1.Définitions
L’interactivité est définie par le dictionnaire Larousse comme :
« 1. Qualité d'un logiciel dont l'exécution prend constamment en compte les informations fournies par l’utilisateur.
Dictionnaire Larousse, [En ligne], consulté le 19/11/2023, URL: https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/interactivit%C3%A9/43598
Le dictionnaire Larousse donne pour synonyme de l’adjectif « interactif » celui de « conversationnel », dans le domaine informatique. Cependant, la dimension d’échange du substantif « interactivité » qui découle de l’adjectif est davantage mise en avant dans la définition que donne Le Robert de ce terme :
« Activité de dialogue entre l'utilisateur d'un système informatique et la machine, par l'écran. »
Dictionnaire Le Robert, [en ligne], consulté le 19/11/2023, URL : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/interactivite
Dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Bernard Lamizet et Ahmed Silem proposent une définition plus complète de l’interactivité dans le champ des média :
« Dans le domaine des médias électroniques, l’interactivité est un dispositif structurel, conceptuel et technique qui permet à un utilisateur humain de trier, d’accéder, de lire, voire de manipuler partie ou totalité des informations disponibles par l’intermédiaire d’un réseau télématique ou stockées sur un support aujourd’hui numérique. [...] »
Bernard Lamizet, Ahmed Silem, (dir.), Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Paris, Ellipses, 1997, p. 312.
Ils apportent aussi l’idée que l’interactivité est un dispositif communicationnel entre l’homme et la machine, et que l’objet numérique constitue ainsi un « partenaire » avec lequel l’utilisateur peut « dialoguer » :
« C’est [...] dans l’interactivité que réside le caractère révolutionnaire des nouveaux médias ; l’interactivité leur allouant de plus en plus d’autonomie, en les émancipant de leur simple fonction-outil, jusqu’à les amener à un rôle de partenaire de l’utilisateur humain, avec qui un véritable dialogue est instauré. »
Bernard Lamizet, Ahmed Silem, (dir.), Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Paris, Ellipses, 1997, p. 313.
2. Du français à l’anglais
Dans un article intitulé « Interactivité », le chercheur Christian Papilloud explique que le terme interactivité, en français, est « composé de la préposition “inter” (entre) et du nom commun “activité” (évoquant un état d’excitation) ». C’est selon lui au XIX^e^ siècle qu’on trouve pour la première fois l’adjectif « interactive » (« interactif »), dans Recreations in Astronomy de Henry White Warren (1879).
Cependant, Daniel Thierry note que l’utilisation du terme d’interactivité date du XX^e^ siècle et se cantonne alors principalement à la France :
« L'apparition du terme et de son champ sémantique est corrélative des recherches françaises dans le domaine des télécommunications. En particulier les études sur le réseau, du vidéotex au R.N.S. menées pour le compte de la Direction Générale des Télécommunications ont inscrit la notion d'interactivité à leur lexique. »
Daniel, THIERRY, « Écrire pour l'interactivité », Réseaux, vol. 33, no. 1, 1989, pp. 47-71.
Il cite ensuite une étude intitulée « L’interactivité saisie par le discours » et s’appuie ainsi sur le travail de François Rabaté et Richard Lauraire pour expliquer que :
« la langue anglaise connaît davantage de lexèmes isolés (interactive/not interactive) ainsi qu'un large paradigme dérivationnel concernant le relationnel (to interact, interactiveness). »
François Rabaté, Richard Lauraire, « L’interactivité saisie par le discours », dans Bulletin de l’IDATE, n°20, Inter- activité(s), 1985, p. 62.
Jean-Thierry Julia note quant à lui que F. Rabaté et R. Lauraire ne disent n’avoir trouvé le terme « interactivity » que dans des traductions du français à l’anglais. Il cite ainsi les lignes suivantes de cette étude :
« C’est dans la mesure où le terme recouvre un enjeu particulièrement important [en France] que sa substantivation s’y est imposée de manière aussi franche [...]. L’« interactivité » apparaîtrait comme le mot-slogan définissant l’image de marque des réseaux câblés « à la française ». »
Ibid. Cité par Jean-Thierry Julia, « Interactivité, modes d'emploi. Réflexions préliminaires à la notion de document interactif », Documentaliste-Sciences de l'Information, vol. 40, no. 3, 2003, p. 205.
Daniel Thierry renforce cette idée lorsqu’il écrit que « Les désignations de consoles interactives, d'écran interactif, de jeu interactif sont des particularités de l'environnement technique socio-culturel des années 80 en France. 1 »
Le terme d'interactivité naît d’emblée dans un contexte français et il apparaît à cet égard comme un concept qui englobe ce contexte et qu’il est difficile de traduire exactement. On trouve d’ailleurs aussi en anglais l’expression « human-computer interaction » (traduite en français par « interaction homme-machine ») pour parler d'interactivité entre la machine et son utilisateur. Cette confusion définitionnelle lors du passage d’une langue à l’autre est en partie à lier à la globalisation de la recherche sur l’informatique à l’œuvre à cette période. En effet, à mesure que le terme d’interactivité se généralise, il est de plus en plus employé, et par conséquent son usage se transforme et sa définition est constamment remaniée.
