SZEKELY, Martin. Ne plus dessiner, Paris, Éditions B42, 2012.

À travers Ne plus dessiner, Martin Szekely explique chercher à régir son travail en lui appliquant cette règle. Le designer cherche à repousser les limites du processus de conception tout en questionnant les différents enjeux de ses productions et en s'imposant ainsi cette contrainte.

Ici le designer défend le fait d'écarter sa propre subjectivité lorsqu'il s'agit du processus de création. Par ce choix il prône la mise en valeur des caractéristiques d'un objet, telles que « son origine, sa définition, sa mise en œuvre ou encore sa destination » afin de révéler ce que sont réellement les objets abordés, de souligner leurs fonctions nécessaires objectives telles que « supporter et contenir1 » ainsi que leurs propres symboliques spécifiques relevant de leurs usages.

Martin Szekely veut révéler les objets en mettant en retrait les nombreux signes que porte le fait de dessiner. Notamment la place qu'occupe l'esprit et la subjectivité de l'acteur-designer à travers cet acte, car il considère que dessiner est en réalité retranscrire l'esprit via le corps et l'inscrire dans la matière.

Afin de soutenir cette thèse, l'ouvrage expose quinze années de créations à travers lesquelles sont mis en avant les différents matériaux combinés qui ont servi à la conception de ces œuvres ainsi que leurs atouts. Par exemple, Stonewood One conçue en 2005 présente un épais plateau de quartzite verte polie, la roche de trois millards d'années provenant des sols brésiliens est accompagnée de quatre pieds d'acier qui se présentent sous forme de vis. Martin Szekely compare cette œuvre à « une portion de sol » par la particularité du matériaux utilisé, cette portion de sol se retrouve à une hauteur variable et change ainsi de statut de par l'ajout du second matériaux, l'acier 2.
S'en suit une description formelle, soulignant la simplicité et la pureté visuelle de chaque construction. Heroic Carbon Desk, réalisée en 2010, illustre une simplicité visuelle qui s'apparente à une simple ligne perçue de profil : « rien ne dépasse au-delà du trait3 ». Cette simplicité est présente grâce à la fine épaisseur du tissu de carbone utilisé, la vacuité de l'œuvre permet même de remettre en question son usage, comme c'est d'ailleurs de nombreuses autres réalisations du designer.
Les œuvres sont ensuite décrites en rapport avec leur environnement en dehors d'une exposition, ainsi qu'en rapport à leur usage quotidien en fonction de l'utilisateur. L'Étagère Tino conçue en 2009, qui « une fois remplie, disparaît4 », est composée de colonnettes très fines disposées irrégulièrement entre les différents niveaux du meuble. L'étroit diamètre des composantes de cette étagère minimise sa structure et entraîne sa disparition totale une fois qu'elle remplie sa fonction et accueille ainsi divers objets, notamment des livres.
Enfin, la fonctionnalité des œuvres ainsi que leur complexité sont expliquées. Bien que certains artefacts sont suffisants afin de définir la fonction de l'objet, d'autres au contraire offre de par leur simplicité une infinité d'usage et sont plus difficiles à définir. L'Étagère T5, elle, datant de 2005, présente de par sa forme une fonctionnalité des plus évidentes avec une structure offrant des éléments verticaux et horizontaux. Ici Szekely explique également que la structure de ce meuble a pris forme sous ses propres contraintes liées à sa fonction et en aucun cas sous sa propre volonté esthétique et subjective de designer, il dit : « Il s'autodétermine et je ne le dessine pas5 ». Ce dernier exemple illustre la thèse du designer par son processus de création où il laisse place aux uniques lois de la physique.

Martin Szekely développe plusieurs concepts à travers de cet ouvrage publié à l'occasion de l'exposition Ne plus dessiner qui s'est tenue au Centre Pompidou, du 12 octobre 2011 au 2 janvier 2012. Le premier étant évidemment le fait de « ne plus dessiner » au sein du développement d'un projet de design, ce qui pour Szekely donne lieu à une distance objective entre le designer et le projet. Il cherche ainsi à ne plus dépendre de sa propre subjectivité et à ne « plus s'exprimer en tant qu'auteur6». Le deuxième concept, ou plutôt couple de concepts, serait celui de la « simplicité » et la «pureté » qu'exprime un objet. Le designer conçoit ses œuvres en fonction du nécessaire et ne cherche ainsi qu'à minimiser et réduire le nécessaire au fil de ses créations.
Ce qui peut dévier légèrement vers un concept de recherche de « vacuité » au sein d'une œuvre avec pour exemple l'L'Étagère Tino qui disparaît dans son environnement. En prenant soin de conserver et de mettre au premier plan, une « fonctionnalité » des plus importantes, chaque meuble se doit d'accomplir sa fonction initiale voire des fonctions secondaires quand l'œuvre en dispose.

Ces concepts se sont révélés fondamentaux à travers l'évolution du design, il est donc possible de tisser un lien entre le champ théorique et pratique du design et la démarche de Martin Szekely. La volonté par Szekely de vouloir théoriser et penser le design ainsi que la façon dont il le fait, se rapprochent, à nos yeux, de Tomás Maldonado autrefois. Selon ce dernier, il serait préférable, pour fomer les desingers, de ne pas reproduire le primat du cours préparatoire du Bauhaus et la façon dont on y enseignait le dessin. Il ne faut pas non plus chercher à spiritualiser les objets du quotidien, il ne faut également pas négliger leur matérialité. Il est important pour les deux designers de se concentrer sur la fonctionnalité de l'objet et ainsi réduire la forme de tout objet au strict nécessaire, la forme, et sa valeur esthétique, devenant secondaire. C'est ainsi que Szekely conçoit Heroic Shelves qui, selon lui, a été construite « avec le strict minimum, un rêve de constructeur7 ».
Un autre point important tient au caractère humaniste du design. sur lequel se base également le design humaniste. Nous considérons que s'il est humaniste, le design tente de remettre l'humain au centre de tout le processus de conception, veille à adapter la technologie à ce dernier, s'appuie sur les sciences et met en avant la question de l'efficacité à travers la production. En ce sens, Donald Norman, qui demeure très attentif à l'ergonomie et à l'usage des objets, est humaniste. À travers ses créations, Martin Szekely veille à ce que l'objet soit apte à prendre part à plusieurs usages : il considère que le récepteur doit se l'approprier et en jouir pleinement8. Une autre forme d'un même humanisme.

Laïkah, ISSOP, Licence 3 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. SZEKELY, Martin, Ne plus dessiner, Paris, Éditions B42, 2012, p. 3. 

  2. SZEKELY, Martin, Ne plus dessiner, op. cit., p. 25. 

  3. Ibidem, p. 16. 

  4. Ibid., p. 27.  

  5. Id., p.11. 

  6. Id., p. 2. 

  7. Id., p. 17. 

  8. Id., p. 3.