1.Définiton
L’expression « expérience instrumentée » fait référence à une notion inventée et pensée par Mathieu Triclot dans son livre Philosophie des jeux vidéo. Il explique que :
« le jeu engendre une forme d’expérience, non pas une "expérience nue" mais "une expérience instrumentée" qui se déploie dans la relation à l’écran».
Mathieu TRICLOT, Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zones, 2011 ; rééd. Paris, La Découverte Poche, 2017, p. 16.
L’auteur explique que les jeux vidéo ne sont pas la seule expérience instrumentée :
« Des expériences instrumentées, le livre et la lecture, le film et la salle de cinéma, ou toutes autres formes de culture en produisent déjà. »
Mathieu TRICLOT, Philosophie des jeux vidéo, op. cit., p. 18.
Il s’agit ici de développer ce qui est une expérience avec un objet et comment le lecteur/spectateur ou bien le joueur interagit avec cet objet.
Il affirme que :
« Les jeux vidéo sont des expériences instrumentées. Cette notion même constitue une prise de partie considérable sur une question difficile et polémique : celle du lieu du jeu. Elle distingue radicalement le type d’analyse qui est proposé ici d’autres types d’études sur les jeux vidéo, d’autres formes de discours savants. Adopter ce regard sur les jeux comme expérience instrumentée, c’est affirmer pour ce qui est du jeu la centralité des expériences.».
Ibidem, p. 20.
Mathieu Triclot met ainsi en lumière que le jeu vidéo est un jeu très particulier et il va centrer son analyse sur le rapport entre le joueur, le jeu et son lieu. En effet, le joueur est dans un lieu physique tandis que le jeu se joue dans un monde virtuel.
2.Du français à d’autres langues
Le terme « expérience instrumentée » vient d’un concept forgé par Mathieu Triclot.
En anglais, je propose de traduire l’expression «expérience instrumentée » par deux traductions « instrumented experience » ou également par « experience with tools ». Ces deux expressions ne mettent pas tout à fait l'accent sur le même champ d’application « instrumented experience » propose une expérience liée à des instruments. La seconde « experience with tools » est une expérience réalisée avec des outils mettant en valeur l’outil.
3.Explication du concept
La technologie et les machines sont les deux éléments indispensables pour qu’une expérience instrumentée fonctionne. Elle s’appuie forcément sur un objet, un lieu. Dans Philosophie des jeux vidéo, Mathieu Triclot cite les exemples du livre, du film, de la salle de théâtre, de la toile d’un tableau… L’utilisation de ces derniers produisent donc une expérience instrumentée mais l’expérience instrumentée que l’on vit à travers les écrans et les jeux vidéo en particulier atteint une dimension spéciale : le joueur est en immersion dans le jeu et il peut jouer à répétition. Dans certains jeux, il peut même recommencer et transformer l’histoire s’il n’est pas satisfait de la première stratégie qu’il a choisie. Pour un livre, ou un film, le lecteur ou spectateur peut revenir au début du livre ou du film, mais il n'a pas le pouvoir d’en changer la fin. C’est ce sentiment de puissance qui génère de la satisfaction et crée un plaisir très particulier pour le joueur selon l’auteur. L’interactivité et l’immersion par l’intermédiaire d’avatar1 font aussi de cette expérience instrumentée une passerelle entre le monde réel et numérique. Ce type d’expérience est aussi de plus en plus présente dans notre vie quotidienne avec le développement des téléphones mobiles qui sont omniprésents et sans cesse connectés.
4.Problématisation
L’expression « expérience instrumentée » est une notion développée et propre à Mathieu Triclot. Il évoque brièvement d’autres expériences instrumentées (lecteur/livre, spectateur/cinéma ou théâtre…) mais il s’attache en particulier à un domaine, celui des jeux vidéo qui constitue son sujet de recherches et de réflexion. Il souhaite savoir comment et pourquoi cette forme d’expérience liée à l’utilisation d’une machine et d’un écran. Il va montrer ce que « cela fait de jouer à un jeu vidéo2 ».
Même si les jeux vidéo sont des jeux, ils se différencient des jeux traditionnels car le joueur rentre en immersion dans le jeu qui se trouve dans un espace intermédiaire entre la machine et l’homme. L’engagement du joueur est total et il existe une sorte de symbiose entre le joueur et la machine. Cet engagement peut se rapprocher du design d'expérience car ce dernier nécessite un engagement du consommateur. Comme l’indiquent Jean-Paul Mineville et Nicolas Mineville dans Design d’expérience : un outil de valorisation des biens et des services3, le design d’expérience se démarque du design dit classique dans la mesure où il se positionne au-delà de sa fonction principale, primaire et utilitaire.
Le design d’expérience existe et influence les modes de consommation. L’expérience est ainsi multidimensionnelle, exactement comme dans les jeux vidéo. L'expérience instrumentée est à la fois située dans la réalité et dans un monde numérique. Cette situation particulière offre un risque de confusion avec la confrontation face à un univers virtuel. En effet, dans un jeu vidéo si le joueur n’est pas satisfait de l’issue du jeu, il peut recommencer à l’infini et ainsi essayer d’améliorer un score. Cet objectif de perfection va en partie engendrer un attrait, une addiction à l’écran et donc au jeu.
Viktoria CUELLO, Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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L’avatar est un personnage virtuel que l'utilisateur d'un ordinateur choisit pour le représenter graphiquement, dans un jeu électronique ou dans un lieu virtuel de rencontre. Larousse, dictionnaire en ligne, [consultation le 16 décembre 2021]. ↩
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Mathieu TRICLOT, Philosophie des jeux vidéo, op. cit, p. 16. ↩
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Jean-Paul MINVIELLE et Nicolas MINVIELLE, Design d’expérience : un outil de valorisation des biens et des services, Louvain-la-Neuve, De Boeck, avril 2010, p. 20. ↩