BRANZI, Andrea, Pomeriggi alla media industria. Design e seconda modernità, Milano, Idea Books, 1988.
BRANZI, Andrea, et Paoloni, Christian, Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité, Paris, Les essais, Centre Georges Pompidou, 1991.

Dans Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité, Andrea Branzi propose de traiter la problématique suivante : quelle relation le design doit-il établir entre l’homme et son environnement artificiel à l’ère de la société postmoderne1 ?

Andrea Branzi soutient la thèse selon laquelle, dans un contexte post-industriel (ou de seconde modernité), le design doit donner une épaisseur culturelle au monde artificiel avec lequel l’homme interagit quotidiennement. L’objectif est de penser ce monde comme une seconde nature, c’est-à-dire comme un système avec lequel l’homme entretient un rapport symbolique, complexe et relationnel.

Pour arriver à ses fins, l'auteur développe quatre idées clés. En premier lieu, un système d’objets et de services a envahi la société en l’espace de deux siècles. Le design devient le protagoniste de la réalité de projet devant l’architecture et donc l’interface prioritaire entre l’homme et le monde artificiel2. Deuxièmement, créant de nouveaux territoires de l’imaginaire et des espaces informationnels, l’objet révèle une nouvelle identité de l’environnement et des codes linguistiques et comportementaux inédits3. Dans un troisième temps, il advient une société matricielle, trop complexe et changeante pour se cristalliser dans un projet général défini par des valeurs stables4. Enfin, le design doit penser ses productions comme des interfaces « écologiques » entre l’homme et sa seconde nature. Il doit se battre pour que cesse l'uniformisation générale du monde, conscientiser dans sa pratique que l’objet est un véhicule de récits, d’émotions et de qualités profondes et enfin, intégrer dans sa culture de projet l’aptitude à définir de nouveaux codes relationnels entre les hommes5.

Branzi structure son argumentation à partir de 5 concepts clés principaux. Citons en premier lieu le concept de « seconde modernité » qui se définit comme une acceptation de la modernité en tant que système culturel artificiel et vecteur de valeurs civiles et linguistiques6. L’idée de « seconde nature » renvoie quant à elle à une nouvelle écologie entre l’homme et son milieu, ce dernier étant définissable comme un environnement naturel subissant l’influence des artefacts7. Le concept de « société matricielle » fait référence à un système culturel proposant une grande diversité d’identités sociales animées par des codes, des langages et des comportements variés8. La « culture du surréel » est définie comme une culture de projet qui confère à ses productions des qualités d’expressions d’ordre conceptuel et une part d’autonomie symbolique9. Enfin, le concept « d’interface » est caractérisé comme une limite commune à deux systèmes, permettant des échanges entre ceux-ci. Cette dernière définition10 est tirée du dictionnaire Larousse.

Cet ouvrage fait émerger de nouveaux enjeux dans le champ du design. En effet, le passage d’une société industrielle à post-industrielle engendre des transformations profondes dans sa culture de projet. Le statut de l’objet mute, dans la mesure où il n’est plus uniquement considéré pour ses qualités formelles et fonctionnelles et de nouveaux impératifs culturels et techniques sont à prendre en compte par le designer. De plus, il est assigné à la discipline un rôle tout à fait inédit : celui de penser et de composer une seconde nature pour l’homme. Dès lors, les designers ne peuvent plus simplement appréhender les outils techniques dans leur dimension purement fonctionnelle car la technique ne se réduit plus à des objets, machines, dispositifs utilitaires. Désormais, la technique déborde l’objet technique puisque ce dernier est porteur d’une énergie proprement sociale dans laquelle il est transfiguré, voire oublié. Ce phénomène a particulièrement été mis en évidence par Marcel Mauss, lorsqu’il parlait de la dimension symbolique de la technique et de sa ritualisation dans le corps social11.

Etienne VIBERTI, Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne


  1. Entendue ici, selon la définition donnée par Nicolas Nova dans Futurs ? La panne des imaginaires technologiques, comme une époque marquée par l'absence de grands récits (mythes, religion, politique), la « victoire du capitalisme », et la survalorisation du présent. 

  2. BRANZI, Andrea, Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité, Paris, Les essais, Centre Georges Pompidou, 1991, p. 25-29. 

  3. BRANZI, Andrea, Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité, op. cit., p. 30-34. 

  4. Ibidem, p. 130-133. 

  5. Ibid., p. 135-139. 

  6. Id., p. 107. 

  7. Id., p. 137. 

  8. Id., p. 21. 

  9. Id., p. 58. 

  10. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/interface/43685 (consulté le 06/12/2021) 

  11. MAUSS, Marcel, Les Techniques du corps, in Journal de Psychologie, XXXII, n°3-4, 15 mars - 15 avril 1936.