1. Définition
Terme aux significations et contextes divers, le « parcours » semble s’adapter à toutes les situations et tous les designers. Par exemple, il peut faire écho au processus de réflexion allant de l’esquisse informelle au prototypage jusqu’à la réalisation d’un projet. Dans cette perspective, nous voyons le parcours réflexif que peut adopter un designer. Cependant, le parcours ne peut pas être réduit à un simple processus de création ou encore au parcours professionnel. Il peut être matériel et, surtout, symbolique.
Au sein du design d’espace, le parcours occupe une place, pour certains designers, très importante voire centrale pour le projet. Défini dans les dictionnaires par le simple « itinéraire à suivre ou trajet suivi par quelqu’un, un véhicule, un animal ».
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/parcours/58092 (consulté le 25/10/2021)
Il ne s’agit pourtant pas d’une simple déambulation.
À l’aide du dessin, Álvaro Siza considère en effet le parcours au cœur de sa conception. Dans son ouvrage Imaginer l’évidence, cet architecte énumère, à travers de nombreux exemples, le besoin d’élaborer des parcours dans ses projets. À travers l’exemple de l’Église paroissiale de Marco de Canaveses, il met en lumière que :
« Ce sont les parcours qui confèrent au projet son unité. Tous opèrent une boucle et terminent leur course à leur point de départ. La sensation que cela procure est bien celle réelle d’un lieu clos, délimité. »
SIZA, Álvaro, Imaginer l’évidence, Marseille, Parenthèses, préfacé par Vittorio Gregotti suivi de Marc Barani, traduit du portugais par Dominique Machabert, 2012, p. 56.
De plus, dans la préface de cet ouvrage, Imaginer l’évidence, Marc Barani soutient que les interventions architecturales d’Álvaro Siza, se vivent non pas en étant passif à ce qui se tient devant nous, mais en vivant, profondément et activement, les espaces :
« Le nouveau parcours, en même temps qu’il redonne à lire le fonctionnement matériel et spirituel du bâtiment, change la séquence de perception de ses espaces, les replace dans leur symbolique d’origine et pour finir ancre à nouveau le dispositif dans la réalité du lieu. »
SIZA, Álvaro, Imaginer l’évidence, Marseille, Parenthèses, préfacé par Vittorio Gregotti suivi de Marc Barani, traduit du portugais par Dominique Machabert, 2012, p. 17.
La revue internationale de théories et de pratiques sémiotiques Protée ajoute à ce concept l’idée d’une connexion entre tous les corps, matériels ou immatériels, inertes ou actifs, vivants ou inorganiques, gravitant dans l’espace parcouru :
« Le parcours dans l’espace lie non seulement l’acteur à l’espace parcouru, mais il relie aussi l’acteur aux objets qui sont sur son parcours et, de ce fait, il relie les objets entre eux. »
RÉNIER, Alain, « Le rôle du parcours : dans l’intégration des conformations statiques de l’espace et des objets dans un réseau de configurations en interférence dynamique », dans BEYAERT-GESLIN, Anne, « Le sens du parcours », dans Protée, revue internationale de théories et de pratiques sémiotiques, volume 33, n°2, p. 27. Cf. https://constellation.uqac.ca/2388/1/Vol_33_no_2.pdf (consulté le 6/10/2021)
La notion de « parcours », à travers ces citations, acquiert une profondeur symbolique. Elle n’est pas un simple itinéraire matériel et fonctionnel. En effet, le parcours se révèle être un principe central pour l’harmonie d’un projet. Un équilibre où tous les éléments (visiteur, architecture, objets…) semblent communiquer, voire se connecter par leur simple présence dans ce même lieu.
2. Du portugais au français
Si l’on compare cette traduction avec la langue natale Álvaro Siza, le portugais, soit la langue originelle du propos1, on sera amené à lire le terme percurso. Une notion exploitée par Luciano Margotto Soares dans son mémoire, au travers du travail d’Àlvaro Siza, qui permet d’apporter des compléments d’informations quant à la posture adoptée ; éléments d’observation qu’on ne trouve pas en langue française.
Il écrit :
« Muitos dos conceitos arquitetônicos de Siza apóiam-se nas ambigüidades entre figura e fundo. Os espaços situados no interior, entre os edifícios, são tratados como vazios positivos e ativos. Os edifícios são experimentados mediante um in- tenso ‘percurso arquitetônico’. O visitante é guiado mediante compressões e ex- pansões, vistas controladas, reduções da perspectiva ou variações na intensidade de luz. A sensação de peso – ou sua oposta, a sensação de leveza – contribuem para a dinâmica da experiência arquitetônica2. »
MARGOTTO, SOARES, Luciano, A arquitetura de Álvaro Siza : três estudos de caso, Faculté d’architecture et d’urbanisme São Paulo, Mémoire de maîtrise, sous la direction de Dario Montesano, 2001, p. 188.
