p. 42-43. ↩
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KHAN-MAGOMEDOV Selim, Le suprématisme et l'architecture, ici il manque op. cit., p. 7. ↩
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Ibidem, p. 58. ↩
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NEP - Novaïa ekonomitcheskaïa politika (fr. la nouvelle politique économique à corriger) - une politique économique mise en œuvre en Russie bolchévique à partir de 1921 qui introduit une libéralisation économique. ↩