AICHER, Otl, Die Welt als Entwurf, Berlin, Ernst & Sohn, 1992.
AICHER, Otl, Le monde comme projet. Paris, Éditions B42, traduit de l'allemand par Pierre MALHERBET et Christiane KOPYLOV, 2015.
Dans Le monde comme projet de Otl Aicher, l'auteur s'interroge sur les disciplines que sont le design et l'architecture. Le premier commanditaire de l'architecte ou du designer est l'État. Pour alimenter les musées, construire les institutions et les meubler, c'est aux designers et aux architectes que l'on fait appel. Les designers incarnent le soft power1 culturel de leur pays car ce qu'ils conçoivent s'exportent dans le monde. Quant aux architectes, leur travail représente la façade du pays, la première chose qui nous saute aux yeux et dont on se souvient quand nous voyageons.
Otl Aicher défend l'idée selon laquelle la technique doit être plus importante que l'esthétique dans la pratique du design graphique ou encore de l'architecture. Le retour à la technique permet de retrouver une véritable créativité et non la création de symboles ou de l'art pour l'art2. C'est pour cela qu'il fait la distinction entre les designers « moralistes », qui possèdent une approche moderne et scientifique et les « esthètes » qui, pour leur part, accorde de la valeur à tout ce qui esthétiquement beau.
Dans cette compilation de 18 essais écrits jusqu'en 1991, l'auteur commence par faire une critique de l'importance qu'a la beauté dans le mouvement postmoderniste. Ainsi, dans crise du modernisme3 Aicher se révolte de la transformation des objets du quotidien en œuvre d'art. Il déplore que « la technique n'était qu'un nouveau répertoire formel, un matériau à la disposition des artistes ». Otl Aicher compare également le postmodernisme au classicisme et qualifie même le mouvement de « nouvelle croyance ».
Dans les deux essais qui suivent, il exige que les designers réfutent le symbolisme4 et que l'esthétisme passe au second plan dans la création5. Ensuite, à l'aide d'illustrations, il retrace toutes les périodes du modernisme dans le troisième mouvement moderne. Des bâtiments faits de fer et de verre comme le Crystal palace pour le premier6, à la pureté de forme chez Theo Van Doesburg pour le second mouvement7, jusqu'aux chaises de Charles Eames8 et aux créations de Hans Gugelot9 ou encore Paul McCready10. Otl Aicher reproche au Bauhaus de ne pas s'affranchir de l'art malgré son culte de la géométrie et son intention de revenir à l'artisanat. C'est d'ailleurs cette opinion qui crée la discorde entre Aicher et Bill. Puis dans les quatre écrits suivants, il définit le rôle de l'architecte et du designer11 qui doivent s'émanciper de la société12 et revenir aux objets de design utiles qui perdent leur fonction première pour être contemplés13. Aicher souligne l'importance d'être reconnu avec la signature14 mais aussi l'importance de l'environnement de travail15. Il revient finalement sur ses travaux importants en tant que designer graphique16 comme la création de l'identité visuelle des jeux olympiques en 197217 ou encore sur la création typographique de la police rotis18. Il termine par l'essai le monde comme projet qui donne son nom au livre19.
Plusieurs concepts clés reviennent souvent. Premièrement, la « fonction » est un concept qui se démarque en s'opposant à celui de « l'esthétique ». Aicher déplore que la fonction soit réduite à néant par l'emballage des produits ou le style des créations. Les architectures et les objets de la vie courante sont traités de manière superficielle. Pour lui, il ne faut pas d'éléments décoratifs. Enfin il y a aussi « l'Entwurf » qui se traduit comme le projet mais aussi par le terme design et concept. Dans la logique de l'auteur, il y a une hiérarchie à respecter entre le design, défini par le projet, et l'art, défini par le dessin. Aicher qui sort de l'académie des Beaux-arts de Munich en 1946 note : « Plus jamais d'art ! La rue est plus importante que le musée... La créativité dans le champ de la technologie est plus importante que la créativité dans l'atelier d'artiste ».
En 1955, Inge Schollet Otl Aicher fondent l'école d' ULM avec Max Bill. Elle est l'héritière du Bauhaus. D'ailleurs, ils contactent de nombreux enseignants du Bauhaus pour venir enseigner à Ulm. Toutefois dans l'essai «Bauhaus et Ulm», il fait une critique de ce que devient le Bauhaus et pourquoi ils ne pouvaient pas appeler leur école Bauhaus Ulm. À Ulm, il n'y a pas de cours pour la peinture ou la sculpture : pas question de faire « du Mondrian en meuble ». Alors qu'au Bauhaus les enseignements étaient portés sur la couleur et la forme, à Ulm on se concentre sur la technique. Le résultat du travail est un produit qui résulte des matériaux, des outils utilisés...
Inès INDO, Licence 3 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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Soft power: la capacité d'un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur par un ensemble de moyens autres que coercitifs. ↩
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L'art pour l'art est mouvement théorisé par Théophile Gautier, qui refuse l'engagement de l'écrivain et voit dans la beauté la seule fin de l'art. ↩
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Otl AICHER, « Crise du modernisme », in Le monde comme projet, Paris, Éditions B42, traduit de l'allemand par Pierre MALHERBET et Christiane KOPYLOV, 2015, pp 17-29 ↩
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Otl AICHER, « Renoncer au symbole », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 30-37. ↩
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Otl AICHER, « Existence esthétique », dans Le monde comme projet, op. cit, p. 38-42. ↩
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Otl AICHER, « le troisième mouvement moderne », dans Le monde comme projet, op. cit, p. 43-66. ↩
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Ibidem ↩
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Otl AICHER, « Charles Eames », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 66-69. ↩
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Otl AICHER, « Hans Gugelot», dans Le monde comme projet, op. cit., p. 70-81. ↩
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Otl AICHER, « Machine volante de Paul McCready », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 82-89. ↩
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Otl AICHER, « Difficultés pour architectes et designers », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 153-159. ↩
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Otl AICHER, « L'architecture comme reflet de l'État », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 100-119. ↩
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Otl AICHER, « L'inutilisable objet d'usage courant», dans Le monde comme projet, op. cit., p. 120-130. ↩
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Otl AICHER, « La signature », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 131-139. ↩
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Otl AICHER, «Mon lieu de travail n'existe pas encore », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 147-152. ↩
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Otl AICHER, « l'espace de liberté du designer graphique », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 179-186. ↩
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Otl AICHER, « apparence et identité visuelle », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 160-178. ↩
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Otl AICHER, « un nouveau caractère typographique », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 187-190. ↩
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Otl AICHER, « le monde comme projet », dans Le monde comme projet, op. cit., p. 191-202. ↩