Exposition au Centre Pompidou : l'art de repousser les murs
Beaubourg met en scène Charlotte Perriand, grande dame du design et collaboratrice de Le Corbusier.
Rigueur et enthousiasme, foi dans l'avenir, à 24 ou à 93 ans, Charlotte Perriand a le même sourire conquérant, les mêmes convictions. Entre la grande dame du design qui écrit ses Mémoires et aménage un appartement de 53m2 perché sous les toits à Paris, et la jeune femme décidée qui entre en 1927 dans l'atelier de Le Corbusier, il y a soixante-dix années de vie et de création.
L'art de repousser les murs a été pour Charlotte Perriand (1903-1999) une recherche constante, comme le montre l'exposition du Centre Pompidou. En recréant des ensembles au lieu de montrer des meubles isolés, et en déployant d'abondance les archives conservées par la famille, Marie-Laure Jousset, conservatrice au Musée national d'art moderne pour le design, donne à voir et à comprendre dans quel esprit les pionniers de la modernité ont travaillé avec l'espoir de produire pour le plus grand nombre.
Aujourd'hui, le design est à la mode. Au risque de devenir un objet de mode. Et les prix flambent dans les salles des ventes pour des meubles en tôle ou en tube d'acier, qui n'avaient pas vocation à devenir pièces de musée. Au Salon d'automne de 1929, une chaise longue en métal courbé, un fauteuil cube avec ses gros coussins de cuir, et une grande allège de verre sur un piétement d'acier font sensation sous une triple signature : Le Corbusier, Jeanneret, Perriand. Les architectes du Bauhaus en Allemagne ont une sérieuse avance dans le domaine du mobilier. Le Corbusier en a pris conscience.
Cette jeune femme, remarquée par la presse au Salon de 1927 et qui porte autour du cou un collier de billes de métal, n'est pas venue les mains vides. Pour son appartement à Saint-Sulpice, Charlotte Perriand, 24 ans, a déjà créé une table déroulante en métal et caoutchouc et des fauteuils pivotants. On entre dans l'exposition au Centre Pompidou par ce lieu reconstitué, illuminé d'une verrière d'atelier. Parcours chronologique : le rôle de Charlotte Perriand dans le trio talentueux des architectes de l'Esprit nouveau est ainsi salué à sa juste place.
Au Japon début 1940
Dessins techniques, croquis, ébauches, textes théoriques (comment vivre dans 14m2) illustrent la ligne hygiéniste. Sport, montagne, vie au grand air sont des passions illustrées notamment par un projet de refuge démontable en métal qui ne sera jamais réalisé. Dès 1935, elle utilise aussi le bois, à côté du métal, et commence à dessiner des tables courbes — du moderne rustique, en somme.
Membre fondateur de l'Union des artistes modernes, amie de Fernand Léger, engagée dans l'élan du Front populaire, sans pourtant adhérer au Parti communiste, elle entre en conflit avec Le Corbusier, et la rupture est effective en 1937. Le grand mur de photomontage réalisé en 1936 symbolise cette période d'effervescence politique.
Sans transition, on la retrouve invitée au Japon début 1940 pour une mission de six mois. Elle part en juin, attirée par l'aventure, sans mesurer les conséquences de son choix. Quand le Japon entre en guerre, elle rejoint l'Indochine française et ne revient à Paris qu'en 1946. Sur le plan esthétique, l'Extrême-Orient est l'ouverture vers une civilisation matérielle qui répond à ses préoccupations intimes, l'espace vide et la pureté des lignes. Des meubles en bambou, des sièges comme des pliages (années 1940 et 1950) témoignent de cette attirance.
Après la guerre, le boom de la construction permet de tester pour la collectivité les idées des années 1930. À la Cité universitaire, les chambres d'étudiants de la Maison de la Tunisie (1952) et de la Maison du Mexique, allient intelligence et simplicité. La collaboration avec Jean Prouvé pour les bibliothèques démontables en bois et métal, si elle fait aujourd'hui l'objet d'une regrettable bataille entre les héritiers des deux côtés, est très féconde.
La manière dont elle équipera les appartements de la station de ski des Arcs (Savoie) à partir de 1967 illustre parfaitement cette idée de confort maximum dans des surfaces minimales. Une leçon de patience administrée par une femme de caractère qui a su dès le début de sa carrière conserver les traces de son travail et de sa réflexion.
Exposition « Charlotte Perriand », Centre Pompidou, niveau 6. Paris-4e. Mo Rambuteau. Tél. : 01-44-78-12-33. Du mercredi au lundi, de 11 heures à 21 heures; jeudi, jusqu'à 23 heures. Du 7 décembre 2005 au 27 mars 2006. De 5 à 7 euros.
Catalogue, éd. Centre Pompidou, 200 p., 29,90 euros.
Charlotte Perriand, un art d'habiter, de Jacques Barsac, éd. Norma, 512 p., 85 euros.
© Michèle Champenois