1. Définitions

Dans les dictionnaires usuels, le terme de New Wave se réfère à un courant musical :

« Courant musical né à la fin des années 1970, caractérisé par l’utilisation des instruments électroniques. »

Dictionnaire Le Robert, [en ligne], URL : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/new-wave, consulté le 23/09/2021.

Le Larousse semble élargir cette définition à tous les champs artistiques :

« 1. Style de rock revu, corrigé, réinventé par la génération de la fin des années 1970 et caractérisé par un refus des outrances du mouvement punk. (Ce style donne une grande place à la recherche électronique).

2. Innovation dans le domaine de la mode, de l’art, etc. »

Dictionnaire Larousse, [en ligne], URL : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/new_wave/54497, consulté le 23/09/2021.

Dans l’encyclopédie Universalis, on trouve une définition rattachée au terme « Graphisme », énonçant quelques lieux et acteurs de la New Wave :

« Une “nouvelle vague” (New Wave) graphique s'épanouit à la fin des années 1970, en Suisse et aux États-Unis tout particulièrement, influencée par Wolfgang Weingart, dont l'enseignement à Bâle met en cause le style international. Odermatt & Tissi, à Zurich, Inge Druckrey, en Allemagne et aux États-Unis, propagent ses concepts. April Greiman, à Los Angeles, directrice du programme de communication visuelle du California Institute of the Arts, à partir de 1982, met en pages la revue Design Quaterly, qui constitue un manifeste pour une Imagerie hybride, titre de l'ouvrage qu'elle publie en 1990, prônant la fusion des nouvelles technologies et du graphisme. »

Michel WLASSIKOFF, « GRAPHISME », Encyclopædia Universalis, [en ligne], URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/graphisme/, consulté le 23/09/2021.

Enfin, le Dictionnaire du graphisme fait paraître à l’entrée « New Wave » la mention « Voir post-modernisme », dont nous restituons la définition ci-dessous :

« Mouvement créatif lancé au milieu des années 1960 en opposition à la domination et à la stérilité du modernisme. Couvrant art, architecture et arts appliqués, il rétablit ornements, symbolisme et humour visuel. Dégagés de toute orientation dogmatique, les graphistes post-modernes se détournent de l’obsession moderniste pour le progrès et défient les principes fondamentaux d’ordre et de discipline propres au Bauhaus et à ses partisans. La rationalité du style graphique international repose sur la conviction que la fonction commande la forme mais, vers la fin des années 1960, une nouvelle génération de graphistes suisses tente de dépasser les contraintes de ce style de plus en plus prévisible ; les chefs de fil sont Odermatt & Tissi à Zurich et Wolfgang Weingart à Bâle. À partir des années 1970, l’influence de l’enseignement de Weingart se diffuse aux États-Unis, alors que son opposition aux typographes “dogmatiques” comme Tschichold, Ruder et Gerstner provoque des réactions tant enthousiastes qu’hostiles ; également appelée New Wave, son approche éclectique et anarchique, sacrifiant souvent la lisibilité à l’expression, est portée à travers les USA par d’ex-étudiants de Bâle, tels Daniel Friedman, April Greiman et Inge Duckrey. Intuition et efficacité de la typographie sont mises en avant par Neville Brody en Grande-Bretagne, le Studio Dumbar en Hollande, et Javier Mariscal et Peret en Espagne. Même si, en définitive, le post-modernisme apparaît davantage comme un “style” que comme une alternative au courant dominant, il servira de repère aux évolutions ultérieures du design graphique et laissera un héritage positif de libéralisation via une diversification des ressources historiques et un accès aux nouvelles technologies. »

Alan et Isabella LIVINGSTON, Dictionnaire du graphisme, Paris, Thames & Hudson, 1998, p. 155.

Ces occurrences mettent en évidence la difficulté à établir une définition de la New Wave. Souvent rattachée au post-modernisme, elle ne peut se définir en tant que courant unifié, tant ses acteurs et lieux sont dispersés. On peut néanmoins retenir que son point d’origine se situe à Bâle à la fin des années 1960 avec le designer graphique Wolfgang Weingart.

