Le design en appui du corps humain
Des créateurs imaginent des objets beaux, usuels et connectés destinés à améliorer la qualité de vie, voire la santé, de ses utilisateurs. Revue d’objets au design prometteur dont certains ne sont encore que des prototypes1.
Le Salon du meuble de Milan (Italie) sera-t-il bientôt délaissé par les designers au profit de foires comme le Consumer Electronics Show, qui s’est tenu à Las Vegas (Nevada) en janvier ? C’est ce que pouvait laisser penser la première exposition « New Old » présentée par le Musée du design, à Londres, lors de sa réouverture en 2017. Une exposition abordant le thème de nos corps qui vieillissent, présentant des projets inédits, et soulignant le rôle du design dans la technologie.
Yves Béhar, designer suisse installé depuis vingt ans à San Francisco (Californie) et fondateur de l’agence Fuseproject, y dévoilait ainsi Superflex Aura, une combinaison aux lignes fuselées composée de « muscles électriques » conçus pour soutenir notre torse, nos hanches et nos jambes, et donner ainsi une impulsion à nos mouvements lorsque l’on se lève, s’assoit ou reste droit. Un « vêtement-soutien » en cas de masse musculaire momentanément affaiblie ou pour maintenir la mobilité des personnes malades ou vieillissantes.
Un marché à développer
La combinaison Superflex Aura est visible, et ce jusqu’au 3 septembre, au Cooper-Hewitt, Smithsonian Design Museum de New York, dans le cadre de l’exposition « Access + Ability ». Celle-ci présente soixante-dix objets de créateurs qui travaillent sur l’idée d’un design évolutif, pensé à la fois pour les personnes handicapées comme pour tout un chacun.
Précurseurs, ces designers d’un genre nouveau en sont convaincus : il existe un marché qui ne demande qu’à se développer, celui d’objets connectés à la technologie, usuels, beaux, non médicaux et destinés à prendre place dès maintenant dans notre quotidien. Leur but : augmenter les capacités et les défenses de notre corps, et améliorer ainsi la qualité de vie.
« Tout le monde a besoin d’aide et d’assistance à un moment donné de sa vie, estime Jeremy Myerson, curateur de l’exposition « New Old » et professeur en design et innovation au Royal College of Art de Londres. Nous ne stigmatisons pas les personnes qui portent des lunettes – c’est maintenant devenu un accessoire de mode. Pourquoi ne pas étendre ce concept à d’autres “déficits” physiques ? ».
Dans cette course au corps humain « augmenté », le design s’impose comme une discipline essentielle. « Ce serait triste de considérer que le design ne sert qu’à produire du beau pour des objets en galerie quand on voit tous les besoins fonctionnels que dessine notre monde futur et nos vies de plus en plus longues », insiste le designer anglais Paul Priestman, président du studio PriestmanGoode et spécialiste de la conception des transports de demain.
Revue d’objets au design prometteur dont certains ne sont encore que des prototypes.
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Une seconde peau qui maintient le dos Pour la designer et styliste néerlandaise Pauline van Dongen, qui travaille sur les matériaux textiles « intelligents », « la mode a presque rendu “naturelle” la technologie. Aujourd’hui, nous ne percevons même plus le vêtement ni le fait de s’habiller comme une révolution technologique alors qu’ils le restent. » Celle-ci a imaginé FysioPal, un sous-vêtement en tissu qui vibre légèrement en cas de mauvaise position du haut du corps. Cette « seconde peau », qui se glisse sous des vêtements ordinaires, contient des capteurs associés à une application mobile, qui évalue la position du cou, des épaules et du dos, et la bonne ou mauvaise posture de l’utilisateur de FysioPal. « Longtemps, le corps humain a été envisagé de manière passive. Ma conception du design part toujours du corps actif, en mouvement, car nous avons de nouveaux langages à inventer avec lui », explique Pauline van Dongen.
