NEURATH, Otto, Des Hiéroglyphes à l’Isotype - Une autobiographie visuelle, Paris, Éditions B42, traduit par Damien SUBOTICKI, 2013.

Le Transformateur, Principes de création des diagrammes Isotype est un ouvrage qui contient en première partie un texte de Marie Neurath, membre de l’institut Isotype, créé à partir de 1925 par Otto Neurath, et un autre texte, signé par de Robin Kinross, typographe et éditeur. L’ouvrage, à travers une retranscription de l’histoire de sa contribution à l'Isotype, permet à Marie Neurath et Robin Kinross de présenter ce système de communication graphique comme un des précurseurs des solutions contemporaines utilisées en visualisation de données et en infographie. Otto Neurath voulait dès le début élaborer une « technique comparable à un langage, qui s'avère être utile aujourd’hui à des locuteurs de langues différentes1.» C’est cette envie de créer un système universel compris par le plus grand nombre de personnes qui a guidé la recherche autour de l’Isotype. L'une des tâches centrales de l'Isotype est la transformation d'informations complexes en un diagramme compréhensible avec comme finalité de rendre accessible des données variées au plus grand nombre de gens. Les quantités sont représentées par l’utilisation d’un grand nombre de symboles de tailles identiques en opposition à des symboles de tailles différentes. Otto Neurath donne comme exemple un diagramme présenté dans une exposition sur la tuberculose en Amérique du Nord, « montrant un très grand Peau-Rouge face à un tout petit Européen. [...] Le fait que le symbole soit plus grand ne dit pas s’il faut regarder sa hauteur, son aire ou son volume2. » Ceci est une mauvaise représentation des données de mortalité dû à la tuberculose puisque l’agrandissement d’un objet change les proportions de manières différentes. C’est pour cela que Marie Neurath a proposé une multiplication d'objets de la même taille pour représenter des quantités.

La thèse qui sous-tend l’ouvrage est que la transformation graphique des données permet de partager avec le plus grand nombre des informations qui resteraient hors de portée de la majorité des gens. Robin Kinross définit en effet l’Isotype comme une présentation graphique qui vise « à aider un plus large public à comprendre certaines informations quantifiées3. »

En présentant l’historique du travail d’Otto Neurath et du sien, Marie Neurath explique le cheminement entrepris pour arriver à un système efficace et immuable de traitement de données. En parlant des diagrammes, elle explique : « On nous rapporta qu’ils étaient étudiés avec un grand intérêt et compris de tous, aussi bien des Inuits que des Indiens, entre autres4.». Cette évolution est suivie d'exemples prouvant l’efficacité du travail, avec un large éventail de clients différents, autant public que privé. De multiples expositions à travers le monde ont permis d'agrémenter le travail éditorial de l’Institut. L’Isotype a pour finalité le partage des connaissances complexes de manières simple et efficace. L’observateur n’a pas à détenir de connaissance antérieure pour pouvoir exploiter les connaissances présentes devant lui. Marie Neurath écrit que « [Otto] Neurath expliqua alors le caractère de notre langage par l’image par rapport au langage verbal, décrivant l’Isotype comme un langage d’aide5. » L’universalité du système est le socle de tout le travail entrepris par les équipes d’Otto Neurath. « Les symboles devaient « parler » aux Nigerians, comme cela avait été le cas des Viennois : l’apparence des hommes, […] devait être la même que celle des habitants du pays. [...] En revanche, dans les règles essentielles de transformation, il ne fallait rien changer6. » Le design esthétique final doit s’adapter aux variations géographiques de l'exemple, mais le fond technique des présentations graphiques de données reste le même.

En proposant un langage visuel universel, l’Isotype se positionne comme une option essentielle du partage de la connaissance au-delà de la linguistique qui, à un moment ou un autre, se retrouvera insuffisante quand confrontée à des personnes parlant des langues différentes. Comme exemple, Marie Neurath décrit son travail au Nigeria où elle conçoit des affiches illustrées à destination des hôpitaux7. Son travail fut accueilli de manière extrêmement positive, les diagrammes créés permettant d’expliquer aux élèves et aux malades des concepts compliqués de manière simple. Le point de départ de l’Isotype est sa capacité de communiquer avec n’importe qui grâce un système d’écriture visuel. Otto Neurath lui-même nous dit que « l’Isotype a […] pour objectif de fournir un service public8. » Il y a une utilité sociale clairement définie dans l’esprit de ses créateurs, qui se sépare de la vision superficielle du design commercial à but non éducatif. Victor Papanek, le designer, autrichien lui aussi, confronte le designer dans les conséquences négatives de son travail. Il précise dans son livre Design pour un monde réel, que le designer doit avoir un « sens aigu des responsabilités morales et sociales, et une connaissance plus approfondie de l’homme9. » Marie Neurath en est consciente et indique comment, grâce à son travail, une meilleure compréhension des maladies a permis d’améliorer le système de santé au Nigeria. Pour le système Isotype, l’esthétique est là pour éviter la tromperie et pas seulement pour rajouter une plus-value non nécessaire. Le but n’est pas de tromper mais d’éduquer sensiblement et durablement.

Paul-Arthur LEMARQUIS, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.

Isotype, Neurath, DataViz


  1. NEURATH, Otto, Des Hiéroglyphes à l’Isotype - Une autobiographie visuelle, Paris, Éditions B42, traduit par Damien SUBOTICKI, 2013, p. 138. 

  2. NEURATH, Otto, Des Hiéroglyphes à l’Isotype - Une autobiographie visuelle, op. cit., p. 137. 

  3. Ibidem, p. 98. 

  4. Ibid., p. 52. 

  5. Id., p. 49. 

  6. Id., p. 75. 

  7. Id., p. 72 - 75. 

  8. Id., p. 163. 

  9. PAPANEK, Victor, Design pour un monde réel, Paris, Les Presses du Réel, traduit par Robert Louit et Nelly Josset, 2021, p. 33.