2. Un terme anglais importé en français

Ce terme anglais peut difficilement être traduit littéralement en français, car la « Nouvelle Vague » désigne déjà un mouvement cinématographique. Ce n’est qu’en précisant qu’il s’agit d’une nouvelle vague graphique que l’on pourrait obtenir une traduction acceptable.

Comme en témoigne la citation suivante, la New Wave concerne moins l’esthétique des visuels qu’une confrontation de générations de designers graphique :

« “What did you do during the Legibility Wars?” asked one of my more inquisitive design history students.

“Well, it wasn’t actually a war,” I said, recalling the period during the mid-‘80s through the mid-to-late-‘90s when there were stark divisions between new and old design generations – the young anti-Modernists, and the established followers of Modernism. “It was rather a skirmish between a bunch of young designers, like your age now, who were called New Wave, Postmodern, Swiss Punk, whatever, and believed it necessary to reject the status quo for something freer and more contemporary. Doing that meant criticizing old-guard designers, who believed design should be simple – clean on tight grids and Helveticized1.” »

Steven HELLER, “The Legibility Wars of the ’80s and ’90s”, Print, mis en ligne le 05/12/2016, disponible sur https://www.printmag.com/typography/legibility-wars-translation-typography/, consulté le 27/03/2020.

Cette anecdote tend plutôt à démontrer l’absurdité du qualificatif « New » :

« In the early ‘80s, they did car catalogs for the California market that looked like April Greiman’s New Wave graphics. And I’m sure that, at first, somebody said “Look at these New Wave graphics: they’re no model for professional practice,” and a few years later, they were used to sell Chevrolets in L. A. Of course, New Wave graphics are everywhere now. They’re so assimilated into the mainstream, you don’t even notice them. So what’ll happen when a car catalog has disintegrating type in it? Probably nothing. It’ll all be so watered down2. »

Edward FELLA, extrait de Michael DOOLEY, « An interview with Edward Fella », Emigre, n°30, 1994, disponible en ligne sur https://www.emigre.com/Essays/Magazine/AnInterviewwithEdwardFella, consulté le 11/10/2021.

Bien que les lieux de la New Wave soient difficiles à circonscrire, il semblerait que ses acteurs soient principalement anglophones. Le fait que peu soient français explique peut-être que le terme demeure importé sans traduction.

3. Explication du concept

Nous pouvons situer les prémices de la New Wave à Bâle (Suisse) dans les expérimentations du designer graphique Wolfgang Weingart. À la fin des années 1960, ce designer estime que le Style International3 est arrivé à maturité, et qu’il convient désormais de le dépasser. Se basant plutôt sur l’expérimentation empirique que sur le système de la grille, il entend révéler le potentiel expressif du design graphique. Il fusionne le texte et l’image pour créer des formes plus complexes, conçues selon des couches successives. Cette complexité créée par la profondeur et l’épaisseur visuelles entend d’une part stimuler l’œil plutôt qu’optimiser la lisibilité, et d’autre part enrichir les relations de sens.

Ce seront les étudiants de Wolfgang Weingart qui vont contribuer à diffuser cette pratique du design graphique. Ainsi, April Greiman4 transmet l’élan d’expérimentations de Wolfgang Weingart aux États-Unis. Notons également que ce nouveau répertoire formel s’accompagne d’un moment de transition des moyens techniques, entre la photocomposition et l’arrivée imminente de outils informatiques.

Si April Greiman incarne cette exploration des formes permises par de nouveaux outils, Katherine Mc Koy5, quant à elle, investigue les relations entre texte et image, ainsi que l’ambiguïté sémantique de ces visuels déconstruits. Plus que la lisibilité, le potentiel expressif de ces visuels remet en question la clarté et l’immédiateté de la communication, en favorisant la complexité des couches de signification.

