1. Définition
Le Larousse définit ainsi la prospective :
« Science ayant pour objet l'étude des causes techniques, scientifiques, économiques et sociales qui accélèrent l'évolution du monde moderne, et la prévision des situations qui pourraient découler de leurs influences conjuguées. (Le créateur de la prospective est Gaston Berger.) »
Disponible ici : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/prospective/64476](https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/prospective/64476) (Consulté le 03/06/2021)
On peut notamment retrouver cette notion dans le travail du Groupe International d'Architecture Prospective (G.I.A.P), qui définit la prospective par opposition à l'idée de rétrospective, et se donne pour but de :
« Réunir les chercheurs, dans le domaine de l'architecture et de l'urbanisme. Créer un lien entre ceux-ci, à une échelle internationale. Organiser des expositions de leurs oeuvres et toute manifestation susceptible de rendre leurs travaux publics ».
Yona FRIEDMAN, Paul MAYMONT, Georges PATRIX, Michel RAGON, Nicolas SCHÖFFER, Manifeste du Groupe International d'Architecture Prospective (G.I.A.P.), Paris, mai 1965.
Disponible ici : http://www.tobeart.com/FichierDocArt/ManifesteGIAP-Paris65.html (Consulté le 16/04/2021)
2. Du français à l'anglais
Le terme de prospective est le même en anglais. Par exemple, dans la publication Acta Futura (Issue 10) intitulée “Space Architecture” de l'Agence Spatiale Européenne, il est mentionné dans l'article « Space Architecture and Habitability: An Asset in Aerospace Engineering and Architectural Curricula1 » :
« Following the selection of prospective emergency scenarios and the definition of design criteria, a series of preliminary designs for an emergency shelter was developed within the HB2 academic design studio2. »
Dario IZZO, Luís F. SIMÕES, "Acta Futura", Issue 10, Space Architecture, European Space Agency, Pays-Bas, Advanced Concepts Team European Space Technology Center (ESTEC), 2016.
En plus d'avoir la même orthographe, il est donc évident que ce terme a la même signification au moins dans la langue anglaise. Quel est donc le problème qu'il recouvre ?
3. Explication du concept et problématisation
Pour éclairer ce concept, nous pouvons nous référer à son « créateur », Gaston Berger, et à l'utilisation qu'en fait Thomas Gautier.
Pour Gaston Berger, inventeur du terme, la prospective :
« n'esquisse pas la figure d'un ordre auquel nous serions inéluctablement condamnés ; elle dessine à grands traits plusieurs mondes possibles dont l'un seulement sera promu à l'existence. Elle ne tend pas à nous dispenser de juger, mais à éclairer notre jugement et à nous permettre de le former assez tôt pour qu'il soit encore efficace. Elle ne veut faire de nous ni des surhommes libérés des servitudes temporelles, ni des mécanismes aveugles : seulement des hommes, conscients de leurs limites et de leurs faiblesses, mais attentifs à leurs devoirs et prévenus des risques qu'ils courent3. »
Dans l'article La prospective, ou l'art de concilier « oui mais... » et « et si... »4 pour le magazine Usbek & Rica, Thomas Gauthier écrit :
« En définitive, la prospective se conçoit comme une articulation rigoureuse entre raison et imagination. En pratique, elle emprunte à différentes disciplines (histoire, philosophie, sociologie, etc.) des concepts, des méthodes et des outils pour développer plusieurs futurs possibles qui se présentent le plus souvent sous la forme de récits ou scénarios. Lorsque ces récits sont partagés au sein d'une organisation, ils forment la base d'une véritable mémoire des futurs».
Gaston Berger insiste sur la liberté et le sens des limites humaines que recouvre ce terme de prospective. Thomas Gautier insiste plutôt sur les capacités mobilisées, à savoir l'imagination et la raison. Il semblerait donc que la prospective permette d'envisager le futur (par l'imagination), d'anticiper (rationnellement) certains questionnements et situations, en vue de s'en protéger, au travers de scénarios plus ou moins réalistes, tout en restant tout en restant prompt à s'adapter aux imprévus.