3. Explication du concept
Le parcours est une question de connexion, qui se fait entre l’usager et le lieu qu’il traverse, différente selon chacun. Défini ici comme un élément spatio-temporel, il permet d’expérimenter l’architecture. Le parcours révèle, grâce à l’usager, tout le sens et la valeur d’un lieu. Si un parcours, au sein d’une architecture, vient à être modifié, la perception que nous aurons de cet endroit se verra complètement bouleversée. Chaque parcours met en avant des caractéristiques qui font l’unicité du lieu, il peut révéler une nouvelle lecture du fonctionnement matériel, voire spirituel du bâtiment. En somme, cette démarche active permet au visiteur de comprendre l’espace bâti. Le site, lui, est statique, ancré au sol, tel une succession de multiples espaces distincts. Le parcours, quant à lui, invite le visiteur à adopter une posture active et devenir ainsi acteur de l’espace. Il fait ainsi vivre l’architecture mais aussi nous la fait ressentir. Nous avons donc affaire à un concept dynamique qui implique des choix de la part de l’architecte, mais aussi de l’usager, car c’est à ce dernier de définir quelle expérience il veut vivre au travers de ce lieu. Cependant, il ne faut pas définir cet élément comme circulation, ce qui serait bien réducteur. Car le parcours implique, certes, la circulation, mais aussi la perception, la réception, l’interaction du public avec le lieu.
4. Problématisation
Álvaro Siza, dans son attitude de designer, lie souvent le concept de projet et celui du plan. Le travail sur le plan, en architecture, amène à organiser les circulations et les différents espaces entre eux, tout en favorisant certaines zones de passages plus que d’autres. L’architecte, par choix réfléchis met donc en place volontairement des parcours induits pour le public. En effet, le designer se doit de penser les parcours qui révéleront toute la beauté et l’efficacité de l’environnement qui se dresse devant son public. De ce fait, il limite les mouvements de l’usager.
En architecture, la notion de parcours ne pourrait-elle pas alors être une des composantes d’un dispositif au sens foucaldien du terme ? En somme, l’architecte vient à calculer et placer sur son plan les espaces selon une stratégie qui lui est propre. Michel Foucault, créateur du concept de dispositif explique : « Il s’agit là d’une certaine manipulation de rapports de force, d’une intervention rationnelle et concertée dans ces rapports de force, soit pour les développer dans telle direction, soit pour les bloquer, ou pour les stabiliser, les utiliser3. » Grâce à de nombreux éléments comme les portes, les couloirs, les escaliers ou encore les pentes, l’architecte en vient à modifier fondamentalement et visuellement les parcours empruntés. Ce terme dressant au premier abord une liberté et un choix de mouvement considérable au visiteur semble révéler, en réalité, une certaine contrainte de mouvements sur celui-ci.
Au terme de l’analyse, la connexion que nous vivons avec les espaces construits que nous traversons est finalement induite, via l’agencement déterminé par l’architecte. Qu’importe le parcours emprunté et choisi par le visiteur, dans un milieu construit, celui-ci restera le choix de l’architecte.
Cependant, ce parcours a été pensé de façon à donner un sens à la présence de l’usager dans l’espace. Il n’a pas pour but de le restreindre au sens péjoratif, comme nous pourrions le penser avec la définition du terme « dispositif » de Michel Foucault. Le parcours peut alors devenir un élément à subvertir pour transformer ainsi ce dispositif en appareil, si par là nous entendons l’acceptation et le jeu de l’imprévu sans contraintes, ni limites, au sein d’un même espace. En définitive, c’est à l’usager de s’approprier le lieu et d’en faire, ainsi, un espace de libertés.
Marina RICCI, Master 2 « Design, Arts, Médias », Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
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Le livre Imaginer l’évidence est une parution et traduction de bandes sonores et textes originaux non consultables dans un ouvrage référencé. Sa première édition, sous langue italienne, ne stipule aucune traduction antérieure d’un possible ouvrage portugais. ↩
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Une traduction, révisée par mes soins, donne : « De nombreux concepts architecturaux de Siza sont basés sur les ambiguïtés entre la figure et le fond. Les espaces intérieurs, entre les bâtiments, sont traités comme des vides positifs et actifs. Les bâtiments font l'objet d'un parcours "architectural" tendu. Le visiteur est guidé à travers des compressions et des expansions, des vues contrôlées, des réductions de perspective ou des variations d'intensité lumineuse. La sensation de poids — ou son contraire, la sensation de légèreté — contribue à la dynamique de l'expérience architecturale. » ↩
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FOUCAULT, Michel, Dits et écrits III : 1976-1979, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, p. 300. ↩