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Un chariot évolutif En prélude à son projet « Scooter for Life », Paul Priestman rappelle le succès du fabricant américain Sam Farber qui, dans les années 1990, lançait une ligne d’ustensiles de cuisine en caoutchouc, baptisés « Good Grips », faciles à prendre en main pour les cuisiniers mais aussi pour les personnes souffrant d’arthrite. « Ces objets ont bien marché auprès des personnes âgées parce qu’ils sont beaux et qu’ils ne semblaient pas avoir été faits spécifiquement pour eux, explique-t-il. Ce fut notre façon d’envisager Scooter for Life : un objet mobile pas stigmatisant et fait pour évoluer tout au long de la vie. » D’un simple chariot à provisions en tissu, le studio a imaginé un modèle d’abord en format trottinette, qui peut devenir un petit scooter électrique. Le but : garder le corps en mouvement le plus longtemps possible et conserver son autonomie. Si le « scooter » reste léger et facile à déplacer, le prototype a deux grandes roues à l’avant et une troisième plus petite à l’arrière pour augmenter la stabilité. Celui-ci ne bouge que lorsque les freins sont relâchés. Pour développer son projet, le studio parie sur un usage plus répandu de la trottinette et du scooter chez les nouvelles générations urbaines et sur une adaptation future plus aisée. Le scooter pourra même enregistrer des itinéraires réguliers et posséder une fonction « retour à la maison ».
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Un bandeau pour mieux dormir Plonger dans un sommeil plus profond chaque nuit, que rêver de mieux ? Fondé sur les neurosciences, le bandeau Dreem est conçu pour aider les personnes ayant des problèmes de sommeil chroniques, en surveillant l’activité cérébrale et en émettant des stimulations sonores qui prolongent le sommeil profond. C’est à une start-up française, Rythm, que revient l’idée initiale. Côté design, Yves Béhar et son studio Fuseproject ont eu la difficile mission de dessiner un casque suffisamment confortable pour pouvoir dormir avec. « Il fallait un objet léger et souple ; nous nous sommes aperçus qu’il fallait pour cela placer la technologie sur le dessus de la tête, et donc du bandeau », explique le créateur. Pour parfaire son design, il a utilisé des matériaux en mousse, aux couleurs douces, proches des codes des vêtements d’intérieur destinés au cocooning.
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Un casque anti-traumatisme Le studio américain Artefact travaille sur la responsabilité sociale du design. C’est cette vision « positive » qui a poussé le studio à concevoir un casque de football américain dont l’intérêt est de réduire le risque de traumatisme crânien pour les athlètes. Un réel enjeu, car, aux États-Unis, beaucoup de femmes de joueurs et d’anciens joueurs dénoncent la dangerosité de ce sport et les séquelles qu’il engendre, telle l’encéphalopathie traumatique chronique, due à la répétition des commotions cérébrales. « Malgré cette prise de conscience, la plupart des casques sur le marché ne sont guère différents de ceux portés depuis cinquante ans par les joueurs », souligne le studio. Artefact a ainsi conçu le casque Vicis Zero 1, « inspiré des techniques déjà utilisées par l’industrie automobile pour atténuer les chocs mais aussi grâce à de nombreux échanges avec les athlètes ». Le résultat : un objet fonctionnel, beau et plus protecteur, avec des premières couches en matière déformable qui diminuent l’impact des chocs sur le cerveau.
© Le Monde
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[Anne-Lise Carlo (1979-...) est issue des Ateliers Varan où elle apprend la réalisation documentaire et de l’École supérieure du journalisme de Lille. Journaliste pour Le Monde depuis 2015, elle est également réalisatrice, notamment pour Arte. En 2018-2019, elle réalise pour cette chaîne une web-série dédiée à l’Urbex rouge, une exploration des ruines communistes en Europe de l’Est. Cf. http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_liste_generique/C_84793_F, consulté le 31 octobre 2021.] ↩