1. Définition
Absent des dictionnaires français, le concept de «culture du surréel » est développé par Andrea Branzi, dans son ouvrage Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité1. Il le définit comme « le mouvement qui part de l’Internationale surréaliste et englobe le dadaïsme et la Metafisica. »
BRANZI, Andrea, Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité, Paris, Les essais, Centre Georges Pompidou, 1991, p. 59.
Selon cette première définition, le concept s’inscrit essentiellement dans le champ artistique. Par la suite, nous verrons que l’auteur élargit la notion à d’autres disciplines.
En complément de cette définition, l’auteur précise que la « culture du surréel » peut être comprise comme l'habileté du « maître de cérémonies »
« qui apprête une réalité que d’autres consomment, crée poison ou plaisir en procédant à des rapprochements mystérieux mais savants, et devient finalement le meneur incontesté du banquet, l’éminence grise de la rencontre. En fait, la culture du surréel tend à rendre le réel plus complexe, plus riche, et en fin de compte augmente les informations, en ce sens qu’elle dévoile ses liens mystérieux : sa contribution est donc toujours positive. Or, cette manière de procéder en dehors de normes établies produit des objets qui possèdent toujours un petit plus, une valeur désagrégeante : tout cela se retrouve souvent dans le design italien, dans le design espagnol en cours de développement et dans le design sud-américain naissant. »
BRANZI, Andrea, Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité, Paris, Les essais, Centre Georges Pompidou, 1991, p. 59.
À travers cette citation, Branzi insiste sur le fait que la « culture du surréel » a toujours une contribution positive puisqu’elle ajoute une épaisseur symbolique au réel. Dès lors, ce dernier n’est plus uniquement perçu selon des qualités objectives et rationnelles. Par ailleurs, on constate ici que le concept commence à être appréhendé via le prisme du design.
2. De l’italien au français
La notion de « culture du surréel » est traduite en français depuis l’italien. Dans sa traduction littérale « Cultura surrealista » ou encore « Cultura del surreale », le concept renvoie davantage aux mouvements dadaïste et surréaliste du début du XXème siècle. De ce fait, la traduction italienne tend à cantonner la notion au champ artistique et à réduire sa portée théorique à l’égard d’autres disciplines telles que le design et l’architecture.
« In Piccolo cantiere, del ‘52, e in altri lavori coevi [tra i quali si può sicuramente inserire anche il Cantiere dell’ateneo triestino], Santomaso riesce ad incrociare la cultura surrealista e in particolare Mirò, maturando una volta per tutte il taglio di un linguaggio personalissimo: da questo momento in poi è ormai chiaro in quale senso Santomaso afferma di voler «essere nelle cose», nel tessuto della loro energia, e secondo quali parametri egli intenda congiungere la realtà esteriore del mondo con la memoria che se ne ricava: una memoria che abita nelle cose stesse o, meglio, nella visione che il pittore ce ne restituisce2. »
CORTENOVA, « G. Santomaso: il paesaggio della visione. », Fidia Edizioni d’Arte, 1990, p. 20-21.
3. Explication du concept
Venons-en à présent à une définition plus développée du concept. La période post-industrielle se manifestant sous la forme d’une « société matricielle3 », exige moins de propager des qualités du réel déjà acquises que de contribuer à créer de nouvelles possibilités, de nouvelles épaisseurs du réel. C’est précisément dans ce contexte que la notion de « culture du surréel » peut émerger puisqu’elle est définie comme une réponse aux besoins de diversité, de nouveaux récits, de nouveaux langages et de qualités conceptuelles plus complexes de cette société nouvelle. Du point de vue du design, son objectif est d’apporter de nouvelles valeurs d’usage aux objets et de leur donner une épaisseur symbolique. À ce titre, on peut prendre l’exemple de la souris d’ordinateur, telle qu’elle est conçue aujourd’hui. Celle-ci peut revêtir des formes et des usages complètement différents selon si elle est pensée pour le milieu « geek » ou pour le milieu de l’entreprise.
Selon Andrea Branzi, cette culture est plus susceptible de se développer dans les pays qui détiennent peu de moyens de production et où le développement industriel n’a pas été important. Ces pays seraient alors en mesure de créer des qualités d’expression à leurs productions en leur donnant une teneur plus abstraite et mystérieuse. En travaillant ces qualités d'ordre conceptuel, le projet qui s’adonne au surréel confère aux objets une part d’autonomie symbolique et, selon l’auteur, c’est précisément cela qui fait de cette culture une valeur ajoutée au design.
4. Problématisation
Si la « culture du surréel » constitue une réelle valeur ajoutée pour le design, ce dernier doit repenser sa culture de projet pour y incorporer une dimension plus personnelle qui réside soit dans les traditions et la mémoire du pays où il opère, soit dans l’imagination même du designer et dans sa propre interprétation culturelle. Il doit faire en sorte que sa pratique aboutisse à des objets qui témoignent d’une certaine présence animée afin qu’ils suscitent de la fascination chez l’individu et des objets qui véhiculent des récits, des émotions et des qualités profondes. L’exemple de la souris d’ordinateur cité plus haut illustre bien ce propos puisqu’elle porte en elle le style formel d’un groupe social spécifique. Enfin, inclure une « culture du surréel » dans la pratique de design n’implique plus seulement de respecter le « principe de nécessité » (rationalité technologique et stabilité morale) et le « principe d’identité » (le fait de révéler l’identité propre du matériau) mais d’informer les objets d’une identité propre, autonome et mystérieuse. En somme, cette traduction invite le design à créer des objets qui attestent en eux-mêmes d’une part culturelle de la société et qui naviguent entre imaginaires collectifs, mythes traditionnels et récits subjectifs.
Etienne VIBERTI, Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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BRANZI, Andrea, Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité, Paris, Les essais, Centre Georges Pompidou, 1991. ↩
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« Dans un petit chantier datant de 1952 et dans d’autres œuvres contemporaines [parmi lesquelles on peut certainement compter le chantier de l’université de Trieste], Santomaso réussi à convoquer la culture surréaliste et en particulier Miro, faisant mûrir une fois pour toute un langage très personnel : à partir de ce moment-là, on comprend l’intention de Santomaso “d’être dans les choses”, dans le tissu de leur énergie, et selon quels paramètres il entend relier la réalité extérieure du monde avec la mémoire qui en découle : une mémoire qui habite dans les choses elle-même, ou mieux, dans la vision que le peintre nous restitue. » Cette traduction est proposée par mes soins. ↩
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Cf. notice glossaire sur la notion « société matricielle ». ↩