BARSAC, Jacques, Charlotte Perriand et le Japon, Paris, Norma, 2008.
Dans Charlotte Perriand et le Japon, Jacques Barsac introduit au questionnement qui anime de cette designer tout au long de sa vie. La modernité est réévaluée dans ses sphères artistiques et techniques et dans les sites naturels adoptés dans ses réalisations formelles, son champ de conception ne cesse de s'élargir de l’objet de conception, à son habitation, son engagement politique, sa sociabilité, son art, sa valeur artistique. Ainsi, sa croyance en l'interaction culturelle.
D’après Jacques Barsac, Charlotte Perriand nous propose un voyage au cœur du Japon, plus précisément à Tokyo, soit une sorte de synthèse entre les arts et le design, en passant par la conception et le développement des objets. Rappelons que la démocratisation du design est apparue après la seconde guerre mondiale, où le monde connaît sa plus grande période de transition économique, énergétique et géopolitique. Les demandes globales ne cessent de s'accroître, les designers produisent en masse pour satisfaire un monde, notre monde. Et c’est dans ce contexte que, selon l’auteur, l’œuvre de Charlotte Perriand s’inscrit, son objectif étant d’élargir le champ du design, d’en questionner le rapport à la culture et la forme.
En effet, le monde connaît un développement industriel sans précédent, et le design participe directement à ce nouveau phénomène de consommation. Dans cet ouvrage, nous apprenons beaucoup sur la volonté de Charlotte Perriand à vouloir réconcilier les arts et le design et, si s'inspire de Le Corbusier en collaborant directement avec lui, elle finit par imposer sa propre vision. Son objectif : fabriquer une sorte d'anachronisme entre l'œuvre d’art et l’objet utilitaire. Charlotte Perriand mettra en avant cette posture en participant, en 1929, à la fondation de l’Union des Artistes des arts modernes : elle souhaite un design et un art modernes, accessibles à tous et pour tous. Jacques Barsac montre que la designer souhaite une reconstruction durable et sans discrimination sociale à travers un art pur ; elle l'affirme d’autant plus en participant aux chantiers de Reconstruction, elle favorisera les projets concours de chantiers expérimentaux prenant part aux enjeux humanistes qui sont au centre de son projet.
L’auteur nous dit également que les voyages ont complètement façonné la réflexion de notre designer. Lors de ses multiples séjours à l’étranger, Charlotte Perriand se rend au Japon pendant une année complète, de 1940 à 1941. Au Japon, le design est distinct du design occidental et adopte une place beaucoup plus ethnique et patrimoniale : pays culturellement fort, où existe un lien traditionnel qui passe par son éthique ainsi que son esthétique (une sorte d’esth-éthique), tout en demeurant attentif aux fonctionnement utilitaire des productions. Ce lien, que nous retrouvons dans la conception des objets au Japon, s’identifie également dans le fonctionnement de la société japonaise, une sorte d’art de philosophie de vie qui marquera particulièrement notre designer. Ce pays présente une définition beaucoup plus culturelle des objets au sens où il n'y a pas eu ce détachement radical japonais entre l’objet et son esprit traditionnel. Les objets sont japonais et sont exclusivement réservés aux Japonais. Charlotte Perriand va tomber en admiration devant ce côté esthétique et conservateur à la fois qui touche la tradition, l’art et le design. Après ses multiples voyages, elle prendra part à ce dialogue entre tradition, design et art, cette vision hyper contemporaine marquera la vision du design industriel. Peut-être avait-elle saisi, à l’instar de Vilém Flusser, que les objets ne sont pas des choses. Un objet est au contraire le lien entre les êtres humains, une relation qui implique aussi un rapport au monde. Un objet fait la médiation entre moi, autrui et le monde. Une chose peut avoir l‘apparence d’un objet, mais ne recouvre pas toutes ces dimensions-là.
Pour conclure, Jacques Barsac interroge l’articulation entre l’art et la culture en passant par les traditions de chaque communauté, cette articulation que Charlotte Perriand met en avant dans son travail. Il nous montre précisément cette volonté de renforcer sa réflexion entre les traditions et la réalisation de ses œuvres, ce processus qu’elle établit au cours de sa vie et qui marquera un immense changement pour le design occidental. Créer une sorte d’équilibre social permettant aux designers de porter une vision plus précise d’une société en évitant de répondre uniquement par un mécanisme universel fonctionnel et esthétique, tout en portant une attention particulière à son milieu social, son financement, sa tradition, sa culture , son art ainsi que sa mémoire : tels sont les éléments clés de son enseignement.
Pour notre part, nous remarquons que finalement les voyages font partie d’un cheminement primordial pour un créateur, car ils sont bien le bagage de la connaissance le plus sincère, chaque designer étant confronté à une nouvelle considération de création. Finalement, ce processus de considération culturelle, passant par la création, ne peut que déboucher sur une étendue de production infinie et évolutive afin que le monde puisse s’ouvrir à interagir avec de nouvelles traditions formelles (esthétiques) et fonctionnelles.
Amine BENMEDDOUR, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.