AZIOSMANOFF, Florent, Living art, fondations, Paris, CNRS Éditions, 2015.

Alors que l’apparition du numérique et son évolution continuelle permirent de renouveler des pratiques telles que le graphisme, voire de développer de nouvelles pratiques liées aux réseaux sociaux, à la réalité virtuelle, par exemple, Florent Aziosmanoff définit le living au sens large (living art, living design, living joaillerie, etc.), aussi bien dans son périmètre que dans son discours, pour permettre à chacun de comprendre et de réaliser cette nouvelle forme d’expression.

Cet artiste, producteur d’art et théoricien, soutient que l’autonomie numérique, plus connue sous le terme d’intelligence artificielle (tout outil utilisé par une machine afin de «reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité ») est le seul moyen d’expression apparu avec le numérique. En effet, les autres formes « d’expression » sont selon lui en réalité qu’une évolution d’une technologie déjà existante par l’outil numérique (les réseaux sociaux se situe dans l’évolution des forums par l’outil numérique).

Florent Aziosmanoff fait la démonstration de ce qui est parfois confondu avec une expression nouvelle, comme  la diffusion de contenu audiovisuel qui n’est en réalité qu’une évolution des diaporamas des années 1970 ; la publication de contenu multimédia sur les réseaux sociaux qui n’est, elle aussi, qu'une évolution des forums en ligne des années 1990 ; la réalité virtuelle qui, elle, est seulement un dispositif anthropocentré ; ou encore le transmédia qui est un transmetteur de message uniquement concentré sur les moyens de diffusion1. Florent Aziosmanoff explique par la suite l’étymologie du terme « living2 ». Ensuite, l’auteur définit le living en comparant la variation séquentielle, générative et comportementale3. Il approfondit la variation comportementale pour définir l’autonomie4, il met en outre en confrontation ses différentes formes et en arrive à la théorie de Varela : l’autopoïèse5 , soit des systèmes vivants, du protozoaire à l’humain, qui ont la propriété d'autocréation par eux-mêmes. Ils créent aussi eux-mêmes une barrière physique (membrane, peau...) pour se protéger de leur environnement. Le théoricien enchaîne en appliquant les codes du living art au living design, living game, living adversing, living trafic management, living joaillerie, etc6. L’auteur continue son argumentation par expliquer le langage formel du living design en présentant une série d’outils conceptuels (énonciation, comportement, relation, structure, discours, etc.)7. Il enchaîne par une présentation détaillée d’œuvres de living art8. Par cette présentation, il en arrive à la conclusion que l’intelligence artificielle n’est pas qu’une série de solutions plus efficace que celles déjà existantes, mais qu’elle ouvre le champ à une nouvelle économie9.

Pour arriver à ses fins, l’auteur s’appuiera sur des concepts clés. Il développe le « living art », comme un dispositif investi de mécanisme animé par intelligence artificielle sensible à leurs environnements. Il développe aussi le « living design », similaire au living art, mais portant dans son discours un enjeu de service.

Il a aussi recours à l’ « autonomie simulée », comme un dispositif autonome en relation avec le spectateur, mais qui restera dans les limites fixées par son auteur pour ne pas perdre le contrôle sur l’énoncé du discours. Ou encore, à l’ « autonomie réalisée », comme une autonomie distincte de l’action humaine, créée en totale autonomie, développant son propre écosystème et dépourvue d’une utilité pour l’humain. Enfin, il utilise le concept d’ « intelligence artificielle », comme seule véritable nouvelle expression apportée avec l’apparition du numérique.

Comme Jaques Vienot10 bien des années avant lui, Florent Aziosmanoff s’est engagé dans un combat lié à l’étymologie. L’auteur a perdu ce combat dans l’utilisation du terme « art numérique » pour définir cette nouvelle forme de création, et il a dû se tourner vers le mot « living » pour donner un véritable sens à sa spécialité. Avec l’utilisation de l’autonomie simulée dans le living art et le living design, l'auteur recherche quelles sont les fonctions essentielles à la constitution du monde. Pour ceci il s’intéresse à la biologie, à l’anthropologie, à la physique, etc. Il recherche aussi comment les différentes parties d’une structure agissent les unes sur les autres et se tiennent entre elles. Il s’intéresse donc à la notion d’organicité, en germe chez Étienne Souriau, qui « est d’une grande importance en esthétique et peut y guider bien des analyses ; elle conduit en effet à rechercher quelles sont les fonctions essentielles à la constitution du tout, et comment les différentes parties agissent les unes sur les autres et se tiennent entre elles11». Par l’utilisation de cette autonomie simulée dans ces œuvres de living art et de living design, l’artiste se rapproche toutefois de la mise en crise du design par Vilém Flusser12. Une œuvre qui développe artificiellement une relation avec son spectateur dans un but précis pourrait en effet être définie comme une manipulation, une ruse.

Jérémy ELIE, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.


  1. AZIOSMANOFF Florent, Living art, fondations, Paris, CNRS Éditions, 2015, p. 35-60. 

  2. AZIOSMANOFF Florent, Living art, fondations, op. cit., p. 31-34. 

  3. Ibidem, p. 61-66. 

  4. Ibid., p. 105-109. 

  5. « Propriété qu’ont les organismes vivants de générer eux-mêmes leur organisation structurale et fonctionnelle, en interaction permanente avec leur environnement. » D’après FranceTerme, Délégation générale à la langue française et aux langues de France. Dico en ligne, consulté le 16/11/2022, URL : https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/autopoiese 

  6. AZIOSMANOFF Florent, Living art, fondations, op. cit., p. 119-158. 

  7. Ibidem, p. 159-222. 

  8. Ibid., p. 223-318. 

  9. Ib., p. 319-322. 

  10. VIENOT Jacques, La Charte de l’esthétique industrielle, 1952, p. 31-34. 

  11. SOURIAU Étienne, Vocabulaire d’esthétique, Paris, PUF, 1990 : cf. Organique, p. 1098. 

  12. FLUSSER Vilém, Petite philosophie du design, 2002, p.28-34.