SOETSU, Yanagi, The Beauty of Everyday Things, London, Penguin Books, Penguin Modern Classics, translated by Michael BRASE, 2019.

SOETSU, Yanagi, La Beauté des Objets du Quotidien (proposition de traduction)

The Beauty of Everyday Things rassemble les écrits que Yanagi Soetsu a produit entre 1930 et 1960, dans lesquels l'auteur critique la production des biens d’usage et, de ce fait, interroge l’essence-même de ce qui définit la beauté des objets. En effet, l’auteur cherche à redonner les lettres de noblesse aux objets du quotidien, dont l’existence est souvent ignorée par les historiens et critiques d’art1. Cette prise de position, réaction face à la normalisation industrielle des produits d’usage depuis l’époque Meiji (1868-1912), vise à réhabiliter l’artisanat sur le déclin.

Soetsu Yanagi avance la thèse selon laquelle la coexistence entre l’artisanat et la production industrielle est cruciale pour que les biens d'usage, abordables et abondants, soient vecteurs de beauté plutôt que témoins d’un déclin esthétique2. En effet, d’après l'auteur, ces objets ordinaires sont essentiels pour répandre la beauté dans le monde3.

Dans cette démarche, Yanagi Soetsu est l’un des instigateurs du mouvement mingei4, ou des Arts Populaires tel que ce terme est traduit en français5. Les textes compilés dans The Beauty of Everyday Things composent dès lors un manifeste.

Afin de soutenir son propos, Yanagi Soetsu explicite le terme de mingei et justifie l’importance d’une telle philosophie au regard de l’impact de l’intensive industrialisation importée au Japon sous l’influence de l’Occident6. Yanagi Soetsu reproche notamment à la production industrielle son absence de responsabilité esthétique et éthique, résultant dans des biens de mauvaise qualité et des conditions de production dénuées de sens dans les manufactures7. L’auteur élabore ensuite les caractéristiques qu’un objet doit posséder pour être synonyme de beauté selon la pensée mingei8. Un certain nombre de chapitres sont consacrés à l’analyse d’objets propres à la culture japonaise pour soutenir le propos9. Enfin, l’auteur fournit une réflexion sur la perception de la beauté et la nécessaire capacité à appréhendercette qualité10.

À travers ses écrits, l’auteur développe deux notions essentielles à l’esthétique mingei. La première est celle de « beauté ordinaire ». Yanagi Soetsu expose le principe selon lequel un objet doit présenter une adéquation entre la forme et la fonction pour être digne de beauté11, insistant sur l’honnêteté et la sincérité. La seconde notion est celle d’une « création intuitive », exploitée naturellement par les artisans. La production des objets du quotidien relève d’une absence de conscience de soi, c’est-à-dire d’un détachement entre le geste et l’objet, condition nécessaire à l’obtention de la beauté12.

Décrit comme « le modèle premier de la vision qui anime le design d’aujourd’hui13», Yanagi Soetsu a permis une revitalisation du design japonais et international, marquant des designers tels que Bruno Taut et Charlotte Perriand14. Au regard de l’histoire esthétique du design, la position de Yanagi Soetsu en faveur des objets du quotidien fait échos à des courants de pensée présents en Europe au milieu du XX^e^ siècle, notamment Vilèm Flusser qui, dans La Force du Quotidien, reconnaît la valeur esthétique des objets ordinaires15. La beauté fonctionnelle est un sujet présent dans les théories de Paul et Étienne Souriau, contestant l’opposition entre l'utile et le beau16, et, au contraire, évoquant le lien entre la forme et la fonction d'un objet. Ce propos est également repris par Jacques Viénot17 et la Loi n°4 de la Charte de l’esthétique industrielle ; loi relative à l’harmonie entre l’apparence et l’emploi qui évoque également la responsabilité de la production industrielle au regard de l’esthétique. Ces rapprochements possibles montrent notamment que la pensée de Yanagi Soetsu s'inscrit dans un contexte général de réflexion sur la responsabilité esthétique des objets ordinaires et sur la conservation du savoir-faire lié à l'artisanat à un moment de l'histoire marqué par les bouleversements de la technique et de la production industrielle.

Marie GROLIER, Master 1, « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023


  1. YANAGI, Soetsu, The Beauty of Everyday Things, London, Penguin Books, collection Penguin Modern Classics, traduit par Michael Brase, 2019, p. 32. 

  2. YANAGI, Soetsu, The Beauty of Everyday Things, op. cit., p. 8. 

  3. Ibidem, p.11. 

  4. Mingei est un néologisme créé par Soetsu Yanagi, Kawai Kanjiro et Hamada Shoji en 1925. Le terme est formé de min-, peuple, et -gei, artisanat. 

  5. MARQUET, Christophe, « Yanagi Soetsu et l’invention des “arts populaires”: remise en perspective », Cipango. Cahiers d’Études Japonaises, n°16, 2009, Paris, INALCO, p. 3. 

  6. Ibidem, p. 3. 

  7. Ibid., p. 12. 

  8. Id., p. 25. 

  9. Id., p. 57. 

  10. Id., p. 265. 

  11. Id., p. 4. 

  12. Id., p. 19. 

  13. FUKAGAWA, Masafumi, « Visages du “Wa”. Harmonie dans le design de produits au Japon », dans KASHIWAGI, Hitoshi (et al.), Wa: l’harmonie du quotidien. Design japonais d’aujourd’hui, Paris, Maison de la Culture du Japon, 2008, p. 23. 

  14. MARQUET, Christophe, « Yanagi Soetsu et l’invention des “arts populaires”: remise en perspective », Cipango. Cahiers d’Études Japonaises, n°16, 2009, Paris, INALCO, p. 1. 

  15. FLUSSER, Vilèm, La Force du Quotidien, Paris, Mame, 1973. 

  16. SOURIAU, Étienne, « Passé, Présent, Futur » Esthétique Industrielle, Paris, Presses Universitaires de France, 1952. 

  17. VIÉNOT, Jacques, « La Charte de l’Esthétique Industrielle », Esthétique Industrielle, Paris, Presses Universitaires de France, 1952.