Considérons à présent cette notion dans un contexte précis, où les scénarios de la prospective ont une place absolument omniprésente et déterminante : l'exploration spatiale. Dans une interview5 pour le magazine Usbek & Rica, Didier Schmitt (actuellement chargé de l'exploration humaine et robotique à l'Agence spatiale européenne [ESA], il était, au moment de l'interview, chargé de la prospective à la Commission européenne) explique :
« Dans le spatial on fait de la prospective tout le temps, puisque notre travail nous projette à vingt ou trente ans. Par exemple, en 2001, j'avais commencé à définir le programme d'exploration de Mars avec un rover : il ne va décoller que dans deux ans, en 2020 ».
Le secteur spatial n'est qu'un exemple parmi d'autres des utilités de la prospective, de cette projection dans le futur. Car elle est très liée au projet, particulièrement utilisé dans le milieu du design. Pour le dictionnaire Le Robert le projet se définit ainsi : « Image d'une situation, d'un état que l'on pense atteindre6. » Nous pourrions peut-être même soutenir, en nous référant au compte rendu signé par Emna Kamoun dans la revue Sciences du Design7, que la notion même de projet, qui au cœur du design, est synonyme de prospective. En effet, on peut lire ceci :
« Le terme projet, spécifiquement dans la discipline du design, prend de l'ampleur en englobant plusieurs aspects sémantiques approchants. En effet, si l'on considère "projeter" dans son sens issu du latin, ce qui est jeté en avant, on peut d'ores et déjà y voir deux directions. La première considère le temps : projeter dans le sens de prévoir, de penser l'avenir. La seconde projection est celle qui se fait dans l'espace : projeter une idée, un concept, ou tout ce qui relève de l'image mentale, en représentation matérielle tangible (esquisse, modélisation 3D). Ceci nous conduit vers une autre acception plus récemment utilisée du terme projet, à savoir celle qui définit la réalisation de cette projection et que les Italiens distinguent de l'esquisse, ou projet à réaliser (progetto) par le mot projettazione définissant la réalisation achevée du projet en dessin. D'ailleurs, comme l'a relevé Stéphane Vial, chez les designers, autant dans le cadre professionnel que dans les écoles, on utilise le mot projet pour qualifier à la fois les activités de conception en cours et les réalisations passées, qu'elles aient été finalisées ou se soient arrêtées au stade de modélisation. »
Dès lors on peut s'interroger... Comment se fait-il que le design, fondé sur le projet et la prospective, soit si peu reconnu dans le domaine du spatial ?
Coralie LHABITANT, Designer et diplômée du Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2019-2020.
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Traduction : « Architecture spatiale et habitabilité : Un atout dans les programmes d\'ingénierie aérospatiale et d'architecture. » ↩
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Traduction : « Après la sélection de scénarios d\'urgence potentiels [prospective] et la définition de critères de conception, une série de conceptions préliminaires pour un abri d\'urgence a été développée dans le studio de conception académique HB2. » ↩
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Gaston BERGER, « Sciences humaines et prévisions », dans La Revue des Deux Mondes, 1er février 1957, p. 417-426. Disponible sur : http://www.laprospective.fr/dyn/francais/memoire/texte_fondamentaux/sciences-humaines-et-prevision-g-berger-1959.pdf (Consulté le 03/06/2021) ↩
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Thomas GAUTIER, « La prospective, ou l'art de concilier « oui mais... » et « et si... », Usbek & Rica, 13 mars 2021, Disponible ici : https://usbeketrica.com/fr/prospective-conciliation-oui-non (Consulté le 03/06/2021) ↩
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Romane MUGNIER, « Mars, c'est faisable, mais pour faire quoi ? Vivre en scaphandre? », Usbek & Rica, 28 septembre 2018. Disponible ici : https://usbeketrica.com/fr/article/mars-c-est-faisable-mais-pour-faire-quoi-vivre-en-scaphandre (Consulté le 03/06/2021). ↩
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Disponible ici : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/projet (Consulté le 04/06/2021). ↩
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Emna KAMOUN « "Design & Projet" : à propos du numéro 46 de la revue Communication & organisation », dans Sciences du Design, 2016/2 (n° 4), p. 142-147. DOI : 10.3917/sdd.004.0142. Disponible ici : https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2016-2-page-142.htm (Consulté le 04/06/2021). ↩