3. Explication du concept
On parle couramment d’interactivité pour qualifier la relation de réciprocité ou le lien dialogique qui existe entre l’homme et la machine, mais il faut noter que ce terme ne concerne pas la communication entre deux humains par le biais de la machine. Les définitions données par Le Robert et le Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication introduisent la notion de communication et plus particulièrement celle de dialogue entre la machine et son utilisateur ; fonctions habituellement attribuées aux êtres vivants. Catherine Guéneau, dans un article intitulé « L'interactivité : une définition introuvable », conclut sur ce point en affirmant que :
« le terme de "dialogue" en conférant une "humanité" virtuelle à la machine s'inscrit dans le lignage direct de la cybernétique, de même que le passage du technique au social s'effectue par le biais de la notion centrale de communication. »
Catherine Guéneau, « L'interactivité : une définition introuvable », Communication et langages, no. 145, 3ème trimestre 2005, p.120.
On peut donc considérer qu’il existe une difficulté à définir clairement le concept d’interactivité en ce qu’il mobilise des notions qui ne s’appliquent d’ordinaire pas aux machines, mais qui permettent de donner à l’interactivité une fonction de communication.
4. Problématisation
Le concept d’interactivité, s’il suppose un échange entre l’homme et la machine, ne saurait être un synonyme d’interaction dans la mesure où le terme d’interaction désigne la communication entre humains tandis que l’interactivité désigne la communication technique entre l’homme et les objets numériques. Dans la conclusion de son article « L’interactivité », Christian Papilloud écrit ainsi que « [l]’interactivité se distingue de nos interactions, de nos rapports sociaux routiniers du fait du caractère non séquentiel de son mode opératoire », ce qui « la particularise de l’ensemble de nos rapports au monde et, en particuliers, de nos relations à des média plus traditionnels (télévision, téléphone, film, presse, livre…) » tout en lui donnant « une plasticité inégalable par rapport à nos rapports sociaux »2. Pourtant, l’interactivité apparaît comme l’imitation d’une interaction entre humains car elle se fonde sur les mêmes mécanismes communicationnels que ceux qui constituent l’interaction (prise en compte des informations données par l’interlocuteur pour formuler une réponse ou engendrer une réaction, par exemple). Or, pour de nombreux chercheurs dont Jean-Louis Weissberg, il faudrait « [épurer] toute illusion quant à une possible simulation adéquate du sujet humain. [...] “L’autre”, dans la situation interactive, est un horizon, une référence, pas une présence susceptible d’être dupliquée à l’identique3 ». Le caractère dialogique du média interactif fait donc débat, alors même que le dialogue semblait être un élément constitutif du concept d’interactivité. Finalement, il s’agit plutôt de lier la notion d’interactivité à celle de « commande ». En s’appuyant sur les travaux de J.-L. Weissberg, Jean-Thierry Julia note ainsi la différence entre « interactivité langagière » et « interactivité “de commande” »4. Il cite J.-L. Weissberg qui écrit que ce second type d’interactivité « désigne […] des situations “où le langage n’est pas le vecteur principal – ni même obligatoire – de l’interaction” et “où l’activité corporelle est, en tant que telle, directe- ment l’objet de l’interaction”. ». J.-T. Julia écrit ainsi : « Le dialogue plusieurs fois évoqué ne saurait donc constituer un aboutissement à l’échange autour du dispositif interactif, mais serait plutôt à entrevoir comme l’une des interactions humaines que la machine tente de simuler ; d’autres, visuelles, gestuelles, haptiques, corporelles seront également à considérer. » En outre, cette interactivité « de commande » a à voir avec le concept de feedback loop (boucle de rétroaction) qui permet aux utilisateurs de machines de leur faire effectuer des choses, non pas par le biais d’un dialogue mais via un rapport d’action-réaction.
Charlotte Guillaume, pré-master musicologie à l’ENS de Lyon, supervisée par Occitane Lacurie, 2023-2024.
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Daniel Thierry, « Écrire pour l'interactivité », Réseaux, vol. 33, no. 1, 1989, pp. 47-71. ↩
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Christian Papilloud, « L’interactivité », tic&société [En ligne], Vol. 4, no. 1, 2010, pp. 25-26. ↩
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Jean-Louis Weissberg, Présences à distance, Paris, L’Harmattan, 1999. Cité par Jean-Thierry Julia, « Interactivité, modes d'emploi. Réflexions préliminaires à la notion de document interactif », Documentaliste-Sciences de l'Information, vol. 40, no. 3, 2003, p. 205. ↩
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Jean-Louis Weissberg, « La simulation de l’autre, approche de l’interactivité informatique », Réseaux, 1989, n° 33, p. 73-109. Cité par Cité par Jean-Thierry Julia, « Interactivité, modes d'emploi. Réflexions préliminaires à la notion de document interactif », Documentaliste-Sciences de l'Information, vol. 40, no. 3, 2003, p. 210. ↩