1. Définition
Selon le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, la médiocrité concerne soit un « état de ce qui se situe dans la moyenne1 », soit un « état de celui ou de ce qui se situe en-dessous de la moyenne2 », et désigne l’insuffisance quant à un référent de quantité, de qualité, d’intensité, de valeur, ou encore de capacité. Le terme a dans les deux cas une connotation négative.
Dans le domaine de l’esthétique, qui intéresse celui du design, le terme est employé pour qualifier le caractère d’objets n’étant pas beau sans non pour autant renvoyer à la laideur. Pour Abraham Moles, la médiocrité est issue de l’adaptation de formes artistiques cherchant l’absolu en des formes acceptable par tous, sortant de leur cadre exceptionnel. Expliquant le processus de transformation d’œuvres musicales en kitsch, il affirme que
« La médiocrité se définit par l’insertion dans le quotidien de l’exécution (instrument, etc.) d’œuvres conçues et composées pour un cadre d’exception (église, chœurs, etc.) […]. »
MOLES, Abraham, Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, Paris, Editions Denoël, coll. Bibliothèque Médiations, 1976 ; Rééd. Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, Paris, Univers Poche, coll. Pocket, 2016. p.127.
2. Du latin au français
Le terme « médiocrité » a pour étymologie le mot latin « mediocritas » qui est employé pour parler de l’idée de juste milieu, de modération mais aussi de l’insignifiance et l’infériorité. Le poète Horace se réclame d’une « aurea mediocritas3», une position modeste et paisible qu’il estime vertueuse. On peut remarquer qu’en français le terme a perdu cette signification de modération, d’équilibre, pour garder seulement une connotation négative. Quand bien même la médiocrité désigne ce qui se situe dans la moyenne, elle est associée à la banalité et non plus à une position mesurée.
3. Explication du concept et problématisation
Le concept de médiocrité suppose une moyenne avec nécessairement des valeurs supérieures et inférieures, connotant une insuffisance de la chose médiocre malgré sa capacité à rester acceptable, insistant plus ou moins sur l’insuffisance ou sur la banalité. Dans le champ du design, la médiocrité est conçue comme un des cinq facteurs du phénomène kitsch par Abraham Moles4. C’est grâce à elle qu’« il reste, essentiellement, un art de masse, c’est-à-dire acceptable par la masse et proposé à elle comme un système5.». Selon lui « toute rupture de la médiocrité dans le sens d’un absolutisme quelconque détruit le phénomène pour le remplacer par un phénomène de beauté ou de laideur […]3», ce qui ramène au sens de moyenne de la médiocrité, de milieu.
La médiocrité se manifeste ainsi dans l’adaptation au goût du public par le designer de supermarché de formes et idées nouvelles créées par l’artiste, leur faisant perdre toute transcendance dans une forme de démagogie commerciale, diluant l’originalité pour mettre l’art à la mesure de l’homme. Le phénomène va dans le sens du confort, ne demandant pas d’effort au consommateur pour apprécier l’objet médiocre.
Le problème de la médiocrité réside également en partie dans le fait que la démagogie commerciale du médiocre, donnant au public ce qu’il attend, est manipulée par la publicité et le marketing, qui créent de faux besoins, posant un problème moral, dénoncé déjà par Victor Papanek qui estime dans Design pour un monde réel6, qu’un certain design vient envahir le monde d’objets futiles. À cet aménagement des formes jugées trop avant-gardistes pour la masse en des formes rendues désirables par la publicité, on pourrait opposer la Charte de l’esthétique industrielle de Jacques Viénot qui indique que le critère du succès commercial ne doit pas l’emporter sur la qualité des choses vendues7. On peut toutefois remarquer que les objets relevant de la médiocrité ont pour point commun avec la Charte de venir effacer le designer, la Charte invitant le designer à être discret en organisant une harmonie intime dans l’objet ne devant pas se remarquer, et la médiocrité faisant des designers de simples adaptateurs de créations des artistes aux goûts du public analysés en amont.
Figure 1. Processus d’aménagement de l’art au goût du public selon Abraham Moles, Paul Floutié
Paul FLOUTIÉ, Master 1, « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.
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https://www.cnrtl.fr/definition/médiocrité, consulté le 14/11/2022. ↩
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https://www.cnrtl.fr/definition/médiocrité, consulté le 14/11/2022. ↩
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« médiocrité dorée » ou « modération d’or ». cf. HORACE, Ode II.10 ↩
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MOLES, Abraham, Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, Paris, Editions Denoël, coll. Bibliothèque Médiations, 1976 ; Rééd. Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, Paris, Univers Poche, coll. Pocket, 2016 p. 73. ↩
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MOLES, Abraham, Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, . op. cit., p. 72. ↩
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- PAPANEK, Victor, Design for the Real World: Human Ecology and Social Change, Londres, Thomas & Hudson Ltd, 1971 ; rééd. PAPANEK, Victor, Design pour un Monde Réel: Ecologie Humaine et Changement Sociale, Paris, Mercure de France, traduit de l’anglais par Robert Louit et Nelly Josset, 1974.*
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VIÉNOT, Jacques, La Charte de l’esthétique industrielle, publiée dans la revue Esthétique industrielle, 1952, voir la loi commerciale. ↩