1. Définition

La notion de « synergie » est utilisée dans des disciplines comme la biologie, la sociologie, la psychologie ou la physique. Elle désigne l’action collective d’un ensemble d’éléments (cellules, individus, particules, etc.) qui ne peut être déduite des caractéristiques individuelles de ses éléments. Buckminster Fuller est l’un des designers qui a participé à populariser cette notion dans le champ de l’architecture et du design. Voici par exemple comment l’architecte Jacques Bardet utilise ce terme dans un article de 1969 se référant explicitement à la pensée de Buckminster Fuller :

« Au travail morcelé engendré par la révolution industrielle du xix^e siècle la révolution dite scientifique et technique de la fin du xx^e siècle a l’ambition de superposer des processus simplificateurs et des méthodes synthétiques. […] À cet égard, l’urbanisme propose un exemple très précis des impasses dans lesquelles peut s’enliser une discipline lorsqu’elle n’a plus recours qu’à des démarches déductives. C’est pourquoi, quand nous dirons tout à l’heure que l’urbanisme a besoin d’architecture, nous voudrons dire qu’il a besoin d’un raccourci capable de le faire déboucher, non plus sur une seule accumulation de solutions fonctionnellement parcellisées, mais sur ce que nous nous risquons à nommer une synergie du milieu construit : synergie dans laquelle les réponses fonctionnelles, techniques, ou financières, proposées à chacune des données considérées séparément, se conjuguent dans une volonté unique, celle de créer — paraphrasons Gaston Bachelard — des ”espaces à vivre” ».

Jacques BARDET, « La révolution de l’urbanisme reste à faire », in Esprit, N°385, octobre 1969, p. 547-555 [en ligne]. Url : https://www.jstor.org/stable/24260807 [consulté le 10/01/22].

2. Du français à l’anglais

Le sens du terme synergie est identique en français et en anglais. En revanche, son emploi dans le champ du design tend à infléchir à la fois son sens et à induire une conception particulière de la discipline. Comme la citation précédente l’illustre, penser le design en termes de synergie implique que le rôle de ce dernier est de produire une synthèse entre des approches disciplinaires distinctes. Ainsi, pour Buckminster Fuller, la synergie permet de désigner une approche globale des problèmes techniques et écologiques. Cette notion joue un rôle central dans sa pensée et il l’emploie dans de très nombreux textes. Nous avons ici choisi un passage d’un document présentant le projet du World Game qui explique l’importance de ce concept et le met en rapport avec celui de nature.

« I have been a visitor at 320 universities and colleges around the world and always have asked those university audiences “How many of you are familiar with the word “synergy’?” I can say authoritatively that less than 10 percent of university audiences and less than 1 percent of nonuniversity audiences are familiar with the word and meaning of synergy. Synergy is not a popular word. The word synergy is a companion to the word “energy.” Energy and synergy. The prefix “syn” of synthesis meaning “with, to integrate” and the “en” of energy means “separating out”. […]

Synergy is to energy as integration is to differentiation.

The word “synergy” means “Behavior of whole systems unpredicted by behavior of any of the systems parts.” Nature is comprehensively synergetic. Since synergy is the only word having that meaning and we have proven experimentally that it is not used by the public, we may conclude that society does not understand nature. »

Richard BUCKMINSTER FULLER, The World Game: Integrative Resource Utilization Planning Tool [document inédit], Carbondale, Southern Illinois University, 1971, p.13-14¹. Buckminster Fuller Institute, bfi.org [en ligne], https://www.bfi.org/sites/default/files/attachments/literature_source/
world_game_series_document1.pdf [consulté le lundi 14/06/21].

3. Problématisation

Le postulat de Buckminster Fuller est que l’action conjointe d’un ensemble d’éléments permet d’éviter les pertes d’énergie liées à l’action individuelle. Tirer parti de la synergie permet donc une optimisation du rendement énergétique d’un système. De ce point de vue, la technique et la nature ne sont pas essentiellement différentes car, si la nature offre de nombreux exemples de comportements synergiques, la finalité de la technique est également de parvenir à une économie d’énergie. Le design, parce qu’il est une pensée de la technique, doit donc pour Buckminster Fuller adopter l’approche la plus globale possible afin de tirer le meilleur parti des effets de la synergie. Les dômes géodésiques et le World Game sont particulièrement représentatifs de cette démarche. Les éléments qui composent les dômes de Buckminster Fuller sont en effet relativement fragiles, mais leur articulation permet une répartition des forces qui rend la structure extrêmement résistante. Le World Game, quant à lui, est un jeu collaboratif dont le but est de décider de la meilleure utilisation des ressources terrestres. Il s’agit donc d’une méthode pour produire de la synergie à l’échelle du monde ou du vaisseau spatial terre.

La notion de synergie implique que le design est davantage une pensée des systèmes techniques et biologiques qu’une pensée de l’objet ou du signe. Une telle approche a notamment été réinvestie par un designer comme Victor Papanek, qui a mis l’enquête sur le contexte d’intervention au cœur du projet de design.

Jérémie ELALOUF, Maître de conférences en design à l’Université Toulouse Jean Jaurès, Institut Supérieur Couleur, Image, Design (ISCID), Centre universitaire de Tarn-et-Garonne.