La New Wave s’apparente moins à un style graphique homogène qu’à une attitude guidée par la volonté d’expérimenter, de risquer, d’innover, de tester. S’il est difficile de décrire une esthétique commune aux diverses branches de la New Wave, nous pourrions résumer ses trois principes directeurs : l’expressivité, une démarche expérimentale et empirique, et la complexité formelle et sémantique des résultats graphiques.

4. Problématisation

Le terme de New Wave nous invite à nous interroger sur la notion de nouveauté. Si cette période a vu paraître de nouvelles technologies, une nouvelle conception du design graphique et de nouveaux principes esthétiques, n’a-t-elle pas depuis été dépassée ? En 2021, la New Wave n’appartient-elle pas plutôt à l’ancien qu’au nouveau ?

En effet, la notion de nouveauté est située temporellement, et pose surtout la question de la génération : ce qui est nouveau pour nous devient ancien pour nos successeurs. D’une part, le « nouveau » ne l’est qu’en rapport à autre chose qui le précède. Mais ce référent lui-même est en perpétuel changement, car la nouveauté suggère un constant mouvement vers l’avant, de pro-jection. De fait, il semble délicat de parvenir à circonscrire le nouveau, par la fluidité même du processus de nouveauté. Ce qui est nouveau ne l’est donc que de manière éphémère. Dans ce sens, le nouveau serait en fait ce qui suit, le suivant.

D’autre part, qu’en est-il lorsque la nouveauté perd son caractère surprenant et subversif ? En effet, quelque chose de nouveau est identifié par contraste avec ce qui le précède, notamment lorsque ce contraste pose question. Ici, le nouveau serait plutôt ce qui serait différent. Mais, comme le démontre la remarque d’Edward Fella sur l’appropriation de l’esthétique des visuels d’April Greiman par la communication visuelle commerciale, la perte du caractère subversif remet en cause le qualificatif « nouveau ». En effet, lorsque l’œil s’habitue à voir ce qui était nouveau, que le nouveau intègre un environnement visuel, il finit par perdre le caractère surprenant qu’implique la nouveauté.

Margaux MOUSSINET, doctorante en Arts et Sciences de l’art, spécialité design, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne


  1. Traduction possible : « “Qu’avez-vous fait pendant les guerres sur la lisibilité ?”, m’a un jour demandé un de mes étudiants les plus indiscrets.“En fait, ce n’était pas vraiment une guerre”, ai-je répondu en me remémorant la période allant de la seconde moitié des années 1980 à la fin des années 1990, durant laquelle il y avait de nettes divisions entre les nouvelles et anciennes générations de designers – les nouveaux Anti-Modernistes, et les fervents partisans du Modernisme. “C’était plutôt un accrochage entre une poignée de nouveaux designers, qui devaient avoir votre âge, qui se nommaient New Wave, Postmodernes, Punk Suisses, ou quel que soit leur nom, et qui pensaient qu’il était nécessaire de rejeter ce qui était en vigueur pour quelque chose de plus libre et de plus contemporain. Faire cela impliquait de critiquer les designers de la vieille école, qui pensaient que le design devait être simple – net sur des grilles serrées, et Helveticalisé.” » 

  2. Proposition de traduction : « Au début des années 1980, il y avait des catalogues de voitures sur le marché californien qui ressemblaient aux visuels New Wave d’April Greiman. Je suis sûr que, au début, quelqu'un a déclaré “Regardez ces visuels New Wave, il n’y a pas meilleur modèle de pratique de la profession” et que, quelques années plus tard, ils étaient utilisés pour vendre des Chevrolet à Los Angeles. Bien sûr, les visuels New Wave sont partout maintenant. Ils sont tellement intégrés à notre environnement visuel qu’on ne les remarque même plus. Que se passe-t-il donc lorsqu’un catalogue de voitures utilise une typographie déconstruite ? Certainement pas grand-chose. Son impact sera tellement atténué. » 

  3. Voir la notice sur le Style International. 

  4. Qui a pris la direction du département de communication visuelle de la California Institue of the Arts au début des années 1980. 

  5. Également ancienne étudiante de Wolfgang Weingart, elle a pris la direction du département de design graphique de la Cranbrook Academy of Arts au début des années 1970.